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mardi 31 décembre 2019

Le jardin des orties douteuses

Il fallait bien ce tas de pierres pour se frotter à une telle urticaire. Il fallait bien une ruine désertée par les prières pour pousser une incomprise rudérale à trouver refuge dans l’ancienne salle capitulaire. L’abbaye, sous l’assaut des embruns capillaires, a cessé d’être péremptoire, atomisée d’office sur son promontoire. La multitude des combats a fait chavirer la salle des Chapitres dans les mémoires dévastées du Saint-Mathieu. Encore dressés sur la falaise, les vestiges dévoilent une funeste couronne, aveuglés même sans la rétine des vitraux, cependant que la vue s’est dégagée dans l’éboulis des voûtes, brûlées par le feu des feuilles à fine pointe siliceuse. Le souffle a fracassé les frocs de pierrailles crucifiées, ourtiées par la friche anémophile. Dans les décombres des pluies, par l’encombrement de pierres froides, à jamais lacérées par ces morsures éternelles, l’ortie douteuse ourdit le devoir d’étendre son réseau de rhizomes anthropophiles.
A travers les cavités cadavériques des corps granitiques, l’ortie déploiera, dans un jardin massif, sa puissance formique. A l’évidence, la plante affectionne les lieux chargés de déchets oniriques, tout comme les sols d’alluvions, régulièrement illusionnés par de nouveaux dépôts de damnés en décomposition. Son déferlement se plaît dans le crottin ou finira fertilisé en purin.
A cause de la franchise de son feuillage, ne cherchant pas à camoufler ses défauts derrière une apparence flatteuse, l’ortie douteuse souffre d’une réputation sulfureuse qu’elle se doit d'abreuver sans ambages. En effet, sur des tiges dressées, souvent rameuses, les feuilles dentelées fourmillent de bataillons de poils pernicieux, se brisant au moindre geste impétueux. Le frisson est subit et ne pourra être affaibli que par quelques plantains frictionnés. Gracieuse, pourtant, l’incommodante membraneuse préfère embrasser la Demoiselle aux yeux d’or sur des grappes de fleurs en ruban très étroit. D’ailleurs, la chrysope verte n’est pas la seule espèce inféodée : à croire que l’impudente urtica s’entend à séduire des hôtes coléoptères et autres lépidoptères. L’examen entomofaune de l’ortie n’exige pas un complet inventaire, plutôt une discrimination singulière.
Très commun, le charançon, à l’état larvaire, charpente des échancrures le long du système racinaire. L’agapanthie, à pilosité verdâtre, tout autant insatiable, arpente les galeries des tiges avec appétit. Parmi les vanesses, Robert le diable se fait discret, replié dans la soie, au revers des feuillets. Peut-être que le diacre rôde encore afin d’éteindre le rouge écarlate ainsi exhibé. Que penser de l’Ecaille mendiante, qui, mollasse, ment dans la journée pour mieux s’encanailler dès le début de soirée ? Les coccinelles, ces bêtes à bon Dieu, dociles et peu incommodées par le vœu de sobriété car si enclines à compter les points pour se considérer entre elles, parviennent à occire, en parcourant frénétiquement l’ortie, d’innombrables pucerons. La cicadelle, prompte à se cacher, est circonspecte contrairement à la cigale (gardons-nous bien de la croire anorexique), se contente de la part de feuille des orties dioïques. Plus dédaigneuse, la noctuelle à museau s’envole facilement en pleine journée au moindre dérangement, à la secousse près.
A ne pas médire, le jardin des orties douteuses, autant que faire se peut, offre un havre hospitalier à un peuplement de parasites et à leur cortège de prédateurs. Trop souvent délaissée, l’ortie concentre en son for intérieur un remède naturel aux vertus curatives. On avance même qu’elle soigne le « moi spirituel ».
Dans un tas de pierres, dans un supposé cimetière, sur une pointe abrupte, abrutie par la mer et abandonnée par la charretière, l’ortie douteuse impose un nouveau rituel.

A Plougastel, c'est le salmigondis politique

Comme la dinde à Noël, l'agneau de Pâques ou le cochon grillé pour l'été, la période des élections municipales à Plougastel, ouvre une période qui aiguise les appétits pour de traditionnelles ratatouilles programmatiques, pareilles à des clafoutis prédigérés ou à des recettes indigestes, compliquant mécaniquement la mastication intellectuelle. A certains écarts, on ferait même dans le réchauffé, ou pire, on s'étoufferait de s'apercevoir que des commis inoxydables n'ont pas encore pris leur retraite électorale, que l'on ne pourrait de toute façon pas qualifier d'émérite. Au final, les électeurs de Plougastel auront le droit, une fois de plus, à une tambouille politique servie sur un plateau électoraliste.
En parlant de tambouille, il y a en un qui remet le couvert pour un quatrième rabiot, il s'agit de Dominique Cap. Alors lui, autrement surnommé "Mister freeze", à trop vouloir confondre sa bourse avec celle de la caisse communale, est incorrigible ! En plus d'un abonnement gratuit à la cantine, il parvient à maintenir à son service, tel un véritable chef "bling bling" étoilé, une brigade de marmitons adoubés. Le maire sortant, peut se targuer d'être le digne représentant de la gastronomie française : viandée, saucée, copieuse, lourde, vinifiée, outrancière. On ne fait pas dans l'exotisme chez Cap, mais la cuisine politicienne ça le connaît, restant fidèle à sa devise : un menu frelaté, un chef "tête de veau", une équipe servile avec son responsable de salle, Jean-Jacques André.
Pour chercher de l'exotisme il faut changer de gargotes. A voir les enseignes, l'électeur et l'électrice pourraient être alléchés par les émanations qui proviennent des différentes marmites à idées. Sauf que, et même pour un fin gourmet, l'agitation qui règne dans les arrières cuisines donnera, à n'en point manquer, un goût amer à la lecture des cartes, qui se redistribuent d'une élection à l'autre, dans un jeu de rôles confus.
Pour rendre confortable la lecture du tableau ci-dessous, j'ai délibérément changé les noms par des chiffres. Je me suis ensuite contenté de retenir que les principaux intéressés, d'une part parce qu'ils étaient et sont de nouveau les premiers protagonistes et, d'autre part, je ne souhaitais pas associer à cette mascarade locale, des personnes au demeurant constantes dans leur choix, ignorantes ou tout du moins éloignées de cet imbroglio politique. Enfin, je précise, s'il était encore nécessaire de le faire, que les personnes nommées ci-dessous sont, ou ont été, des élus du conseil municipal. Ce qui leur confère, de par leur mandat, une visibilité publique, une fonction territoriale qui les obligent à produire des résultats et à rendre des comptes, que cela leur plaise ou pas.
Je commencerai donc par les dernières élections municipales en 2014. Trois listes sont constituées ayant comme chefs de file : Dominique Cap (divers droite), Gisèle Le Guennec (divers gauche et centre droit) et Claire Mallejac (PS et consorts). La liste de Gisèle Le Guennec se nomme "Plougastel à venir" tandis que celle de Claire Mallejac s'intitule "Vivons Plougastel Intensément". Je ne m'attarde pas sur la liste de Dominique Cap.
Les numéros 1, 2, et 4 s'associent à la démarche de 3. Tandis que 7 (qui d'ailleurs remplacera 8 aux pieds levés pour la tête de liste) a le soutien de 5, 6 et 8. Les résultats du premier tour, puisqu'il n'y en aura qu'un, sont implacables : Dominique Cap est réélu avec 50,38 % des suffrages exprimés, la liste de 7 : 29,77 % et 3 : 19,85 %. la consternation doit être vive dans les rangs de 3 et 7. A Plougastel, quand la gauche part divisé, les jeux sont perdus d'avance. Tous ceux qui suivent un tant soit peu la vie politique à Plougastel le savent. Mais il faut croire que l'on ne tire aucun enseignement de l'histoire, ce n'est pas propre à la commune, cela est plutôt intrinsèquement lié à la nature humaine, elle-même. Bref, les jeux sont faits. La partie suivante consiste à composer le conseil municipal. 
C'est en toute logique que 2,3 et 4 d'un côté puis 5,6, 7 et 8 de l'autre composent l'opposition à Dominique Cap, divisées en deux groupes distincts. Avec la particularité tout de même que 1 viendra remplacer 3 au cours du mandat. De sources fiables, 3 en aurait "pris plein la tête" après la déroute du premier tour. Je n'assommerai donc pas 3, malgré la remarque suivante qui est que, lorsque l'on est élue, on assume jusqu'au bout le mandat confié par des électeurs, car c'est remettre en cause l'utilité du suffrage universel direct, bien mis à mal par ailleurs. 
Donc 1 vient rejoindre 2 et 4 au sein du groupe "vivons Plougastel intensément". Arrêtons nous un instant sur la 4. 4 roule dorénavant et dans l'intervalle pour le nouveau parti "LREM" et devient le temps d'une élection législative la suppléante de Richard Ferrand, bête immonde, qui a dû s'en prendre à 3 après sa défaite, tous deux membres, encore à cette époque, du Parti socialiste. 1 et 2 se retrouvent certainement bien embarrassés de siéger dès lors avec 4. C'est d'autant plus cocasse que 1 tape régulièrement maintenant sur la tête de liste LREM où figure 4 pour les prochaines élections municipales de 2020. 
Est-ce que vous suivez toujours ? Venons-en alors aux prochaines municipales de 2020 puisque j'ai commencé à les évoquer. A voir les groupes en constitution, la zizanie règne entre les participants. Je ne reviens pas sur celle de 1, 2 avec la 4. Mais je m'interroge : suis-je le seul à soulever la confusion des styles à regarder la troisième partie de tableau ? Nous avons 1 et 2 qui partent avec 6 et 7 pourtant rivaux en 2014. La 4 rejoint la liste LREM, tandis que 5 et 8 prennent leur distance avec les 6 et 7 alors associés au sein du conseil municipal actuel.
Je me demande comment durant cette année de mandat, ils peuvent prendre des délibérations communes objectives (voir la dernière publication de "la Gariguette", rubrique "Tribune libre", de novembre dernier), disposer d'autant de marges de manœuvre consensuelles alors que la période pré-électorale est celle qui provoque le plus d'animosité et de rancœur entre les concurrents en lice. Ou alors, ils auraient pris pour habitude de faire silence, à l'image du mandat qu'ils ont exercé durant les six derniers années. Ce qui, concernant l'environnement à Plougastel, est malheureusement bien le cas. 


samedi 28 décembre 2019

Les vicissitudes d'une abeille sauvage VIII


suite II

suite III http://ddlabeillaud.blogspot.com/2019/11/les-vicissitudes-dune-abeille-sauvage.html

suite IV http://ddlabeillaud.blogspot.com/2019/11/les-vicissitudes-dune-abeille-sauvage_68.html

suite V
http://ddlabeillaud.blogspot.com/2019/12/les-vicissitudes-dune-abeille-sauvage.html

suite VI
http://ddlabeillaud.blogspot.com/2019/12/les-vicissitudes-dune-abeille-sauvage-vi.html

suite VII
http://ddlabeillaud.blogspot.com/2019/12/les-vicissitudes-dune-abeille-sauvage_16.html

Courriel de Didier, 13 juillet
Bonjour Bénédicte,
Depuis 15 jours maintenant j'ai tenté de comprendre ce qui m'arrive après tes nouvelles dispositions (le mot reniement était trop fort). Tout bien réfléchi je pense que plus qu'un choc émotionnel, je subis un choc psychologique car tes choix ont été violents. En effet, mentalement, je mettais préparer à vivre une nouvelle situation, qui demande à s'adapter à des conditions de vie quelque peu spartiates, certainement inconfortables, mais qui intrinsèquement m'emmener au-delà de ce que je vis aujourd’hui, faire corps avec mes aspirations les plus profondes et me retrouver en accord avec moi-même, accepter des épreuves que l'on assumera pour tendre vers plus de connaissance de soi et me rapprocher de mon bien être. C'est tout cela qui est remis en cause pour l'instant. Conséquences : de fortes perturbations se sont formées dans mon espace. Car aujourd'hui c'est compliqué : je ne suis pas en phase avec les enfants, et pas disponible complètement, j'ai donc demandé à Cathy de récupérer les enfants lundi. Fin juillet j'espère que j'irais mieux pour eux. C'est la première fois que ça arrive. Et tout s'enchaîne, réparation voiture, rappel impayés d’impôts (?), situation bancaire dans l'orange, troubles physiques qui me pèsent (talon d'Achille douloureux, ce qui me rend d'autant moins disponible pour les enfants car je suis plutôt du genre joueur, je ne peux plus me défouler par le sport,...).
Tu écris qu'il ne faut pas de long discours mais écrire pour moi est une thérapie. Tu es partisane de quoi d'ailleurs ?  Je le répète mais tu n'as pas vu que je voulais te laisser du temps pour te remettre de ta séparation avec l’affreux. Je ne comprends pas ton silence (plus de like sur FB par exemple pourquoi ? Ça n'a pas de sens...). Il me martyrise et m'affaiblit et donc me rend plus vulnérable, plus fragile, conditions idéales à des agissements absurdes. Nous ne sommes pas capables d'échanger en nous créant des règles d'usage comme juste utiliser les mails pour évoquer uniquement le quotidien ? Crois moi le mail est un bon moyen aussi de se protéger, en plus de la distance. Par contre prendre du recul c'est compréhensible surtout que tu devais assurer plein de choses en même temps, mais tu agis comme si j'étais le seul à avoir montré de l'amour pour l'autre. A l'inverse, je ne me serais pas permis d'agir comme ça. Tu ne pourras jamais effacer ce qui s'est passé entre nous. T'entendre parler, entendre ta voix, a été des moments de douceur et d'intensité inégalés, inhabituels. Et puis ce qui suit après n'est qu'un enchaînement d’errance de ma part. 
Maintenant je vais faire comme d'habitude, me soigner par mon engagement avec dédé l'Abeillaud, faire ce que j'ai annoncé pour nettoyer la bande côtière, tenter de me rendre disponible pour toi comme pour les autres (par exemple j'avais prévu de laver la vaisselle aux dépendances, ce sera fait avant ton arrivée en Bretagne).
Je ne suis pas en colère je ne l'ai jamais été, sinon je ne pourrais pas écrire tout ce qui me lie à toi. S'abandonner à la vie n'est pas une vue d'esprit, c'est LA réalité, en tout cas c'est la mienne, et stp cesse de croire que je serai d'une autre valeur que la tienne, je n'ai pas encore réussi à me séparer complètement du poids du passé et j'ai encore mes fragilités faute de mieux être.
Je t'embrasse affectueusement.

Courriel Didier, 15 juillet
Bonjour,
Hier soir j'ai oublié de te signaler que je ne pourrai pas remettre les clefs à ta voisine aujourd'hui car j'ai prévu une grosse fête samedi prochain. Les invitations sont lancées je ne peux plus annuler. Je te rends aussi le livre sur le taoïsme. Il est dédié aux esclaves et aux dominéEs. Il te convient mieux. Je m'aperçois au final que tu es dans l'immobilisme ce qui jusqu'à présent ne t'a pas réussi, affectivement. Je t'avais demandé de ne pas être admirative concernant mes engagements, il y a maintenant une bonne raison à cela : comme beaucoup d'autres tu n'es pas faite pour t'extirper de ton malentendu. Je ne veux plus de ton soutien. Le pire est que tu ne donnes pas de sens à tout ça et que tu te réfugies dans ce que tu crois être des acquis. Mais peut-être que tu as raison la condition humaine est subordonnée à l'obéissance et l'inconsistance. Et regarde où on en est aujourd'hui...On ne naît pas courageux, on le devient. 
L'illusion est faite de supercherie, la liberté de rêves. Tu as été une illusion, tu es corrompue par ce système et ce n'est pas parce que j'étais séduit par tes pratiques respectueuses de l'environnement que cela fait de toi une exception. Il te manque l'élan à t'extirper de ce que tu nommeras la raison. Cette raison qui dictée par notre pseudo conscience collective fait le jeu des plus puissants, "merci mon bon maître" comme le chantait Jacques Brel. Mais encore une fois, difficile de débattre là-dessus tant que le mental est aliéné par la contrainte. Je te remercie en tout cas. Tu as été une belle leçon de souffrance et de résignation, on n'a pas le droit de jouer avec les sentiments, bravo ! Là aussi tu t'en es bien sortie, Un inconnu pour toi ».
"L'espoir est une trahison. L'histoire est une leçon"
" Les tornades passent, le décor est ravagé mais le roseau ne se brise pas"
D'après le Bouddha "Tout est dukkha" - tout est souffrance. Pour soigner la sienne, Didier entreprend une nouvelle déambulation atypique dans quelques villes du Finistère au cœur du mois de Juillet. Il s'assigne comme mission la distribution de quelques 200 tracts sur l'écocide chimique toujours en cours au Viêt-Nam, sujet magistralement traité par André Bouny qu'il a accueilli en mai pour la projection de son documentaire (www.agent-orange-vietnam.org et http://ddlabeillaud.blogspot.fr/2014/07/viet-nam-et-largent-orange-de-monsanto.html). La situation est si épouvantable qu'il faut éviter de tomber dans les abîmes de la compassion et se soustraire à l'élan de pitié que pourraient caractériser nos premières émotions. La foi de Didier réside donc dans un déguisement d'abeille et la joie que peut susciter l'apparition d'un insecte XXL pour faire passer une information qui met en péril la Vie et le Vivant.
La suite ici "L'Abeillaud complètement à la rue..."
http://ddlabeillaud.blogspot.com/2014/07/labeillaud-completement-la-rue.html

cliché H Joel
sms de Bénédicte du 05 août
J’ai besoin de prendre du recul et d’être seule



vendredi 27 décembre 2019

Bazvalan



Bazvalan



À l’heure des Dépendances
Dis-leur, toi,

Bazvalan, Annonciateur de noces sauvages
Quel costume cousu de fil fin enfileras-tu ?
Quelle langue des landes as-tu pris en gage 
Pour que ces amants embrument la vertu

Bazvalan, Ambassadeur de baisers singés
Quel rituel sur le ribin récites-tu pour lors
Quel jalon joli jaillit de ton bâton genêt
Toi qui dote leur amour de boutons d’or ?

« Tailleur, très peu taiseux, je tiens la cordée
Sur le meunier, menant même haut la main
Devant le cabaretier, clapit à Kervasdoue
En tous les cas, je m’affaire sur le terrain 

Néanmoins, je m’enquis partout et par ici
Car la pie est un vil présage au passage
Sage est d’attendre et d’entendre, il est dit
La tourterelle à son tour tel un message

Je m’assigne à l’insigne auquel la mission
Me colore au bas de blanc et de rouge
Le bazh en guise de guide à conjuration
En genêt sans gêner les gonds qui se bougent

Si tisons et tenancières me saluent de dos
L’espoir de l’aspirant se vautre dans un refus
Si liqueur et crêpières trépignent aussitôt
Alors fiançailles et ripailles seront au menu »

Et pour les amants des Dépendances,
Dis-moi donc,
Toi, le bazvalan ? Mais que présages-tu ?

A ces amants, point besoin de mon soutien
Ni de bazh ni de balan à ces braves baladins
Le lien qui les unit a ruiné mon sort en chemin
C’est mieux ainsi, l’amour se moule en leur sein»




mercredi 25 décembre 2019

La vache et le bouquetin

En cette belle journée d’été le cirque de l’Encrenaz, garni par l’enchevêtrement de la chaîne du Bargy, héberge une chaleur hypnotique. Tout se prête à la somnolence sur un trapèze perché dans la latitude bleutée de moelleux. A l’exception de pierrailles à flore et de genévriers présents à cette  altitude, l’absence de végétation dense exclut pour le bouquetin un repli à l’ombre des pins situés, eux, à l’étage en-dessous. Cette limite est la limite au-delà de laquelle il ne s’aventure guère, préférant les pentes escarpées du flanc de la montagne et les grèves caillouteuses du massif alpin où il a élu domicile.


Les habitudes du bouquetin voudraient que, au creux de cette journée, son règne plonge dans l’abandon d’une profonde léthargie à même la rugosité d’une pelouse sauvage. Quoi de plus singulier alors que de percevoir le dessin d’un mouvement sur le versant du Bargy ? S’éloignant du pic du Midi, l’aspect se fait cependant plus précis. A cette distance, dépourvu de son poil épais, le bouquetin, enrobé de beige, pourrait, c’est vrai, se confondre avec la rocaille éboulée. Descendant encore, la vision s’affine. L’allure semble confuse, presque grossière. Elle manque d’agilité pour un animal à l’aise au sommet de son habileté quand il s’agit de gravir les éboulis et de slalomer sur les pentes abruptes. Au plus proche, la tension est palpable. Elle a un nom : la terreur. Elle règne en crispation et s’est flanquée dans les flancs de Bock. Comment pourrait-il en être autrement : Bock vient d’échapper à une première détonation dont le sifflement a tétanisé la tête. « Crétin ! Tu as loupé ton coup, nom de Dieu! » s’écrie Bernard en colère. Cette maladresse a fait bondir Bock qui, dans un sursaut de survie, dans un bond de cabri, a déguerpi. La meute de braconniers n’a pas pour autant lâché le raid : « Faut pas qu’y nous échappe tu comprends idiot ! Faut profiter de l’abattage autorisé par le Préfet pour tuer cette bestiole et récupérer les cornes. Tu sais combien ça vaut ? Y en a pour un paquet de pognons !», s’égosille Bernard, la langue bien pendue. Jean ne sait que trop bien combien elles valent. A la fédération de chasse les chiffres les plus fous circulent. Les cornes peuvent être trafiquées, en fonction de la taille, entre 2 500 et 16 000 euro ! Et Jean a vraiment besoin d’argent pour payer l’indivision à la satanée frangine !
La traque reprend sur les traces du mâle dont les cornes longuement recourbées vers l’arrière accroissent l’avidité des boucaniers. Bock s’expose de plus en plus à une vulnérable situation. L’ascension s’intensifie avec l’inclinaison. Le bouquetin suffoque malgré la langue dégagée de la cavité pour mieux laisser passer l’air. Des tremblements secouent l’animal. Les yeux, exorbités par la peur, ne voient pas que Jean a de nouveau pointé son arme. Cette fois-ci le coup est plus précis. Il vient déchirer la chair de la cuisse droite. S’ensuit une décharge violente qui contracte le corps. Bock s’arrête. « Je l’ai eu ! Je l’ai eu ! », s’exclame bruyamment le tireur. Complètement affolé, Bock s’élance de nouveau malgré la douleur et la béquille. L’animal se traîne. La sole est moins adhérente et glisse sous les débris rocailleux. La chute, inévitable, l’entraîne dans une excavation peu profonde, protégée au sommet par une touffe d’arbuste. Bock croit sa fin venir au contact du sol. Immobile, sa respiration ralentit, la vision se fait brouillard. Avant de sombrer complètement Bock pose un cataplasme sur ses pensées, soulagé par les dernières visions dédiées à sa vache d’amie, Charme d’Hérens. Par chance la nuit tombe sur les indices sanguins laissés par le bouquetin. Les braconniers, après un ratissage infructueux et des échanges houleux, doivent se résigner à abandonner l’animal à son sort. A défaut d’une tombe, le cirque de l’Encrenaz, le temps d’une belle journée, s’est paré des exclamations hystériques d’une arène.
Il est pourtant récent le temps des heures complices. La veille encore Bock le bouquetin joutait avec Charme, la vache d’Hérens. Depuis la première confrontation, ce face-à-face autour d’une pierre de sel posée lors du pacage, et jusqu’à ce jour, la rivalité entre ces deux animaux s’est blottie dans une amitié unique. Les combats réguliers n’avaient d’autre intérêt que de se conformer au tempérament vif des deux espèces. A vrai dire, Charme prenait généralement le dessus sur Bock car la génisse présente toutes les caractéristiques d’une future championne, d’une future reine, vouée aux traditionnels combats organisés en l’honneur de leur attitude exacerbée ou aussi souvent belliqueuse (d’où l’expression « peau de vache »). Les retrouvailles sont discrètes, les animaux peu enclin aux dialogues. Les échanges se font de front, dans le panache des crânes et l’apanage de la poussière. Les chocs ne sont pas brutaux, plutôt virils. D’ailleurs les assauts sont de courtes durées, Bock acceptant un second rôle idéal pour l’entrainement de Charme. La vache l’a compris et se garde bien d’afficher un mépris pour son adversaire. Au contraire. Le combat terminé, Charme témoigne sa reconnaissance indéfectible en lui léchant fougueusement le museau.
Les congénères de Charme voient par contre d’un très mauvais œil ce lien invraisemblable entre une vache et un bouquetin. Elles ne sont pas dupes. Elles savent ce qui se passe derrière la rangée de pins marquant la fin de l’alpage. Ce qui les gêne le plus ce n’est pas tant la mêlée des deux animaux mais les suspicions autour des bouquetins qui seraient porteurs de maladies transmissibles et mortelles. Charme se fiche éperdument du commérage des vieilles filles, étranglées par le collier épais des clarines. Elle n’en a cure de ces superstitions d’hommes. L’amitié avec Bock passe avant toute autre chose, quitte à se retrouver isolée dans le troupeau.

En cette nouvelle belle journée d’été, comme à son accoutumée, Charme s’éloigne du bétail et se dirige ardemment vers leur point de rendez-vous. Bock n’est pas arrivé. Il tarde même. « C’est étrange, cela ne lui ressemble pas. En général il est même en avance », se dit Charme à elle-même. « Tant pis, il faut en avoir le cœur net. Je dois aller voir plus haut ». La vache, soucieuse de ne pas voir son ami, se décide à franchir le petit mur de soutènement afin de s’engager sur les chemins du massif.  Après quelques instants, Charme se désespère, aucune réponse ne fait écho à l’appel de son cri : « Bock ! Bock ! Où es-tu ? C’est Charme ! ». La vache n’a jamais osé défier l’espace au-delà du mur de pins. Mais l’inquiétude de ne pas retrouver le bouquetin remplace tout bon sens domestique. Elle pressent maintenant qu’il est arrivé malheur à Bock. C’est au moment où Charme s’apprête à fondre en larmes qu'il se manifeste. Un cri sorti des entrailles de la terre indique une direction. Charme se précipite, avale la pente comme jamais. « Charme ! Je suis par là ! Dans le trou ! Tu m’entends ? ». Oui, Charme a entendu son ami, pourtant rendu invisible par l’obscurité. « Bock ! C’est moi ! Que t’est-il arrivé ? Que fais-tu dans ce trou ? Est ce que tout va bien ? Tu n’es pas blessé ? ». Bock, à peine remis de son traumatisme, ne trouve pas l’énergie pour répondre à la rafale de questions. « Ecoute Charme, je t’expliquerai plus tard. Je suis blessé à la cuisse mais je pense pouvoir remonter. La ravine a des paliers. Par contre j’ai besoin de soins pour panser la plaie. Crois-tu pouvoir m’aider ?
- Une blessure ? Des soins ? se répète en boucle la vache, une blessure, des soins,…une bless…oui j’ai une solution ! S’enthousiasme l’animal. La gentiane ! La gentiane peut cicatriser les plaies…mais comment faire pour te l’appliquer ?
- Oui c’est une très bonne idée, s’exclame Bock. Écoute-moi attentivement. Va voir de ma part Violette l’abeille, c’est la reine des bourdons. Elle se niche dans le muret près de l’endroit où l’on se retrouve. Elle saura quoi faire.
- La gentiane, Violette la reine, les bourdons, le muret…compte sur moi ! Je reviens dès que possible ! ».
Charme s’en retourne précipitamment au muret. La journée, s’affaissant lentement, ordonne à l’escadrille de bourdons de revenir décharger leur pollen au muret : « Aidez-moi s’il vous plaît ! Est-ce que je peux parler à votre reine ? A votre reine Violette ? ". La reine, toute interloquée par autant de fracas, se présente à l’opercule de son trou : « Que veux-tu de moi Charme d’Hérens ?", interpelle la reine des bourdons. Charme, essoufflée et émue, expose tant bien que mal la situation. Figée par le récit, Violette met un temps à s’en remettre : « La gentiane tu dis ? ». Complètement remise, la reine commande à ses troupes de siphonner le nectar des gentianes, et de revenir un par un déposer le liquide sur la langue de la vache. L’exécution est instantanée. Les centaines de bourdons absorbent, à s’en péter le jabot, un maximum de nectar. L’opération achevée chacun s’introduit dans la gueule de l’animal et dépose sa collecte. Au bout d’un certain moment la langue de Charme est recouverte de nectar. « Va maintenant, Reine d’Hérens ! Va sauver notre ami ! », l’encourage Violette. Charme est bien avisée dans la montée car la charge est ô combien précieuse. Bock, attentif au moindre bruit, sait au souffle de la vache que son amie est revenue, emplie de sa mission. Quelque peu reposé, il entreprend prudemment l’escalade de la paroi. La présence de Charme qui est un réconfort dans l’effort n’est point pareil au soulagement qu’il ressent quand il voit enfin la corpulence de la vache. Elle s’approche et sort la langue. Le nectar épais se répand sur la plaie. La douleur d’abord s’apaise. Puis, miraculeusement, la plaie se referme. L’allégresse allège alors l’anxiété.
« Comment pourrais-je te remercier Charme ! Sans ton secours, je pourrirais certainement au fond de ce ravin ». Attendrie par autant de reconnaissance, Charme ne peut retenir des larmes de joie, tout en léchant le museau de Bock !
- Me remercier ? Tu en fais déjà beaucoup pour que je devienne la championne des reines. Non, non ! Tu n’as pas à me remercier. Ta taille de trapu est idéale pour améliorer ma condition au combat et me tanner le cuir !». Soulagés de leur tracas, les animaux se réfugient de nouveau dans le rire. Mais Bock très vite s’éteint, baisse le regard et sent son cœur envahi par la tristesse ; ce qu’il va annoncer ne plaira pas à Charme.
« Tu sais j’ai profité de mon séjour forcé dans ce trou pour réfléchir et…je ne vois pas d’autre solutions pour moi que de… partir… ». Cette nouvelle s’abat sur Charme comme une décharge de plomb.
- Mais…
- Ne dis rien. Ma décision est prise et c’est la mienne... la montagne ici est trop dangereuse pour moi. Il faut que je m’accommode d’un autre refuge, ailleurs, plus loin, plus haut…les moments passés à tes côtés resteront à tout jamais gravés dans ma mémoire…tu es mon amie et tu le seras jusqu’au crépuscule de mon existence. Mais je dois m’en aller… ».
Charme, affligée par l’annonce de Bock, n’a pas songé à lever la tête pendant qu’il parlait. C’est au bruit du roulis des pierres que la vache s’est soudainement aperçue du départ du bouquetin. Elle savait qu’il était inutile de le poursuivre tout comme elle savait qu’il était inutile de le supplier, la condition animale ne le permet pas. Elle savait aussi que sa place était dans un parc à défaire ses rivales, adoubée par le tintamarre des sonnailles, serties à l'encolure. Ce ne fut pas l’amertume qui la poussa à regagner les pâturages mais le respect du choix d’un ami.
Charme d’Hérens participera à de nombreux combats. La tradition rurale exigeant des symboles, Charme en fut un. Ou plutôt Une. Une reine. La meilleure du cirque. Le temps de distraire les hommes. Lorsqu’ils l’envoyèrent à l’abattoir elle ne sut pas que cela annonçait le clou du spectacle pour finir comme un steak. Tout comme elle ne sut pas que Bock survécut à sa blessure et qu’il se réfugia dans des cols les plus reculés. Elle ne sut pas non plus qu’il engendra une multitude de cabris sauvages. Elle ne le sut pas. Non. Elle le pressentit.


Respect à : Matthieu Stelvio

Bouquetins : la médiation s'impose

dimanche 22 décembre 2019

Un triton dans la mare

D’hier à aujourd’hui, de jour comme de nuit,  la mare des Fosses Noires n’admet aucune indulgence envers une quelconque aquarelle aquatique. L’obscurité a son domaine, ce trou. Un trou qui, abandonné par l’usage, ressemble davantage à une vulgaire vasière, dont la cavité centrale plonge, à première vue et peut-être à s’y méprendre, à quatre pieds sous terre.
Ceinturée de plantains et de roseaux, la mare échappe au palabre des alentours et n’offre un repos qu’aux sangsues fangeuses et autres phytophages qui décortiquent le feuillage. Sa tempérance est aidée en cela par l’abondance de brume nécrophage. Et quand bien même la brume retirerait sa robe fadasse, beau présage à la chaleur de passage, la pluie surgit soudaine et, étouffe la lumière dans des nappes souterraines.  L’eau croupissante ajoute à l’inhospitalité de la mare. A part l’agitation désordonnée de quelques gerris en patrouille, qui rident sa toilette, ajoutant à son air un grand âge, l’eau semble, elle-même, sédimentée par le désœuvrement. Les rigueurs de l’hiver en veulent pour leur compte et attribuent une apparence cadavérique, voire mortifère, à l’atmosphère. Le seul avantage qui se soustrait de la gelée, pour le coup salutaire, est l’envahissement freiné des salicaires.
L’ambiance appartient au silence abyssal de la mare. Nulle envie pour l’homme de lézarder à ses côtés. Nul besoin de porter les lèvres au sel de sa surface. Qui fut alors cet intrus qui vint tritonner dans un tel marais ? Qui osa interrompre l’ineffable volonté antédiluvienne de la mare de se taire et se terrer ?  Pourtant, et s’étant bien gardée d’attirer le passant, la mare devint, malgré elle, le décorum d’un drame. Mais, après tout, n’était-ce pas là son devoir ? Voici son récit.
Aux bords intérieurs de la Bretagne, à la jonction des bassins versants de la Vilaine et de la Loire, le bocage nantais exhibe sa pilosité naturelle par des landes préservées. Les talus et les haies se tissent en mailles et s’étirent loin, dans des lignes courbées, souvent chevauchés par des chênes pédonculés. Servantes, les rivières Isac et Hocmard serpentent à travers les champs, selon la soif des occupants, abreuvant avec parcimonie les plus gourmands.  L’habitat sauvage s’apparente à une zone de refuge pour des espèces d’une grande rareté, disséminées dans les prairies humides et le bas marais, qui, selon les cas, rivalisent harmonieusement pour conserver certaines d’entre elles.
Le triton à crête et son homologue marbré, migrant au gré de leur existence, convoitaient de s’y établir, coexistant, indifférents, avec ceux qui croassaient à l’accueil de la mare. Les pratiques de procréation du triton ne revêtent aucune fantaisie, hormis une révélation rêvée pour un naturaliste tel qu'Arthur d’Isle du Dréneuc, en 1858 : le croisement sexué de la crête et du marbré donna naissance à un hybride, le triton de Blasius. Dévoiler sa population serait vain car les accouplements furent fortuits et probablement la résultante d’un interdit encombrant les désœuvrés en mal d’actes hardis.
 Clandestinement, le triton de Blasius s’établit au lieu-dit les Fosses Noires, dans les parages de Notre-Dame-des-Landes. Amphibien, il fit bien, au fil des saisons, de confondre son corps d’un noir verdâtre sur sa tranche supérieure et d’un aspect jaunâtre sur la frange inférieure. La nature l’a bien doté. La crête, dressée tout le long de l’arête dorsale, lui confère un air rebelle : intimider le prédateur est le rôle de cet attribut idéal.  Plus que belligérant, le triton de Blasius s’affirme résistant. Il ne lui en faudra d’ailleurs pas moins pour affronter un serf émérite, le laborantin.

Le laborantin est employé par l’Université d’Angers via le Groupe Écologique et de Conservation des Vertébrés. Ce laboratoire mena, en toute discrétion, une étude financée par l’Aéroport du Grand Ouest sur la biologie des populations de tritons et l'efficacité des éventuelles mesures compensatoires. Tout le secteur prévu pour l’implantation de l’infrastructure aéroportuaire fut passé au peigne fin. Denis Defage, le laborantin, et son équipe d’étudiants, procédèrent à des relevés de populations, annotèrent les lieux de repos et de reproduction, cartographièrent l’ensemble des mares. Une seule échappa à leur vigilance, la mare des Fosses Noires. Par là même, le triton de Blasius qui ne figurait sur aucun inventaire, fut ignoré. Les visiteurs pénétrèrent pourtant dans les Fosses Noires. Le manque de discernement et, à défaut d’acuité, la mare resta occulte à leurs yeux d’initiés. Peut-être était-ce le trop plein de zèle ou l’enveloppe épaisse remise par Vinci qui anima Denis Defage, mais le laborantin se montra plus coriace, plus aguerri et certainement plus présomptueux. Sa fouille l’emmena loin dans les Fosses Noires. La minutie était son meilleur outil et son allégeance sa meilleure ambulance.
Comme beaucoup d’étudiants en master de biologie, Defage connaissait la thèse selon laquelle, une autre espèce d’amphibien, du nom de « triton de Blasius »,  jusque là seulement, et prétendument découverte par Du Dréneuc, s’adonnait avec mesure aux joies de la prolifération. Seul, le naturaliste du 19ème siècle pu attester de la présence du triton de Blasius dans ces contrées marécageuses. Les paris, des plus audacieux, concluaient que cela relevait de la légende ou du fantasme de quelques chercheurs en mal de reconnaissance, Du Dréneuc tentant de dissimuler l’incommodante malchance de verser dans une carrière de crapahuteur crotté. Defage, souffrant certainement du peu d’empathie que soulevait sa condition, s’il jalousait les découvreurs, enviait les légendes. Les légendes entravent les consciences d’un mystère aussi épais que la brume des Fosses Noires. Elles se confinent dans les mémoires travesties, et, se destinent à épouser, œcuméniques, l’œuvre mystique des dieux.

Quelles que fussent ses motivations, Denis Defage parvint, après avoir franchi la palissade de roseaux, aux abords du trou d’eau. Les premiers examens de la mare ne soulevèrent guère chez le laborantin de brins d’entrain. La banalité de l’envol de la libellule, surprise, ou l’apathie indécente de la physe, peina le peu d’enthousiasme qui le fuyait. Il s’assit, agacé. Posa la sacoche près de lui, perturbé. Trifouilla la face émergée de la vase avec ses bottes, tracassé. S’immobilisa un bref instant, sidéré. Déplia prestement les jambes, décidé. Pencha le buste en avant et se mit à rire avec une jubilation qu’il ne se connaissait pas. Le triton de Blasius se montrait enfin ! L’animal, dérangé dans sa retraite, n’avait pour sursis que la poudre d’escampette. C’était sans compter sur la dextérité de Defage, tout excité, à l’idée d’entériner les exposés de Du Dréneuc, considéré, à tort, comme un excentrique ou, au pire, un affabulateur, mais surtout de se prêter au supplice de dissection du fameux Blasius, afin d’étaler au vu et au su de tous les curiosités spécifiques au spécimen. Defage saisit le triton de la main droite. De la main gauche tenta d’ouvrir la sacoche. Un regard à droite, puis un regard à gauche.  La seconde boucle résiste. Un regard à droite, puis un regard à gauche. La main gauche est fébrile tandis que, mouillée, la droite semble virile. Un regard à droite, puis un regard à gauche. Le temps à la main gauche de se soulager du labeur, le triton de la main droite a fugué comme un voleur. Defage se fige, foudroyé. Defage fulmine, se fourvoie. Il met la main droite dans la gauche et, tout en serrant le poing contre le front, se maudit. Les yeux fermés et sur les genoux, il reprend ses esprits. Il reviendra, c’est promis. Maintenant que la mare et le triton sont l’objet de sa convoitise, il reviendra, c’est écrit. Le triton, se pressentant trituré, trouva refuge dans les tréfonds de son trou. A l’affût il vit le vilain s’éloigner pour, au final, ne plus former qu’un voile. Dans l’immédiat, le danger s’est effacé. Mais s’il revenait ? Et peut-être plus nombreux ? C’est certain !
Si le dialogue est indigent entre le triton et le laborantin, les insectes, s’invectivant peu, s’échangent leur savoir sibyllin. Il en est un qui peut transformer l’eau en vin. Ce savoir, prisé par les sangsues, consiste à soulager leur sac du sang confisqué à un cadavre. Pour recueillir le liquide, un réceptacle est préférable. Ca tombe bien, dans sa précipitation, le laborantin a laissé choir sa gourde d’eau, encore pleine, dont le bouchon à visser a éclaté, conséquence du choc sur le sol. Le triton de Blasius, après avoir détaillé ses mésaventures aux sangsues de la mare, n’ordonne rien, confiant dans le sort réservé à l’eau de la gourde.
Le triton ne s’était pas leurré. Le lendemain, aux aurores, le laborantin revint seul. De peur de se faire abuser, Defage entreprit de ne pas divulguer ce qui pouvait faire sa renommée. Tandis qu’il s’apprêtait à poser des appâts, sensés éveiller l’appétit du lézard, Defage reconnut la gourde oubliée. Intrigué par l’odeur semblable à du vin, il la porta à la bouche. Comment dire ? Oui, c’est tout à fait ça, c’était à ravir ! Dans l’euphorie de l’orgie, Defage s’enivra. A tel point que l’alcool le fit sombrer dans un sommeil profond. Le réveil fut douloureux, des jambes jusqu’au sommet du crâne. L’obscurité ambiante, nappée de surcroît par un sinistre brouillard, dissimulait à Defage la mutation de ses pieds en nageoires. Il voulut se relever. Ne trouvant, cependant, aucune assise solide, le triton tituba dans le trou. La panique s’empara du laborantin. La vase aussi. L’eau s’agrippa au triton par des fers agrégés de gouttelettes.  Les roseaux ne furent pas en reste et s’assemblèrent en forme de voûte pour couvrir ce départ. Le triton eut beau se débattre, le dénouement n’avait comme issue que la mare. Une mare dont la cavité centrale plonge, à première vue et peut-être à s’y méprendre, à quatre pieds sous terre.
Epilogue
Une enquête de police fut diligentée. Les moyens de recherche, équipe cynophile, drones, gardes mobiles en faction autour de Notre-Dame-Des-Landes, déployés par le Préfet de Loire-Atlantique, s’avérèrent improductifs. La disparition de Denis Defage ne s’expliquait pas.
Un temps, des partisans de la Zone A Défendre, la ZAD, furent suspectés, car des altercations avaient déjà eu lieu dans le passé avec des équipes de naturalistes, rémunérés par l’Aéroport du Grand Ouest de Vinci. Les accusations et les incarcérations eurent comme résultat une recrudescence des affrontements entre les forces de l’ordre et les activistes écologiques.
Au bout de deux ans l’affaire dite du « triton », référence aux notes mystérieuses retrouvées chez le laborantin, fut classée. La Population, saisie par l'ampleur du drame, contraignit le Président de la République à décréter, dans une allocution télévisée, l’abandon du projet de l’aéroport de Notre-Dame-Des-Landes.

Amanite douce




Amanite douce


 Amanite tue-mouches. En Images. Dinosoria



Un hochequeue gris, toqué tout doux, hoquetait en cadence qu’il se toqua ce jour
Pour une amanite douce, amante malicieuse, d’où le matin même vit sa naissance
Même les écrits ocre d’une Chimère sont rares craignant d’être croqués à leur tour
Carence en prudence, donc, lui le volatile, s’enquît auprès d’elle sans méfiance

« Vous ne paraissez point pareil aux mêmes de votre espèce. Quel est donc ce don ?
-        Je naquis guidée par quiconque conquis, mais la nuit consumera mon trépas
     Ainsi dans cet unique moment d’éveil vous m’ôtez du sommeil profond
     Pour que vous puissiez céder mon règne à la prochaine Sainte Aliva
     Picotez, picotez, ô passionné passereau, becquetez les truffes de mon anneau
-        Ceci est hallucinant ! Sciemment ce sortilège scelle notre union par le poison    
      Qu’importe au fond que muscimole me rende mollasson, tel un moineau
     Je vénère ma vénéneuse et irrévérencieuse Vénitienne pour ce doux frisson ».



vendredi 20 décembre 2019

L'abeille et l'escargot. Fable pour les affligés

N'y a-t-il rien de plus ordinaire à observer qu'une abeille posée sur une fleur ? La voir se sacrifier consciencieusement à pomper du nectar. Hésiter à reprendre l'envol puis revenir avec frénésie pour éviter à la colonie une pénurie alimentaire.
Il fut en effet un temps où l'agitation des abeilles ne suscitait guère l'assiduité dévolue au naturaliste. L'environnement se familiarisait avec l'encombrement des pollinisateurs. Seul le bourdonnement dans des endroits inhospitaliers, localisé dans un bosquet de ronces ou perché dans le lierre de murets couronnés de tessons, attestait d'une fringante descente de nectar. 
Même si les ronces et le lierre sont toujours invasifs, prompts à s’incruster dans ces friches qui échappent à l'entretien, c'est l'abeille qui vient à manquer à l'appel, effondrée par l'anesthésie des consciences et l'agonie des responsabilités. Il suffit d'en parler, et pour preuve : l'abeille qui arrive par la gauche présente tous les symptômes d'une solitaire désorientée. Son vol, désynchronisé, oscille de façon aléatoire, à la dérive d'une ivresse à forte dose létale. Elle s'approche malgré tout du bois de Kervenal, échappant de peu, après un spasme de lucidité, au scratch sur la tôle d'une automobile. Cette manœuvre la contraint à piquer droit après le talus sur une souche morte mais creusée par le sommet. Le cratère lui évite une mort certaine. Ce qui ne l'empêche pas de rebondir une première puis une seconde fois et dans un tourbillon ultime, dans la paralysie de ses ailes éteintes, d'atterrir sur la coquille d'un escargot.



La réaction du locataire se fait attendre. Était-ce une coquille vide ? Non. La réaction de l'escargot se mesure en lenteur. Le pied se libère et, à l'ouverture, deux tentacules s'étirent, prudentes. "Qui vient ainsi perturber mon sommeil ?" s'étonne à l'étouffée Gaspard le gastéropode, quelque peu effrayé. L'examen oculaire de la chambre tapissée de mousses n'indique rien de particulier. Pourtant, en étirant bien la tentacule de droite, l’œil au sommet finit par deviner une masse inerte. Gaspard allonge le corps et parvient en deux reptations près de l'abeille. Car c'est bien ce que distinguent les tentacules : c'est une abeille ! "Mais que fait-elle ici ? Est-elle encore vivante ? Je dois m'en assurer", s'inquiète Gaspard. "Petite abeille, réveille-toi !  Tu es tombée sur ma coquille ! Hoho ! Hoho !" Rien n'y fait. L'abeille reste inanimée malgré la longueur de l'exclamation. Qu'à cela ne tienne, l'escargot rampe jusqu’à l'abeille, grimpe sur le corps et tente d'introduire sa bouche dans celle de l'abeille. Tout étonné encore de se retrouver projeté en arrière, Gaspard ne saurait dire si c'est la bave engluée sur sa tête ou bien la tentative d'intrusion qui a fait sursauter l'abeille. La réponse ne tarde pas : "Beurk ! Beurk ! C'est dégoûtant ! Mais que voulais-tu faire ? Me noyer ? s'écrie-t-elle, tout en recrachant la morve. 
- Tu es tombée sur ma coquille et pour te réanimer j'ai tenté le bouche à bouche. Je te pensais morte !
- Morte ! Mais j'ai bien failli mourir asphyxiée  !, gronde l'ouvrière,
- Je suis désolé... Ce n'est pas souvent que je croise une abeille tu sais. L'écart est considérable entre nos deux mondes. Tandis que  nous parcourons à peine la longueur d'un terrier de blaireau, vous avez, vous autres les abeilles, déjà réalisé plusieurs voyages dans la journée. Et puis tu voles haut dans les airs alors que moi, je rampe sur la terre..."dit l'escargot un peu envieux.
"- ...Bon, très bien...ne m'en veux pas...nous sommes d'un tempérament impulsif, nous les abeilles ...merci encore...". Le nouveau ton adopté par l'abeille incite Gaspard à ressortir les tentacules de sa coquille.
"Ouh ! Aïe ! Elle est quand même douloureuse cette chute. Vérifions que tout est en ordre de marche : 
Essai 1 : les ailes. RAS. 
Essai 2 : les pattes. RAS.
Essai 3 : les antennes. Bien !", se félicite triomphante l'abeille de nouveau posée sur ses pattes.
"- Je ne me suis pas présenté, dit l'escargot patientant avant de s'exprimer, "je m'appelle Gaspard et je suis un escargot de Quimper. Et toi comment t'appelles-tu ?
- Je suis dédée, ou Andrée la butineuse. Ma ruche est située au sommet des collines de Pontkalleg. Je ne comprends d'ailleurs pas ce qui s'est passé". Andrée frotte avec ses deux pattes avant toute la longueur des antennes afin de lui fournir une once de souvenirs : "Je me dirigeais vers le champ de colza pour un dernier transport de nectar...oui...
- Oui et ?, s'enquit Gaspard,
- Ne m'interromps pas s'il te plait ! Alors...je passe le talus des Douanes...j'évite un papillon à orchidées et je parviens dans le colza. Je suis surpris par l'atmosphère humide, c'est comme si...c'est comme si...il pleuvait de légères gouttelettes...c'est curieux, il n'y avait pas de nuages. Le fond sonore me faisait penser au vrombissement de plusieurs bourdons... Je sors étourdi du brouillard et c'est à partir de ce moment-là que je ne télécommande plus mon vol et...
- Et tu finis sur ma coquille !, se risque l'escargot de nouveau recroquevillé dans sa capsule.
- Voilà c'est ça, acquiesce dédée. Le voyage a été éprouvant. Il faut que je reprenne des forces. Demain je dois impérativement collecter du nectar. Accepterais-tu de m'héberger pour la nuit ?
- Mon logis est étroit mais tu es la bienvenue !" répond Gaspard, tout à la joie de pouvoir aider une abeille réputée frondeuse. L'escargot s'allonge, s'allonge, jusqu'à ce que la coquille ne présente plus de résistance. A la vue de la nudité de l'escargot, transformé en limace, dédée ne peut dissimuler un dégoût, souvenir infect du baiser du baveux. "Tu es gentil de me proposer ta coquille mais je me contenterai de quelques pics de pins". Le ton involontairement ferme de l'abeille dissuada Gaspard d'en entendre davantage et il retourna se blottir dans la coquille. Après tant de bouleversements, les deux minuscules héros ne tardent pas à s’engouffrer dans le sommeil. 
Il aurait pu s'éterniser s'ils n'avaient pas été soudainement réveillés par une secousse à chasser les biches. L'abeille est la première à se manifester: "Ce bruit me rappelle le bourdonnement d'hier. Je vais jeter un coup d’œil". Propulsée par les ailes, Andrée s'agrippe au sommet du tronc car la terre tremble terrible ! A terre, justement, Gaspard préfère rester dans sa coquille, se pensant en sécurité. L'examen à 360 °c met tous les sens de l'abeille en alerte. "Gregneugneu ! La situation est grave. Les gros insectes jaunes sont en train de tout détruire !". Ce que dédée prend pour des insectes sont en fait des engins de chantier. Des travaux d'élargissement du chemin de Kervenal prévoient d'araser le talus et une bande boisée sur laquelle se trouve la souche de Gaspard. Le danger est imminent. La griffe avant de l'insecte jaune a déjà englouti une partie du talus et se rapproche à grande vitesse de la souche.
"Gaspard ! Gaspard ! Il ne faut pas rester là !" La voix d'Andrée est couverte par le moteur du tracteur et le fracas des racines. Enfoui dans sa coquille, l'escargot n'entend pas.
L'abeille redescend dans le trou : "Gaspard, dépêche-toi ! Un gros insecte jaune détruit le bois et le talus, on ne peut pas rester là !" Une voix effrayée sort de la coquille "Je suis trop lent pour m'échapper ! Et puis il me faudrait grimper. Je prendrais trop de temps. Va- t-en, petite abeille ! Je t'ai sauvée une fois, je ne voudrais pas qu'il t'arrive malheur !". Hors de question pour dédée de laisser son nouvel ami. Les six pattes de l'abeille agrippent la coquille. L'effort est violent pour les ailes et les secousses qui se rapprochent ne sont pas faites pour faciliter le décollage. Les pattes se tendent au maximum. Andrée tire, tire encore. Ca y est ! L'escargot prend de la hauteur. Le chargement est lourd et l'ascension est périlleuse. Les deux comparses ont tout juste franchi le sommet que l'insecte jaune dévore la souche. S'éloigner. Ne pas se retourner. Tenir. Ce convoi peu orthodoxe fige un enfant du voisinage qui, attiré par les gros tracteurs, s'est approché et s'étonne de voir un escargot voler avec comme pilote une abeille. L'ouvrière, imperturbable, ne voit pas que l'enfant a percuté une poubelle avec son vélo. 
Après une cinquantaine de mètres, Andrée commence à sentir les forces l'abandonner. La cargaison de l'abeille finit par peser. Gaspard, se trouvant dans une posture inhabituelle, se sentant hors de danger, a retrouvé une certaine sérénité et profite de ce voyage pour sortir ses tentacules. "Prendre de la hauteur, c'est magnifique ! C'est magnifique !" exulte- t-il. 
Le contact avec le sol est moins exaltant. Andrée, à bout de force, a lâché le gastéropode dans une poignée de fougères. L'abeille est épuisée et s'affale aux côtés de l'escargot. 
Les insectes mettent un peu de temps pour se remettre de leurs émotions, différentes, que l'on soit abeille ou escargot : "Merci ! Merci Andrée ! s'exclame Gaspard.
- Je te le devais bien, lui répond l'abeille encore tout essoufflée, l'insecte jaune t'aurait avalé avec la souche,
- Oui merci aussi pour ça !
- Aussi pour ça ?
- Tu m'as offert le rêve de tout escargot,
- Quoi donc ?
- Voler...".
L'enfant, remis de sa chute, s'est précipité vers l'endroit où il aperçut pour la dernière fois le convoi. Ses mains plongent dans les fougères. Plusieurs fois. Mais en vain. C'est dépité qu'il se voit contraint d'abandonner sa recherche. 
A n'en pas douter, si son esprit avait accueilli le silence puissant de la Nature, il aurait pu distinguer ces imperceptibles éclats de rires qu'il a confondus avec un bourdonnement.

                                    
Dessin : Marcel de la gare