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dimanche 31 octobre 2021

Au coin du cimetière

J'ai cloué un cimetière dans mon salon. Il n'a pas d'enclos ni de murs hauts, et pas vraiment de cadavres. Aucun craillement de gravillons ni de vils voyeurs ni d'oiseaux de mauvaises augures grimés derrière des chrysanthèmes. Surtout pas. Le mien est perpétuellement visitable et s'expose à mes regards fugaces, à mes souvenirs doués pour la mélancolie. Il est silencieux et n'est pas encombré par de funestes apparats.

Les tombes sont des fenêtres sur leurs visages, à tout jamais blanchis sur le papier. Seule, une plaque fine et transparente nous sépare et je pourrais presque toucher de la main leurs vêtements démodés, salis par la poussière ou leurs cheveux rabougris par la pâleur du soleil. Mes visites sentent le printemps mais de préférence l'automne. Les feuilles blafardes, piétinées par la pluie, ou cramoisies par le vent, ont tout d'un linceul.

Il se dégage de ce cimetière des odeurs de tendresses familiales, des effluves d'amour amical. Il est sain d'être aimé et de pouvoir aimer à en mourir, de sentir l'accolade d'un ami ou les baisers de mémé quel que soit son prénom, Marie-Véronique comme Eldegarde; je ressens encore sur moi l'attention de leurs yeux qui laissaient échapper des frissons affectueux. Mon dieu... Papa... Pourquoi partir si tôt ? Marc et Thierry pouvaient attendre encore un peu... Mourir à l'âge canonique de Pierre ou même de pépé François n'est pas un fardeau.

Le cimetière m'a concédé temporairement 5 cadres avec 7 défunts empaquetés. Car l'effroi me saisit déjà à l'idée d'élargir sa concession en calfeutrant de nouveaux portraits. Jusqu'à ce que, à mon tour, je vienne m'allonger auprès d'eux. Alors, je ne sentirai plus les fleurs du printemps ni les feuilles d'automne mais de nouveau les bras de ma mère, ceux sa mère avant elle et puis les mains de celles que l'on n'a pas connu. 

Après que la mort ait agrippé ma carcasse, restera-t'il quelqu'un pour venir me voir au coin du cimetière ?


vendredi 29 octobre 2021

"Demeter" j'ai gouté, c'est délétère


Septembre 2020, Plougastel-Daoulas, récit inspiré de faits réels.

"Allo ! David ? C'est Vincent Esnault,
- Ah ! Salut Vincent, comment vas-tu ?"
Vincent Esnault est l'un des rares adhérents d'EELV, élu à Fouesnant, que j'apprécie pour son engagement sincère, ses actions concrètes et son franc-parler. Avec "A quoi ça serre" nous l'avions invité en 2018 pour qu'il évoque la loi Littoral lors d'une soirée-débat en compagnie d'un avocat spécialisé sur le sujet.
"Dis moi, j'ai mon collègue de Plougastel qui m'a parlé d'un truc qui se passait avec des extensions de serres et l'effacement de parcelles par un remblai et j'ai vu la publication de ta photo (ci-dessous). Est-ce que tu sais de quoi il s'agit ?
- Oui, je suppose que ton ami a évoqué la situation des extensions de serres de la famille Le Bot à Breilez,
- Je suis à Plougastel la semaine prochaine, tu pourrais me montrer ?
- Oui bien-sur. On confirme ton passage ?
- D'accord, bye !
- A bientôt."
Chantier du remblai. L'arbre a fini par être abattu

Quelques jours plus tard, nous finalisons le rendez-vous sur les réseaux sociaux, en mode public. Echanges : 

Comme convenu nous nous retrouvons sur le parking, je convie pour l'occasion un autre adhérent d"A quoi ça serre". Avec Franck O. nous expliquons à Vincent le cas des serres "Le Bot". Ces serristes, producteurs industriels de fraises en hors-sol, sont l'exemple même d'une dérive litigieuse, en amassant des terres excavées probablement polluées, provenant du site de la nouvelle école publique "Mona Ozouf". Une terre qui aurait dû être entreposée sur un site spécifique, mais qu'"on" a préféré acheminer sur une parcelle par un ballet incessant de camions-bennes dans des ruelles de villages, dont les largeurs sont inadaptées au gabarit des engins. Ces manœuvres sont donc faites en toute illégalité, à la convenance des serristes. L'opacité reste une règle dans des chantiers municipaux à Plougastel. C'est ce que l'on pourrait qualifier de "petits arrangements entre amis". 
Je propose de servir de chauffeur dans une AX qui ne passe pas inaperçu. Comme la fourgonnette de la gendarmerie que je finis par distinguer dans le rétro. Je comprends quand je tourne à droite dans la ruelle qui descend au village de breilez, que la gendarmerie nous piste. J'en informe mes passagers quelque peu sidérés. Nous avions en effet prévu qu'une visite de terrain, sans pénétrer sur les parcelles visées, sachant que le chantier en cours est visible de la route et plus particulièrement d'un sentier communal que les serristes avaient tout de même tenté d'effacer en le privatisant. 
Je me gare sur le bas côté à l'entrée du site. Les gendarmes font de même. Je sors : "Bonjour, c'est pour quoi ? demandais-je peu crédule,
"Vous savez pour quoi, me répond un gendarme passablement agacé,
- Ah non je ne vois pas pour quoi". Ce que l'on finit par voir par contre c'est l'attroupement qui vient de se former autour de nous : les 3 gendarmes et la famille Le Bot, dont le patriarcat et les fils qui sortent soudainement de nulle part.
S'en suit une série d'échanges infructueux, de propos grotesques et d'attitudes nerveuses. Mes camarades préfèrent vainement discuter avec les serristes pendant que je m'exerce à freiner l'ardeur des assauts du père Le Bot. "Moi aussi je vais venir prendre des photos chez toi ! Oh ben t'as qu'à venir j'habite dans un immeuble". "Garde la distance physique, t'approche pas de moi Le Bot !" (mesures sanitaires obligent). Ce n'est pas la première fois que j'ai affaire à ce genre d'énergumènes, je finis par me lasser. Un gendarme s'approche avec un carnet : "Votre identité s'il vous plait ? Vous la connaissez déjà". "Pourquoi êtes-vous ici ? Je me promène." Fermer le ban. Ils ne peuvent rien entreprendre, nous sommes restés sur la voie publique, sachant que la loi ne condamne pas l'accès à une parcelle qualifiée de privée.
Le retour jusqu'au parking du Super _ nous permet de faire le point. Déjà on relève que mes publications sont épiées, puis que nous avons été suivis à partir de notre point de départ. Inquiétant tout de même que des gendarmes se mobilisent activement dans ce cas de figure (et sur ordre de qui ?)  alors que lorsqu'il s'agit d'enquêter suite à ma plainte pour détérioration volontaire de matériel professionnel, la plainte est archivée et que dans certaines situations dénoncées par "A quoi ça serre", les gendarmes semblent décidés à faire le strict minimum.
Par contre quand il s'agit d'appliquer à la lettre voire à la marge comme cette fois-ci (ce qui nous interroge donc sur les abus de pouvoir et sur leur volonté d'intimidations) le dispositif de la cellule "Demeter" conventionnée entre la Fnsea et l'Etat, est exécuté avec zèle. Car en effet à aucun moment les agriculteurs se sont retrouvés dans une situation d'insécurité manifeste. Je peux donc conclure à un abus de pouvoir qui en dit long sur l'ambiance délétère, dégradée à cause de ce type d'agissements préoccupants et qui piétinent notre droit à l'information citoyenne. En fin de compte je reste sidéré de voir la gendarmerie, et par voie de conséquence l'Etat français, protéger de probables pollueurs et nous faire passer pour de véritables délinquants.

de g. à d., Vincent Esnault et David Derrien

Les opposants à l’agriculture intensive dans le viseur de la cellule Demeter

mercredi 27 octobre 2021

L'emploi agricole de migrants. Un mal nécessaire ?

 "On va avoir des besoins dans les serres de tomates", titrée la presse régionale bretonne en 2020, à propos des campagnes de recrutement pilotées par l'Anefa1 du Finistère. Et les besoins en saisonniers agricoles sont conséquents notamment dans les communes limitrophes de Brest, où l'implantation de serres industrielles s'est accélérée ces dernières années. D'après l'Insee (chiffres de 2018) les postes saisonniers dans les productions de culture de légumes (plein champ et hors-sol, en conventionnel ou en AB)  représentent plus de 25 % de la proportion des postes saisonniers disponibles dans les exploitations agricoles en Bretagne. L'Insee précise que ce fort recours dans cette main-d'œuvre se concentre entre avril et septembre de chaque année, majoritairement déployée dans le hors-sol, afin de répondre aux nécessités de récoltes de tomates ou de fraises. La région brestoise n'échappe pas à ce constat et notamment à Plougastel-Daoulas, siège de Saveol, principale coopérative industrielle sur ce secteur d'activité. 

Oui mais voilà, la pénibilité des tâches, les cadences de travail imposées par les gains de productivité, les pressions exercées sur les salariés par les exploitants agricoles, une rémunération inférieure à ce que cela induit de sollicitations physiques, l'opacité des conditions de travail en l'absence de syndicats, sans oublier les potentiels passages de fongicides impactant la santé des ouvriers, ont découragé plus d'un volontaire breton. Jusqu'à être qualifié de "fainéant" par un agro-industriel de la fraise, à force de ne pouvoir recruter sur le bassin d'emplois brestois. Sans remettre en cause la façon d'exercer leur métier, les agro-industriels se sont d'abord tournés vers l'Europe afin de palier à la forte pénurie en main-d'œuvre. Ils ont alors fait appel aux travailleurs détachés, essentiellement des femmes originaires de pays de l'Est. La mobilisation de ces ouvrières n'a toutefois pas suffit à répondre aux exigences du marché mondialisé de la tomate industrielle : il faut produire toujours davantage à cause de la concurrence, quitte à incinérer des tonnes de légumes qui ne pourront pas être écoulés sur le marché. On a donc vu arriver sur la région brestoise, depuis le milieu des années 2010, un nouveau profil de postulant, non caucasien, hors des frontières européennes, le migrant de l'Afrique subsaharienne. 

Jeunes migrants provenant des serres industrielles

A n'en pas douter ces centaines de jeunes africains déferlants à pied sur les routes étroites de Plougastel (et certainement sur d'autres communes en périphérie de Brest), sont en règle concernant leurs droits de séjour sur le territoire français, sinon à soupçonner Pôle emploi et l'Anefa de travail illégal  ! Il est dit que pour travailler en France : "tout ressortissant étranger doit être titulaire d'une autorisation de travail qui est comprise soit dans un titre de séjour, soit dans un autre document". Mieux, l'Etat français encourage l'insertion des réfugiés par l'emploi (communiqué de Murielle Penicaud, Ministre du travail, octobre 2018). Généralement francophones, ces nouveaux agents-serristes, hommes ou femmes, pourront profiter de ces conditions d'intégration, surtout si la pratique religieuse n'est pas pris en compte dans les critères d'embauche. La France doit donc garantir à cette nouvelle population la possibilité de pratiquer l'Islam, protégée en cela par la loi française et les codes dictés par la laïcité (d'après certaines sources l'Afrique compterait jusqu'à 45 % de Musulmans) et ignorer la propagande de la "préférence nationale".  

Quoiqu'on en pense, ces salariés, s'ils participent malheureusement à l'effort économique de cette activité, extrêmement présente dans le Finistère, arrosent également par leur pouvoir d'achat tout un ensemble de commerces et de services. Ils viennent qui plus est, se loger dans les complexes de l'HLM de Brest, palliant ainsi à la désaffection du Français préférant la maison pavillonnaire, assurant enfin en parallèle le maintien de la population brestoise qui avait tendance à décliner. On peut surement avancer, sans s'aventurer dans l'approximation, que grâce à ces emplois maintenus le consommateur local pourra encore bénéficier d'une offre appréciée pour ce type de produits devenus accessibles toute l'année, dont l'achat lui est proposé à grande échelle dans le secteur tout entier de la distribution. Ce renfort provenant de l'étranger n'est pas nouveau quand on se souvient des embauches dans les métiers inoccupés dans le tertiaire, possibles et consécutives aux vagues de migrations africaines qui se sont succédé après la seconde guerre mondiale. Cet emploi était très souvent associé à des métiers pénibles, dégradants et mal payés, que les Français dénigraient et très souvent à juste titre. 

Le recours aux travailleurs immigrés souhaitant s'intégrer et, éventuellement demander la citoyenneté française, dans le cas où elle reste une panacée, est-il un mal nécessaire ? Du point de vue de l'Etat et de ses services, des chambres d'agriculture, des collectivités territoriales qui s'organisent notamment dans le transport en commun, et des agro-industriels pourvoyeurs d'une main d'œuvre moins réfractaire, leur positionnement respectif semble acquis s'il n'est pas consenti, à voir comment l'Anefa communique sur l'état civil bien français des demandeurs d'emploi. D'un autre point de vue, c'est-à-dire de celui qui se focalise à la fois autour des droits du travail et du type d'activités décrié par nombre d'écologistes, la raison sociale et l'accueil des migrants très souvent malmenés prévaut en l'état sur  les obligations environnementales et sur ce mode de production énergivore. Alors pourquoi doit-on supporter, planqués dans un racisme franchouillard ordinaire, les commentaires d'une analyse mensongère qui consisterait à prétendre que ces nouvelles populations, au demeurant très croyantes, participeraient, à cette échelle locale, à ce que certains décrivent comme le "grand remplacement" ? Il est inconcevable de réclamer leurs retours à la case africaine sans que cela soit préjudiciable au maintien d'une puissance économique française à laquelle de surcroit ils appellent de leurs vœux, surtout dans l'agriculture si chère aux Français ! 

En tout état de cause, quelle que soit la population, son origine et sa croyance (ou pas), il faut avant tout mettre un terme à l'oppression sociale exercée dans ces secteurs d'activité afin d'aider à la libération des individus. D'autres perspectives sociales existent à travers la révolution des consciences libertaires. 

1- l'Anefa : Association nationale emploi et formation dans l'agriculture



La vidéo montre des salariés d'origine subsaharienne en provenance des serres industrielles à Plougastel