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samedi 28 mai 2022

Elles, mes mères intérieures II

 Partie une https://ddlabeillaud.blogspot.com/2022/05/elles-mes-meres-interieures.html

Je n’ai jamais vu mémé avec une coiffe, qu’elle avait remplacée par une vulgaire perruque. Celle-ci camouflait une superbe tignasse blanche, dont la longueur des cheveux a toujours sidérée les yeux du petit garçon que j’étais. Je ne sais pas, réflexion faite aujourd’hui, pourquoi elle dissimulait une telle crinière. D’ailleurs son habillage avec blouses à petites fleurs, tuniques uniques de sa garde-robe, sertissant un corps alourdi, peu flatteur de ce qu’elle fut plus jeune, accentuait une impression de résignation. L’acharnement à humilier et à abaisser les Bretons de cette époque, y est peut-être pour quelque-chose. Je prends pour simple exemple la langue bretonne. Un jour qui avoisiné mes 10 ans je demandais à ma grand-mère de m’apprendre le breton, puisqu’elle le parlait couramment : « Mais pour quoi faire ? », me répondit-elle. Bien-sur, comme le formica, on lui avait tanné que parler le français était un ascenseur social évident et qu’il fallait radicalement qu’elle se débarrasse de son langage de plouc ! «Une tare vous dis-je. Vous n’arriverez à mater ces gueux que par la rupture brutale que vous leur infligerez en les coupant de leur vie rurale de bouseux et à commencer par le breton ! Envoyez-les à la ville et vous en ferez des domestiques dociles et corvéables à merci», aurait-on pu entendre dans la bouche de n’importe quel administrateur de l’Etat français, qui à priori n’était pas qu’antisémite sous la 3ème République.

Les femmes de Santec vivaient autant dans la simplicité
que dans la  ténacité (Mémé avec sa fille Marie-Hélène, ma mère) 

Comme beaucoup de femmes de cette époque mémé trimbalait beaucoup de certitude quant à la façon de se soigner, ce qui impliquait qu’elle n’allait pas souvent chez le médecin, car on se méfiait tout de même de ce charlatan. J’en prends pour preuve le jour où, suite à une chute tout à fait bénigne, il fallut tous les sermons de ma mère pour la convaincre de  diagnostiquer pourquoi elle souffrait autant de la main, après quelques journées sans se soucier de soins, pourtant nécessaires à sa guérison. Résultat : fracture du poignet. Quelque chose de plus émouvant était la façon dont elle pensait se prodiguer des soins. Sur la portion de la plage, que nous appelons « La Roche », située entre la Staol à gauche et le Theven à droite, se trouve encore aujourd’hui un amas de rochers et de goémons que nous nommons le « Kroazig ». A l’avant, une cuvette, qui retient l’eau lorsque la mer fait sa marée basse, avec à l’arrière une boursouflure rocheuse, protectrice du vent. Y sont piégés crabes et crustacés, mais aussi du varech, qui d’après mémé avait un effet curatif : « tu vois mon garçon, le fait de frotter mes jambes avec ce goémon facilite la circulation du sang ». Flac, flac, je l’ai souvent observée, là, penchée vers l’avant au milieu de l’étang, à saisir à pleine main une frange de verdure océanique, de l’autre main relever sa robe fleurette et frotter, frotter, devant, derrière, et encore devant. Flac, flac. Autour d’elle, le silence d’une mer éteinte, guère de vacarmes criards de mouettes affamées, si ce n’est le flac, flac du goémon, ni de touristes si mal fagotés, si peu nombreux, qu’ils ne faisaient pas le poids face à ce tableau « Gauguintesque ». J’ai respiré ce silence gargantuesque avec tant de vénération que j’en garde un souvenir d’allégeance à la Nature, inconsciemment surement mais si présent maintenant. Flac, flac. Même les bateaux amarrés-là se sont mis sur leur flanc en signe d’escale et se sont abandonnés dans ce décor que seule ma grand-mère faisait vivre. Au loin, le Roc-Santec, si opulent d’ordinaire, faisait pâle figure face à un tel déchaînement de gestes marines, flac, flac, mille fois répétés par elle, flac, flac et avant elle sa mère Jeanne, flac, flac et encore la mère de sa mère. Il existe quelque chose de plus solide que la pierre, de plus persistant que le temps qu’il fait, de plus patient que le faucon cendré, c’est la mémoire ; « la mémoire et la mer » comme chante Ferré. Mémé en était la réincarnation, la preuve vivante de la lavandière. Elle animait ainsi une flopée d’années, où les femmes de mon pays, proues face au vent, courbées dans le décor d’un champ, d’un lavoir, d’une flaque de mer, que surmontait une coiffe blanche, exaltaient la survivance. Peu enclin à la plainte, elles survolaient leurs conditions et ne s’agenouillaient que pour mieux se relever. Novembre n’était pas leur mois préféré, quand il fallait rejoindre St Pol, par une route peu carrossable, sur une charrette d’ânée qui te chahutait le dos à chaque passage chaloupé par l’ornière,  pour y vendre sur le marché, la récolte de l’instant, qu’elle soit de terre ou de mer ; les bigorneaux bigleux côtoyaient les carottes carotènes. Je rends hommage ici à leur Dignité, c’est une stèle granitique de Padrig Le Guen, que l’on aurait du ériger, à leur mémoire. Je suis si fier d’incarner aujourd’hui ce qu’Elles furent, car je le vît et le vis. Je sens dans mon intérieur, ma main posée sur leurs mains, mon pas à talon de terre effaçant leurs pas de sabot à sable. Je sens leurs souffles d’embruns sur mes paupières grenat, aux lucarnes pigmentées de vert, héritage qu’Elles m’ont laissé afin d’être leur fenêtre ouverte sur notre Monde.

Mes Mères parfument encore ces lieux, où les ajoncs jaunes d’antan ont laissé place à une steppe cotonneuse et désertique « trop dangereux, disaient-ils, le feu peut prendre en dedans. » Qu’importe l’absence des draps blancs qui couvraient les landes ! Errance depuis des lustres de voiles sans navire. Ils n’anéantiront pas ma vision contemplative. Ils n’y arriveront pas ! A travers moi ce sont ELLES qui reviennent. Je leurs laisse savourer l’instant, une poignée de temps. Revenir au Kroazig, chercher le goémon pour le champ, effrayer les mouettes en cri, savourer un brennig derrière la dune, réajuster sa coiffe quand le vent prend dedans, Sentir le froid frissonné dans l’échine rabattue. Digérer la faim viandarde, être happées par la brume, avaler sa congestion paralytique. Et puis, plus tard, ne retirer que les sabots et se baigner avec les blouses, par pudeur, sans se soucier de coquetteries. Rien ne doit m’être épargné, tant l’allégresse, tant la souffrance. Pour Elles je serai vainqueur des querelles citadelles et des batailles citadines. Pour Elles je lèverai le poing vers les étoiles. Pour Elles je braverai la Foi du dogme républicain.

Ha ni ‘z ey dre ma ‘z eyo, ya ni’z ey dre ma ‘z eyo. Mais ce n’est pas la peste d’Abernot qui nous rendra visite dans notre corps mourant. Je me joindrais à Mes Mères pour l’éternelle mémoire qui fait que nous restons vivants encore quelques décennies. A nous de l’entretenir et de la transmettre. Pour lors Elles ne se souciaient pas de savoir qu’Elles allaient engendrer, plus tard et maintenant, un iconoclaste fantassin. Je peux d’ailleurs sentir aujourd’hui la lutte qu’engendre ce mot qu’est la mémoire. Il ne s’agit pas ici de saluer la nostalgie mais de s’interroger sur ce que l’on devient sans mémoire.

mardi 24 mai 2022

Serres à tomates. Le bourdon deviendrait-il une espèce invasive ?

Le bourdon terrestre (ou appelé aussi "cul blanc") deviendrait-il une espèce de substitution à d'autres pollinisateurs à proximité immédiate des serres industrielles ? Avec la pollinisation intensive par les bourdons sous serres pour la production de tomates hors-sol, devenue un leitmotiv du greenwashing des industriels des coopératives bretonnes, la question mérite d'être posée. 

Au chili, pour ne prendre que cet exemple, plusieurs centaines de reines ont été importées dans les années 80 pour mettre en place des colonies afin de polliniser des cultures sous serres comme l'avocat ou la tomate. Le phénomène a perduré dans le temps avec de plus en plus d'importation de spécimens du bourdon terrestre, jusqu'à 1 million sur les vingt dernières années (source : site consoglobe, article de mai 2019). A cause de sorties clandestines et répétées du bourdon européen, la compétition avec les autres espèces indigènes, dont le bombus dahlbomii, met en grave péril l'existence de ces bourdons d'Amérique Latine. Il parait donc très probable que la Bretagne n'échappe pas à ce phénomène de remplacement des pollinisateurs qu'ils soient sauvages ou mellifères, là où sont implantées massivement les serres à tomates. 

Un bourdon sur une fleur
de tomate industrielle

Pour répondre aux interrogations des producteurs québecois, une étude complète sur la pollinisation de la tomate par le bourdon a été menée en 2006 par le "Réseau d'avertissements phytosanitaires" puis mise à jour en 2015, et qui jusqu'à preuve du contraire n'a pas son équivalente en France. On peut tout de même s'accorder à penser que les pratiques, si elles ne sont pas exactement identiques, n'en sont pas moins éloignées. Cette étude peut donc apporter un éclairage manifeste concernant l'impact sur la biodiversité locale d'une telle pratique de pollinisation industrielle considérée comme incontournable par les coopératives de producteurs.

Que dit cette étude sur l'introduction de ruches à bourdons dans les serres ? En résumé 400 ouvrières sont nécessaires pour couvrir 1 ha de plants à butiner. Une ruche de type A (comprenant une reine très active) offre le plus grand potentiel avec au démarrage 70 à 100 ouvrières pour terminer à 250 individus. Pour une surface de 2000 m2 l'industriel aura besoin d'introduire 1 ruche de type A tous les 4 à 5 semaines durant tout le temps de la production, soit une production étalée sur 8-9 mois, avec un démarrage en fin novembre. Un passage de l'étude aborde le sujet de la sortie des bourdons vers l'extérieur des serres. Les recommandations apportées par les auteurs semblent faites pour limiter ces sorties et ne déterminent pas de solutions définitives d'empêchement. 

La haie de consoudes en floraison
Pour évoquer la situation dans la région brestoise, la consoude très mellifère, implantée par un adhérent de l'association "A quoi ça serre" de Plougastel (29) sur une parcelle en bordure de l'Elorn, attire tout type de pollinisateurs mais plus particulièrement le bourdon à "cul blanc". En effet, durant le temps passé à observer la haie de consoudes, il a remarqué une proportion bien plus importante de ces individus que d'abeilles mellifères et de leurs cousines sauvages réunies. A savoir que la parcelle est située à 600 m. à vol d'oiseau des premiers abords des serres industrielles du lieu-dit "Le cosquer Saint-Jean". Avec des serres régulièrement aérées, la probabilité que des individus s'échappent est donc extrêmement élevée. On peut assurément parier que cette invasion du bourdon s'exerce ailleurs dès que les serres à tomates s'enkystent dans le paysage. Il ne s'agirait pas alors uniquement d'un effondrement de la biodiversité locale mais bien plus encore d'une homogénéisation des butineurs dans le cas présent, avec un renouvellement de générations de bourdons plus prégnant encore. 

Pourrions-nous faire l'économie d'une étude d'impact d'un système économique qui révélerait que son modèle industriel de pollinisation est néfaste pour la biodiversité locale ? A l'heure des choix de sauvegarde impérieux des insectes pollinisateurs la réponse est évidemment non. "A quoi ça serre" ne manquera pas de saisir qui de droit.


vendredi 20 mai 2022

Les Français n'aiment pas les Arabes, des Bretons non plus acte II

 Acte I https://ddlabeillaud.blogspot.com/2022/05/les-francais-naiment-pas-les-arabes-des.html

Suite à la publication de l'article "Une humaine dégradée", les réactions au sein de l'UDB sont assez contrastées même s'il faut se l'avouer, la réprobation est quasi-générale. J'ai sélectionné des extraits de courriels ou de courriers afin de retranscrire l'ambiance qui régnait à ce moment-là en interne au Parti. Chaque passage est accompagné d'une annotation comprenant le type de document, la date et les initiales du nom de chaque contributeur. Il est en effet inutile d'exposer l'identité des rédacteurs sachant que certaines personnes, si elles n'ont pas quitté l'UDB, sont décédées aujourd'hui. Il est essentiel plutôt de retenir la tournure dramaturgique de la situation, à cause d'une proportion immodérée de l'offuscation, un positionnement émotionnel qui nous éloigne automatiquement, et volontairement pour certains, de la source du problème.

Manifestation à Lorient en faveur des prisonniers politiques bretons.
Je suis l'auteur de la photo (04/08/02)

Dans un premier temps ce qui me frappe le plus à travers les nombreux commentaires, c'est l'état de stupéfaction dans lequel se trouve certains adhérents quand ils découvrent que je me serais attribué, par je ne sais quelle volonté, un grade honorifique, le titre de "directeur de publication" de l'An Emsaver. Il n'en est rien, comme déjà évoqué dans l'acte I, c'était plus une question de formalité administrative. D'ailleurs ma successeuse au bulletin de l'An Emsaver a conservé ce titre, ce qui démontre bien qu'il n'y avait pas besoin de suspecter chez moi une dimension surestimée de ma petite personne. Mais puisqu'ils sont animés par le goût du pouvoir ou par leur confusion dans le rôle surfait de Haut responsable, je ne pouvais pas en être exempt à leurs yeux.

Courrier du 20 juin 2005, K.G.


courriel du 18 juin 2005, M.G.

 A ce stade, il est quand même justifié de rappeler quelques faits établis

courriel du 14 juin 2005, D.D.

courriel du 24 juin 2005, F.F.

Avant de basculer dans le caractère majoritairement réprobateur, une petite douceur

courriel du 11 juin 2005, G.Q.

Il est question dans le passage ci-dessus d'engager une enquête interne pour clarifier la situation. D'autres s'expriment dans ce sens :

courriel du 20 juin 2005, M.G.

 Je propose dans ce contexte, et en tant que membre, d'inviter la principale victime au Bureau Politique (organe décisionnel du parti) qui a lieu à Becherel le 25 juin 2005. Sauf que :

courriel du 17 juin 2005, R.L.P.



Les principaux intéressés n'ont jamais participé à ce Bureau Politique et en définitif, sous la menace de la démission d'un des hauts responsables, l'idée d'une commission d'enquête a fini par être enterrée. Il ne fallait pas ajouter une crise à la crise. Le même R.L.P. (directeur de publication du Peuple Breton) interdit la publication d'un texte de Fatia Folgalvez dans le mensuel, alors que son remplaçant qui assure l'intérim en son absence l'accepte sans tergiversation. C'est une décision que R.L.P. prend seul et conformément à ses propres règles.

courriel du 17 juin, K.G.

Voilà, nous y sommes. Je me souviens encore qu'à la première lecture de ce qui suit je fus étonné de la grandiloquence des propos, l'outrance à son paroxysme, une méthode bien connue chez les politiciens. 

courrier du 20 juin 2005, K.G.

Ca vocifère sur une seconde page

courrier du 20 juin 2005, K.G.

Je retiendrai un point parmi ces tirades dithyrambiques : "son incapacité à placer l'intérêt général au-dessus de ses motivations personnelles". Lors de mon passage à Carhaix au début des années 2000, je fus responsable de la section locale du Kreiz Breizh. Avec ses 30 adhérents, nous n'avions plus regroupé autant de personnes à l'UDB depuis fort longtemps dans le Poher. Je m'engageai même au-delà du parti en étant à l'initiative de la coordination antirépressive de Bretagne (comité de soutien aux prisonniers politiques et à leurs familles) à Carhaix, avec une réunion publique réussie dans les locaux du centre culturel "Egin". L'intérêt général je le plaçais ailleurs que l'auteur, qui avait une vision bien plus opportuniste quand il se revendiquait de "l'intérêt général". 

A la sortie de cette période, je restais dans l'ombre des petits évènements marquants qui émaillaient l'Emsav et notamment celui de la présence d'élu.es de l'UDB au conseil régional de Bretagne. Et même si on cherchait à effacer cet engagement sincère, presque dévoué, au sein de l'Emsav à Carhaix, on ne pourrait pas me l'enlever. Je ne suis pas celui qui accueillait par le mépris la détresse d'une personne. 

A suivre...








mardi 17 mai 2022

Elles, mes mères intérieures

 

Novembre c’est le mois du deuil chez les Bretons. Quoique pas tout le mois, et pas pour tous les Bretons. Juste ce qu’il faut pour fleurir les cimetières de leurs plus beaux ornements, si éphémères à l’image de la vie. Ma famille, enfin celle de ma mère, ne s’est pas embarrassée de ce détail. La tombe de mes grands-parents un jour, ou peut-être une nuit, s’est affaissée et ne s’est plus redressée. Les services techniques de Santec ont du mettre bas la croix de granit qui ornait la tombe et qui risquait de se vautrer chez le voisin. Non mais imaginez un peu la scène ! Le cimetière de Santec est l’endroit le plus propre que je connaisse. Pas une brindille dans l’allée centrale, les gravillons donnent l’impression d’être javellisés pour les garder blancs, et s’il le faut les gars du service technique viendront les changer. Contrairement aux autres cimetières, celui de la commune est toute l’année fleuri, et au besoin, si la tempête est trop forte, on y mettra des fleurs en plastique. Chaque rangée est alignée au couteau. Pas un corps doit dépasser : t’as vécu à l’école dans un rang, t’as fait ton service militaire dans un rang, t’as travaillé dans un champ pour aligner les oignons que tu plantais en rang, à l’église, pareil ! Et bien même mort tu finis dans un rang !

Ici le silence à un nom : inclinaison. Dans tous les sens du terme d’ailleurs ; Quand tu longes le muret avant de rejoindre la salle des fêtes tu ne vois que des postérieures comme visage. La tête vers le bas, les femmes grattent et nettoient. Et au milieu de ces morts endimanchés, mon pépé et ma mémé qui font des leurs. Ils ont du encore s’engueuler en breton et ça a tellement bardé qu’ils ont fini par faire s’écrouler le toit de leur dernière demeure. D’ailleurs Novembre n’était pas mon mois préféré pour passer quelques jours dans leur maison d’avant, lorsqu’ils étaient vivants. Plutôt l’été, avec les cousins et cousines, mais surtout seul quand les vacances de Pâques se pointaient. J’ai une tendresse profonde pour cette époque, pour mes grands parents, notamment pour ma mémé, Marie-Véronique.

Que dire d’elle ? Quels souvenirs je garde d’elle ? J’ai en premier le souvenir d’une femme généreuse. Et comment cela aurait-il pu être autrement  pour une communiste ? Son affiliation n’avait rien de saugrenu dans ces années 50. A savoir quand même que Santec, enclave communiste depuis quelques générations, faisait figure de tâcheron rouge dans une région ancrée à droite avec une forte pratique religieuse. Donc ma grand-mère, Marie-Véronique, était communiste, et c’est la seule personne à qui j’ai trouvé aujourd’hui une raison valable de voter pour Georges Marchais,  lorsqu’elle me confia : « tu sais mon garçon, je vote pour lui, parce que je le trouve beau ! ». J’avoue que mémé manquait certainement de discernement sur la beauté masculine. Sa télévision en noir et blanc, avec un écran qui élargissait le haut du crâne de Georges Marchais, ne favorisait pas chez moi un enthousiasme débordant, c’est comme si je me méfiais déjà des staliniens et des hommes politiques, en général.

Ma mère chez sa mère et la TV ou l'on voyait G. Marchais

Les conditions de vie n’étaient pas étrangères au fait que mes grands-parents, et leurs parents avant eux, votaient pour le parti communiste. Pour la plupart, ils cumulaient les métiers pénibles de petits pêcheurs des côtes et celui d'agriculteurs de quelques lopins de terre sablonneuse, ou s’exiler sur St-Pol-de-Léon comme ouvrier agricole, dans un des dépôts de légumes qui fleurissaient autour de la gare, dans ces années d’après-guerre.

Après avoir quittés la Bretagne pendant quelques années pour s’installer en Normandie, mes grands-parents revinrent dans la fermette maternelle. Entre temps, le séjour en pays voisin ne fut pas des plus accueillants. Ma mère, qui est née à Tancarville,  me racontait que les Normands ne manquaient de leur faire rappeler qu’ils étaient des étrangers : « Allez-vous en sales Bretons ! Retournez chez vous ! Vous nous piquez notre travail ! ». J’en garde depuis cette révélation, un  ressentiment tenace envers eux. Une vision effroyable, et non moins exagérée du racisme français, qui s’est aujourd’hui abattu sur d’autres origines ethniques.

Divisée après le décès de ses parents, ma mémé hérita de l’aile gauche de la maison, alors que l’un de ses frères habitait la seconde moitié. Très vite un mur, construit par ce dernier, s’érigea pour séparer ces deux mondes. En effet, il paraissait assez improbable que son frère épousa une « témoin de Jéhovah », qui le converti à sa prophétie (mais l’amour rend tellement borgne). J’aime autant te dire que les relations entre voisins n’étaient pas toujours aux beaux fixes.

L’espace de vie était spartiate et les sanitaires des plus sommaires ; Mes grands-parents, avancée sociale française oblige, avaient opté pour des meubles en formica (en fait peu nombreux), comme beaucoup de leur génération et de leur niveau social. 3 pièces, sans compter la véranda, composaient la maison de mes vacances, dont 2 chambres non équipées de douche. Quant aux toilettes extérieures, une espèce de guérite faisait office de dépotoir et rassemblait une colonie de mouches, que mes cousins et moi, en été, prenions plaisir à éclater avec des élastiques contre la paroi. Le trou béant, qui servait d’urne à nos offrandes fécales, faisait l’objet d’une attention particulière de ma part, car je craignais parfois de tomber à l’intérieur et finir englouti dans ma propre merde, ou pire dans celle de mon prédécesseur, ce qui dans l’esprit d’un jeune garçon n’a rien de réjouissant. Pourtant ma mémé s’évertuait à lui donner un bel aspect à son chiot made in Breizh, sans fantaisies touristiques. Régulièrement, elle allait avec son seau, chercher du sable blanc, qu’elle récoltait sur la plage, toute proche. Ensuite, de façon méticuleuse, elle le répandait au pied du trône. Elle javellisait de façon régulière, à l’aide d’une brosse, ce cloaque de restes de repas, mélanges de pastis estival, agrémentés de barbecue merguez et de quelques maquereaux, de choux verts et patates servis l’hiver. Souci du détail, un couvercle venait, tant bien que mal, emprisonner les odeurs refoulées par le ressac gazéifié. 

Ce qui m’a toujours d’ailleurs étonné c’est de la voir pisser, à l’extérieur, contre le mur qui la séparait de chez son frère. Était-ce par provocation ou par simple habitude ? Soit dit en passant, ma mémé n’était pas la seule à réaliser cet exercice au grand air, périlleux si l’en est ; le long de la ruelle qui descendait jusqu’au limite de la plage de « la Roche », une poignée de récalcitrantes s’évertuait à prendre position, dos aux murets, jupon relevé, le jet dans la bonne direction. Ce qui en soit n’était pas évident pour certaines d’entre-elles car je me souviens d’une qui portait des bas et ne s’embarrassait pas de savoir ce que devenait son urine. Autant te dire que l’on ne trainait pas lorsque l’on s’approchait du pas de sa maison ! Mais ce n’est pas pour autant que l’hygiène était absente chez les miens. Au contraire ! Faute de ballon d’eau chaude suffisant pour se laver, les grands-parents faisaient bouillir de l’eau et se cachaient entre la machine à laver et le lavabo pour se frotter très fort. Mes grands-parents auraient du servir d’exemple pour certaines dans le quartier de la Roche. 

Je me souviens de nos visites enfantines chez les voisines lors des fêtes de fin d’année. Ma mère nous accompagnait chez des grandes tantes, veuves ou vieilles filles, logeant dans une maisonnette à 2 ou 3 pièces, dont le plafond ne favorisait pas les grandes tailles. La première chose qui te frappe c’est l’odeur d’urine, embaumée par la chaleur du poêle à huile. Nous ne manquions pas de bravoure mon premier frère et moi, car nous savions qu’au bout de notre épreuve, une poignée de bonbons, voire une pièce de 10 francs nous attendait. « Alors, tu as quel âge ? 9 ans ? Mais tu es grand pour ton âge ! » (le même souci du compliment) « Et toi c’est Thierry ? Ah non ! David… ah oui ! Tu es l’aîné alors ? » (le même souci de la mémoire).  Elles étaient vieilles nos grandes tantes, adorablement très vieilles. Emmitouflées dans un apparat noir corbeau, il y avait leurs sourires, où parfois s’échappaient quelques mots bretons. Des sourires parfois édentés, parfois surmontés d’une légère moustache, qui venaient rompre cet enfermement semi-obscur et étouffant. Il n’y avait guère que la coiffe « chokolodenn » pour donner une touche de clarté à leur quotidien.

A suivre

mardi 10 mai 2022

Les Français n'aiment pas les Arabes, des Bretons non plus

Partie I

Les dernières élections présidentielles ont confirmé ce qui s'avérait être sous-jacent, tapis dans l'ombre des conversations feutrées, les Français à près de 40 % des suffrages exprimés, n'aiment pas les Arabes. Est-ce à dire qu'ils sont racistes ? Pour un nombre important d'entre eux, sans aucun doute. Ce mal touche t-il le mouvement politique breton ? A une toute petite échelle, certainement.

Résumer la seule présence au second tour de Marine Le Pen au rejet des Gaulois de tout ce qui concerne, de près ou de loin, les populations originaires du Maghreb en France peut paraître léger voire arbitraire. Il faut pourtant comprendre les motivations des électeurs quand sur les thèmes sociaux programmés par Jean-Luc Mélenchon (retraite à 60 ans, le Smic à 1400 euro net,...) ils leur préfèrent ceux de la candidate d'extrême droite situés un rang en dessous. D'ailleurs, ce serait méconnaître la capacité de l'ignorance à faire des ravages au sein des populations les plus populaires, de celles des Français les plus laborieuses. Ca va au-delà de l'étranger s'installant dans un oasis de prospérité sociale que représenterait l'Eldorado français. l'Arabe lui est inquiétant, il met mal à l'aise surtout quand il défie le bien-vivre à la française envahissant les terrasses des cafés qui pourrait d'une certaine manière s'apparenter déjà à une invasion de leur espace public avant qu'ils migrent vers une ruralité très méfiante de l'inconnu. 

S'il faut stopper l'immigration elle est d'abord et avant tout liée au cauchemar pronostiqué du changement civilisationnel qu'impliquerait l'intégration progressive en France d'Arabes pratiquants l'islam, voire pire à leurs yeux et non à leurs connaissances. Mais en attendant que le basculement supposé ait lieu, confiner à la seule religion l'explication d'un tel ressentiment ne serait pas complet, il peut être historique et plus certainement culturel quand on se souvient de la mini-crise qui secoua l'Union Démocratique Bretonne en 2005 au sujet de situations discriminantes dont fût la cible une adhérente d'origine arabe, une crise dans l'Emsav carhaisien que les "leaders" de l'UDB tentaient de circonscrire à sa périphérie politique en s'étouffant dans l'indignation et l'outrance envers l'un des protagonistes que je fus dans cette affaire, moi-même adhérent du parti.

Alors pourquoi revisiter cette affaire plus de 20 ans après les faits ? D'abord à cause du sentiment persistant qu'un préjudice n'a pas été justement traité par l'UDB, se soldant de surcroît par la démission de ceux-là mêmes qui osèrent "laver le linge sale en famille". Ce qui m'incitait, empli par le dégoût qui m'habite encore, à m'éloigner du mouvement breton pendant une longue décennie. Et puis l'hésitation qui, alliée à la réflexion d'avoir à supporter d'éventuelles réactions qui supputeraient que je m'abandonnerais à un besoin de vengeance ou au regain d'une rancœur mal digérée, ont prolongé les mois de silence. Pour être totalement précis, je ne le fais pas en concertation avec la principale et unique victime, Fatia Folgalvez, qui mérite mieux que de la compassion. Il s'agit encore une fois de laver son honneur face au ressentiment exprimé par de soi-disant camarades de parti, toujours actifs pour certains dans leur fonction d'élu. On peut supposer qu'une agression raciale soit quelque peu similaire à une agression sexuelle, une honte dissimulée, une tâche indélébile dans la mémoire, une atteinte à la dignité humaine. La prescription ne devrait pas exister dans ces cas-là. La faute n'a pas été corrigée. J'ajoute enfin et je précise que l'UDB n'a jamais emprunté la voie impérieuse du fascisme ou de la xénophobie dans ses messages en interne ou dans ses communiqués politiques. Il s'agit ni plus ni moins que d'une faiblesse politicienne, une posture de non ingérence minable à propos de quelques imbéciles isolés, au regard du contexte électoral de l'époque à Carhaix, mais j'y reviendrai ultérieurement.

Courant 2004 j'intégrai le Bureau Politique de l'UDB. Je fus désigné responsable de l'édition d'un bulletin interne au parti, l"An emsaver". L'éditeur suggéra de m'attribuer le titre de "directeur de publication" puisque sa parution était accompagnée d'un numéro ISSN (identification de publication de numéros en série). Proche de la famille Folgalvez qui résidait à Carhaix j'eus écho du sort réservé à Fatia Folgalvez, que je retranscrivis 3 ans plus tard dans un article intitulé " Une humaine dégradée", dans le bulletin de mai 2005 dont voici la teneur :



A suivre...


dimanche 1 mai 2022

Transparence administrative, d'après la Cada c'est la cata !

Ce n'est pas "A quoi ça serre", association environnementale de Plougastel-Daoulas, mais la très sérieuse Cada (Commission à l'accès aux documents administratifs) qui le déplore : des administrations publiques, dont la mairie de Plougastel, sont hors la loi quand elles refusent d'accorder de plein droit à tout individu un accès dans le domaine public à des documents administratifs. 

A maintes reprises la Cada a pointé du doigt les insuffisances démocratiques
des élus de Plougastel (de g. à d. : JJ André et le maire Dominique Cap)

Pire, cette "mauvaise foi voire d'obstruction de certaines administrations" (extrait du rapport rédigé par la députée Paula Forteza, avril 2022), est anticonstitutionnelle selon toujours la rapporteuse, et contraire à l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : "la Société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration." Encore que nous pourrions admettre que les sollicitations adressées à la Cada puissent paraître abusives, sauf que : "un nombre important de ces sollicitations (environ 40 %) ne sont pas justifiées car elles correspondent à des situations ne posant pas de question juridique nouvelle et pour lesquelles les règles de communicabilité des documents sont clairement établies et parfaitement connues. Les administrations auraient donc dû y faire droit sans que notre intervention soit nécessaire", explique t-on dans un passage du rapport d'activité de la commission en 2022. 

Dans le concret d'"A quoi ça serre", l'obstruction peut aller très loin, jusqu'à tenter d'intimider vainement son président (en l'occurrence moi), par la présence physique du Directeur Général des services de la mairie de Plougastel, accompagné par son vice-maire Jean-Jacques André, et de le sommer de quitter le service d'urbanisme manu militari. Le grotesque de la situation m'étant des plus favorables, je ne me pressais point d'obtempérer et je continuais à consulter les documents recherchés et mis à ma disposition par le service. "Les administrations tardent à procéder à la communication des documents demandés, quand elles n'en réduisent pas à l'excès la portée, voire opposent, en toute mauvaise foi, une inertie persistante" rapportait déjà en 2013 la sénatrice Corinne Bouchoux.

"Quand les administrations traînent des pieds, même en cas d'avis favorable de la Cada, les demandeurs n'ont d'autres choix que de se tourner vers le Tribunal Administratif." (Extrait du rapport d'avril 2022). A chaque fois qu'"A quoi ça serre" a été contrainte de saisir la Cada, dans toutes les situations exposées par elle, la Cada a donné un avis favorable à la demande de l'association et continuera sûrement à se ranger derrière elle au regard du niveau de mépris du maire Dominique Cap envers les demandes légitimes d'"A quoi ça serre". 

Néanmoins les requêtes dès lors adressées au Tribunal Administratif de Rennes génèrent de nouvelles incertitudes quant à la finalité des décisions de la justice alors en possession de l'avis favorable de la Cada. Nonobstant les délais allongés de l'instruction, la constitution d'avocats pour la partie adverse, les jugements ne peuvent être définitifs; le défendeur a la possibilité de faire appel de la décision auprès du Tribunal Administratif de Nantes. Dans ce cas précis il convient au requérant d'être accompagné d'un avocat afin de lui assurer le respect de l'application du droit public initialement prévu par la loi. "Le rapport de force est alors très déséquilibré pour le demandeur, notamment en termes de ressources financières, temporelles et juridiques", précise un ancien adhérent de la Cada.

La conclusion de cet article revient à pronostiquer que, d'après toujours un ancien adhérent de la Cada : " Quand une demande est traitée dans le pire des cas par le mépris, dans le meilleur des cas pas l'oubli ou parce que l'administration a autre chose à faire, il est difficile ensuite d'avoir confiance dans les institutions." A titre personnel c'est effectivement le cas. 


Jean-Jacques André, adjoint au développement durable (sic) à Plougastel, avait tenté de m'intimider en me refusant l'accès à des documents administratifs, surement sur ordre du maire Dominique Cap. Dans ce court extrait, il confirme que, en tant que représentant d'une association de protection de l'environnement je ne peux pas avoir accès à un droit légitime pour n'importe quel autre citoyen

https://www.youtube.com/watch?v=zNfFdiIki4c