La décision récente de la commission européenne de suspendre l'usage de 3 insecticides néonicotinoïdes pour 2 ans, car reconnus comme facteurs déterminants dans la mortalité des abeilles, a suscité de nombreuses réactions et commentaires par des ONG environnementales ou par des organismes agricoles accrédités. Mais en dehors de l'Unaf, rappelons le, qui regroupe une majorité d'apiculteurs amateurs, moins impactés par des situations endémiques catastrophiques, il y a une voix que l'on entend moins, c'est celle des apiculteurs professionnels. Et si on tend l'oreille, on entend ceci : "C'est du pipeau !", s'époumone Alain DAVID, ancien apiculteur bio d'Argol (400 ruches), co-fondateur de la Ffap (1) ; "Il y a une lassitude" constate José NADAN (500 ruches), représentant du syndicat des apiculteurs professionnels en Bretagne. "Dans les années 90, nous étions les premiers à alerter sur les conséquences de l'usage de semences enrobées sur les pollinisateurs. Les firmes qui fabriquaient ces semences affirmaient qu'elles n'étaient pas toxiques pour les abeilles". 15 ans après, le monde professionnel apicole en Bretagne est en berne et désabusé, car dans l'immédiat l'hécatombe continue dans les ruchers et que tous les indicateurs de stabilité sont encore dans le rouge et certainement au-delà de ces deux prochaines années. "Ce qui complique la donne, c'est que le blé comme l'orge ne sont pas concernés par les interdictions et sont encore traités avec le gaucho" ajoute Alain David; le gaucho premier ennemi de l'abeille, d'une longue liste de nuisibles chimiques.
En compagnie d'Alain David lors d'une récolte de miel dans la vallée du restic à Brest |
Par ailleurs, c'est au début du printemps que la mortalité est la plus élevée lorsque les abeilles consomment le pollen toxique de maïs cruiser
stocké dans les ruches situées à proximité des parcelles. Couplé à des conditions climatiques perturbées, l'éclosion de nouveaux essaims se raréfie, entrainant une chute de la production de miel et au final une fragilité économique. "Les maïs 2013 ne sont pas encore fleuris. Ces intoxications dureront encore
pendant 2 ans et la suspension de ce même cruiser s'arrête dans 2 ans ! Tout est faussé" s'insurge Alain.
Interdiction de toutes les semences enrobées
Les apiculteurs s'accordent tous pour demander l’interdiction totale de la commercialisation en France des insecticides systémiques. En effet, l'autorisation de certaines cultures n'enlève pas la contamination dans le sol de substances qui peuvent être rémanentes jusqu'à 2 à 3 ans. L'exemple du gaucho (imidaclopride) sur orge est évocateur. "Lors de la rotation des cultures, si tu mets par exemple de la moutarde derrière de l'orge, le gaucho présent encore dans le sol va accompagner le plant de moutarde durant sa croissance" explique José. En fleurs, l'abeille viendra butiner la moutarde et sera intoxiquée.
Autre cas de figure le cruiser (thiaméthoxame) de Syngenta. Le cruiser ne concerne pas que le tournesol ou le maïs mais aussi des plants comme le petit pois. Sur des secteurs où son exploitation est massive pour répondre aux besoins industriels de la conserverie ou de la surgélation, les butineuses sont exposées car elles y collectent du pollen. Mais à juste titre l'attention est davantage
portée sur le maïs car culture omniprésente dans nos campagnes. Concernant la toxicité du cruiser, José prend l'exemple suivant : "un grain de maïs, un seul,
balancez le dans une cuve de 5000 litres d'eau, vous atteignez une
contamination de 0,126 microgramme/litre, soit au-dessus de la norme
européenne de 0,1 microgramme/litre pour l'eau potable". Semé à 100 000 grains/hectare, le potentiel de contamination d'un ha de maïs
Cruiser correspond donc à la contamination potentielle d'un demi milliard de
litres d'eau à 0,126 microgrammes/litre. Une partie de ce thiaméthoxame
arrivera inéluctablement à notre robinet car hyper soluble dans l'eau.
Intoxication par les poussières
Donc, nous avons 2 plantes, l'orge et le maïs, hyper toxiques à cause de l'enrobage, dont la teneur en pesticide est tellement concentrée qu'elles polluent le sol et son biotope, pour plusieurs années, intoxiquant l'abeille, à tel point que sa mortalité est foudroyante. Mais est ce que le constat s'arrête là ? N'y aurait-il pas d'autres conséquences à déplorer ? "Comme l'enrobage est collé aux graines de maïs, les agriculteurs ont obligation de tracter des semoirs automatiques qui auraient toutes les caractéristiques techniques avantageuses d'éviter la propagation dans l'atmosphère des poussières dégagées lors des semis. Or ils ne sont efficaces qu'à 50 %" avance l'apiculteur du Faouët. Phénomène de rejet de poussières que l'on observe également lors du battage de l'orge ou du blé. La poussière alors non confinée se disperse dans l'environnement. La propagation se fait par l'air et à fortiori ne se limite pas à l'obstacle que peut représenter un bois ou une forêt aux alentours. Il y a donc fort à parier que, en dehors des agriculteurs, premiers exposés, tout individu peut être concerné par la contamination résiduelle de pesticides. D'ailleurs José s'étonne du silence des associations de consommateurs sur le sujet alors que des traces de résidus chimiques ont été constatées sur des légumes (courgette, tomate...). "On admet que la dose létale 50 est une mesure au-delà de laquelle 50 % des individus meurent suite à l'exposition à une substance toxique". Plus la dose létale est faible, plus la substance est toxique. En comparaison ce seuil est 5000 fois moindre pour la thiaméthoxame que pour le DDT, produit lui interdit depuis longtemps.
Le dernier rapport de l’Inserm (2) confirme d'ailleurs des « présomptions fortes ou
moyennes » de lien entre l’exposition à des pesticides et le cancer de la prostate, myélomes multiples,
leucémie, Parkinson, Alzheimer, divers troubles cognitifs et des impacts
sur la fertilité et fécondabilité.
Cela doit conduire à une action publique forte et rapide en
matière de réduction de l’usage des pesticides et la mise en place de mesures de surveillance alimentaire pour protéger les populations. Il ne serait pas disproportionné d'affirmer que nous allons au devant de révélations sanitaires graves.
(1) (Fédération française des apiculteurs professionnels)
(2) (Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale)
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