Récit en cours de rédaction. Quand des Français étaient antisémites
Partie I
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D’abord
d’aspect pentagonal, la ville centrale extrêmement pourvue en édifices publics
majestueux, s’étale, semblant vouloir échapper à la rigidité du maillage rigoureux
des rues en forme de case. A part de larges pénétrantes fidèles au plan initial,
les ruelles juxtaposées, contraintes par des aléas topographiques, vagabondent
davantage même si l’architecture du bâti plus récent ne s’écarte par des
caractéristiques typiques des maisons vendéennes. Celle de la famille Mingam
est plutôt imposante et convient parfaitement au rang de gradé de Guy Mingam où
seule pourtant a résidé son absence pendant plus de 5 ans ; à peine
avait-il défait ses bagages qu’il devrait s’acquitter de ses engagements et
rejoindre son bataillon. Prise dans l’angle des rues de « Jeanne
d’Arc » et de « La Faisanderie », une tourelle carrée à 2 étages,
chapeautée d’un toit à larges pans, lorgne sur la partie mitoyenne plus modeste
par sa hauteur, elle aussi pourvue d’une toiture à l’identique. La propriété,
qui se prolonge par un large muret, laisse deviner un jardin foisonnant à voir
les différents arbres exhumant leurs protubérances feuillues dès l’hiver
oublié ou bien ébruitant des excitations d’enfants dues à des jeux suspendus par des
injonctions de la maîtresse de maison. A son sommet, une vieille vigne dégueule
sur les pierres scellées où elle s’est amoncelée mais piégée par endroit dans
ses entrelacs déborde par coulure puis s’évade vers le bas, à peine gênée par
la porte d’accès donnant sur la rue, et s’accroche vers le haut, agrippée à la
gouttière, arborant une ligne continue jusqu’à lécher les chevrons de la
toiture. De solides volets battants persiennés oblitèrent les fenêtres du
second étage alors que celles du niveau en dessous se trouvent entrouvertes. Si
le passant levait la tête à l’instant précis où il longeait cette maison de
maître, peut-être apercevrait-il partiellement la frimousse d’Anne-Marie qui,
campée sur la pointe de ses chaussures, épie habitée par une certaine fébrilité
le retour de sa mère, Huguette Mingam. Yves, son jeune frère, se trouve au
rez-de-chaussée dans la spacieuse cuisine, concentré en ce jour de vacances à
réviser ses leçons de français en compagnie de la couturière Mme Mérand ravaudant
des vêtements pour les enfants ; la chaleur dégagée par la cuisinière
alimentée par du charbon, facilitera l’habileté de ses mains moins abîmées par d’anciennes
crevasses. A cause de longues périodes de froid, que le rationnement de
charbons ne parvenait pas à chasser, le salon adjacent avait été délaissé
plusieurs années de suite, si ce n’est quelques intrusions furtives d’une
épouse embrunie saisissant les cadres de Guy, photographié en tenue militaire à
l’occasion de défilés et de commémorations, qu’elle s’empressait de serrer dans
ses bras afin de les encastrer viscéralement contre son corps ou bien qu’elle
occupait pour accéder au secrétariat et rédiger des lettres à destination de
son époux ou de sa famille en Algérie. De nombreuses autres pièces se vidaient
de ses occupants. Car à quoi bon s’attarder dans la chambre du dernier étage, à
quoi bon accéder dans une pièce blâmée par l’oisiveté d’anciennes mœurs et
d’étreintes éteintes, à quoi bon s’épancher davantage en larmes sur un lit
conjugal devenu terne et impersonnel, au point de la révulser parce qu’il
aurait été indigne de s’attarder dans un lit moelleux alors que son mari se
contentait d’une couche inconfortable et bien sommaire dans un environnement
hostile. Huguette Mingam préférera dès lors dormir chaque nuit auprès de son
fils, aussi pour soulager leurs terreurs respectives, ce qui n’était pas sans
occasionner une forme de jalousie chez Anne-Marie, au point de s’interroger sur
la bizarrerie de cette promiscuité inhabituelle surtout quand elle les
surprenait allongés à chuchoter des prières front contre front, signe d’une complicité vivace, à rebours de ce qu’elle subissait. Elle en subissait des
sévices par une mère un tantinet dépassée par une fille rétive à toute
obligation à l’exemple de ses refus répétés de céder à la soupe et aux pâtés de
tête. Et pour échapper à la sanction de la tapette à tapis, accessoire importé
depuis Tébessa, régulièrement soustrait de son emploi d’origine, s’engageait
entre la mère et la fille une course poursuite dans le jardin ou à travers le
potager. Anne-Marie n’a alors que pour
seul réconfort de sucer son index pour s’endormir tout comme elle le faisait
petite, ce qui à le don d’agacer sa mère. Puisque les fenêtres occultaient
la moindre forme physique des meubles du second étage, rendant les statuettes religieuses
muettes, Huguette Mingam devrait en faire de même et poser un sinapisme sombre
sur son désœuvrement. Seul comptait alors le bien-être des enfants, seules les
prières répétées, exécutées avec cagoterie, soulageraient sa détresse à force
de vœux à destination de son époux emprisonné, empêché par des fils de barbelés,
lui espérant le moins pire. « Oh ! Guy ! Qu’il est loin mon
pays, qu’il est loin le temps apaisé et béni de l’Algérie », se
répétait-elle en boucle à elle-même. Emplie d’une foi chrétienne dès le plus jeune âge,
celle-ci ne la quittera plus. En Vendée les occasions de cultes se multiplient
et Huguette Mingam tient à honorer de sa présence et certainement avec ferveur,
tout ce qui ne viendrait pas froisser son amour pour le Christ eu égard à
ses antécédents.
Monseigneur Cazaux |
Après Pâques,
les fidèles yonnais, regroupés dans une foule dense pouvant compter plus de
3000 personnes au premier rang duquel se positionnait la famille Mingam,
défilent dans la Procession de la « Fête-Dieu ». Huguette Mingam n’a pas de
superlatifs suffisants pour décrire auprès de ses enfants les reposoirs qu’elle
admet magnifiques. Avec les enfants elle se rendait invariablement aux
messes dominicales célébrées dans l’Eglise Saint Louis située au cœur du
Pentagone. Le recueillement fut répété à la maison et les « Notre
Père » s’enchaînaient quotidiennement à la lueur de bougies disposées sur
une tablette au bas de l’escalier grimpant en colimaçon dans les étages. Voisine de la photo du Christ, Huguette Mingam avait placé celle de son
mari. La photo de Monseigneur Cazaux, Prélat de Vendée, découpé à partir d’un
article de presse de « l’Etoile de Vendée » complétait cet
assemblage. Malgré les difficultés de transport, Huguette Mingam n’avait pas
voulu manquer l’intronisation de Monseigneur Cazaux à Luçon le 30 décembre 1942.
Les enfants et les Sœurs Clarisses du couvent de La Roche-sur-Yon l’accompagnèrent
dans ce périple. Elles se massèrent le long du parcours de la procession et
entamèrent des homélies en hommage au nouvel Evêque de Luçon. Au passage de Monseigneur
Cazaux, les fidèles acclamaient discrètement celui pour lequel ils apportaient
leur bénédiction. Les personnalités les plus éminentes et politiques du
département se joignirent aux célébrations épiscopales et prirent place dans
les premiers rangs de l’église. Préfet, Maires et Sénateurs reçurent les
salutations de l’Evêque en soulignant avec joie « ce signe de charité et
d’union qu’est la présence des autorités civiles à cette cérémonie. Tous
ensemble nous travaillerons à refaire la France » Conclut-il. Evidemment
il pourrait compter sur le concours des notables vendéens qui s’emploieront
« à refaire la France » derrière le Maréchal Pétain, garant de
traditions souveraines et rempart contre le Bolchevisme. Chacun gardait dans un
coin de la tête, l’ancienne carrière militaire de l’Evêque qui participa au
premier conflit majeur de 1914 puis avec le grade de Capitaine à l’entame de la
seconde guerre mondiale, avant d’être blessé pendant les combats de Saint
Hippolyte le 19 juin 1940. Ils se souvenaient aussi de son alignement sur les
positions du Maréchal Pétain jusqu’à évoquer le « miraculeux
Maréchal » dans un de ses discours. Si la puissance divine adoubait le
Chef de l’Etat, il n’y avait pas à tergiverser, qu’importe le silence
assourdissant de l’Evêque sur la question juive trouvant un écho quasi unitaire
dans la population locale. Puisque aucune autorité qu’elle soit religieuse ou
civile ne se prononçait défavorablement au sort réservé à leurs concitoyens, le
problème juif n’existait évidemment pas en Vendée.
L’absence
de Guy Mingam qui se prolongeait à partir de 1940, s’éternisant avec la guerre,
pesa sur le moral de son épouse, et des craintes irrationnelles et enfantines
rejaillissaient comme ce rêve, où petite fille, elle avait été kidnappée par
des romanichels puis libérée dans des conditions très floues. Elle en gardait
une peur ancrée au tréfonds de son âme et qui persista durant toute la guerre. Parfois
la terreur était-elle qu’Huguette Mingam se cachait dans le couloir, accroupie
derrière la porte d’entrée, obturant l’ouverture de la boîte aux lettres de crainte
que les deux ou trois romanichels, qui passaient par là, s’ingénient à entrer
dans la maison. Sur injonction pressante de leur mère, les enfants devaient se
tapir dans un coin, le temps qu’elle estimait nécessaire pour que les « intrus »
s’éloignent enfin. La soudaineté de ces agissements, guidée par on ne sait
quelle intention, pétrifiait une beauté qui n’était pas prédisposée à supporter
de tels désagréments. L’instabilité de ces sentiments dévorait, jour après jour
et au fur et à mesure d’un désarroi qui la surpassait, les traits élégants de
son visage. A tel point que la crispation quasi permanente dont elle supportait
la sentence mystique depuis le décès de leur aînée, accélérait un
vieillissement bien trop prématuré, que le port de vêtements partiellement
limés à force d’être régulièrement vêtis, à usage exclusivement domestique,
s’accommodait mal avec un passé bien plus prestigieux, d’une fulgurance telle
qu’il paraissait vain de s’époumoner à conter l’authenticité. Quand bien même
elle fouissait dans sa mémoire, elle ne faisait que froisser ce qu’elle
conservait en pâture à la nostalgie. Au moins, en Algérie elle baignait dans le
confort d’une réussite familiale, celle de ses parents, A.L. et Marie-Jeanne
Pignol, gérants d’un Hôtel prisé par les européens de passages à Tébessa.
Contrairement à ici, où l’humiliation et l’indigence sévissaient dès l’aurore
au point parfois de ne plus pouvoir laver les vêtements en attente de soude
caustique en provenance de Paris pour fabriquer du savon, le quotidien était
alors rythmé par l’allégresse et l’insouciance que les visites de ses amies,
Edwige et Alice, justifiaient, lesquelles honoraient pleinement leur complicité.
Ensemble, elles se travestissaient pour des bals organisés par les « Dames
de la Charité » très en vue à Tébessa. Elles allaient jusqu’à féliciter le
patriotisme français par quelques représentations théâtrales, des scénettes en
costume glorifiant l’histoire de France. On usait à loisir de la voiture pour
aller se balader avec des proches dans le département de Bône, quand Guy Mingam
échappait au contingentement. Mais Huguette Mingam est orpheline d’autre chose,
d’un instrument dont elle s’adonnait à la musicalité, son piano. Après son
passage au Conservatoire des Beaux-arts à Alger dans les années 20, ses parents
firent l’acquisition d’un piano qu’ils placèrent dans la cour intérieure de
leur Hôtel. Grâce à l’entente entre l’instrument et la musicienne, la notoriété
de l’établissement ne se démentit plus, s’amplifiait même à entendre les notes
de musique classique et d’opérettes de Lakmé, très à la mode en Occident dans
les Années Folles. On avait bien tenté lors d’une cérémonie organisée pour
l’arrivée des Mingam, dans l’enceinte militaire de la Roche-sur-Yon, après
l’insistance de Guy Mingam, d’asseoir son épouse au piano, installé dans la
salle de réception. Cependant, si son récital créa un enjouement unanime, il ne
put être renouvelé à cause des hostilités allemandes.
Texte intéressant. A l même époque, l'évêque de Toulouse, Mgr Saliège, a tenté de défendre les juifs et autres victimes du régime de collaboration (il y avait des "camps" de réfugiés espagnols, juifs de Sarre et de Bade-Wurtemberg, entre autres, aux portes de Toulouse) ; ces "camps" furent ensuite déplacés ; maladies et épidémies, famine, déportations en masse... Michel
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