Vous voulez de l'info ? Suivez l'Abeillaud !

Vous voulez de l'info ? Suivez l'Abeillaud !

samedi 5 octobre 2024

Extrait du manuscrit "La petite algérienne"

Documentaire écrit

Récit inspiré de faits réels

Reconstitution historique

Au fil des années, l’Algérie Berbère, puis l’Algérie conquise, devient l’Algérie française. La IIIème République n’est pas que colonisatrice, elle est aussi dogmatique. Son régime prétendu démocratique doit s’exporter, être un modèle de laïcité, même dans les oueds les plus reculés dans l’intention politique de garantir à une nouvelle bourgeoisie, la prospérité qu’elle mérite. Les Français s’entichent de ce pays qui ne ressemble en rien à une ancienne province comme la Bretagne ou la Bourgogne. L’affection est telle que l’on pourrait comparer l’Algérie à une maîtresse qu’il faut tout à la fois escorter par le bras tant elle est ravissante et l’amignoter pour jouir de ses ressources, comparable à que ce que véhicule Huguette Pignol dans l’outrecuidance de sa jeunesse. Si Huguette Pignol naît à Constantine en 1908, son état civil mentionne une identité complètement française comme le rappellent les noms que portent ses descendants nés en France. Pourtant, de ce côté de la Méditerranée, cette généalogie métropolitaine peut sembler lointaine et ne rien signifier pour cette fillette de colons. Beaucoup de ces premiers migrants du sud de la France ont rejoint l’Algérie pour échapper à des conditions de vie modestes et sûrement sur le fil du rasoir à cause des crises agricoles, dans une ruralité qui tarde au 19ème siècle à sortir de la glaise, grouillante de nouveaux nés qui sont autant de bouches à nourrir. Quelle aubaine alors de voir les promesses offertes par ces nouveaux territoires conquis, des terres fertiles à perte de vue et des ressources naturelles qui restent à exploiter. Cette nouvelle ascension sociale, inaccessible en France, à moins de choir comme ouvrier ou ménagère dans une grande ville, accompagne l’expansionnisme français jusqu’au fin fond du désert, soutenue en cela par la fortification des villes arabes, car les résistances sont toujours coriaces. On s’enrichit souvent et pour les plus fervents nouveaux propriétaires terriens, le sentiment d’allégresse patriotique doit écraser tout ce qui faisait l’histoire des peuples de ces contrées poussiéreuses et indigentes. Si les aïeuls d’Huguette Pignol vivaient dans la pauvreté et la promiscuité, en Algérie ce ne sera pas leur cas. Là-bas, et même si on étouffe à cause du sable, si le soleil d’été est harassant, on portera la cravate et les femmes sentiront la fleur d’oranger. S’en est bientôt fini pour les membres de la famille d’Antoine Gilbert de tremper l’écueil dans le peu de soupe qui sent le chou. En Algérie, ne seront pas eux les culs-terreux, se persuade-t-il.


Depuis plusieurs jours, Michel Gary arpente les routes du Quercy dans le bassin aquitain. Après être parvenu par le nord à Montesquieu, il emprunte maintenant la route de La Barguelonne pour descendre plus au sud. Sa prochaine destination est le petit village de Saint-Paul-d’Espis, niché au fin fond du Tarn-et-Garonne, où il espère, étranger à tout remord, harponner un pigeon qu’il pourra plumer, enfin, pas complètement, car il ne faudrait pas trop éveiller les soupçons sur ses activités illicites. Michel Gary, de sa véritable identité Raymond Bourdieu, est un escroc et il est plutôt doué dans ce qu’il manigance et s’il fallait en douter, son casier judiciaire vierge plaiderait pour lui, après plus de 10 ans employés à des transactions frauduleuses. Michel Gary, puisqu’il se présente à partir de cet état civil, est une espèce de financier au multiple facette fallacieuse et tant que cela peut gonfler sa bourse. Faux titres de propriétés, placements maquillés, Michel Gary ne s’attarde pas sur du petit larcin, il excelle dans de sournois rôles de banquier, de spéculateur ou de libre-échangiste. En l’occurrence, en cette période de l’année, il a endossé le rôle d’agent fiscal de l’Etat pour dénicher des volontaires voulant migrer vers l’Algérie. Muni d’une carte administrative contrefaite, il se faufile dans les mairies puis les fermes du canton pour engourdir ceux qui auraient opter pour un aller sans retour vers un territoire lointain, inconnu de la plupart des agriculteurs du Tarn-et-Garonne, afin d’acquérir des terres dont on admire la fertilité des sols et l’abondance des récoltes. D’allure plutôt avenante, assez rond sur pied, atteint d’une légère calvitie qu’une fine moustache compense, valorisant une dentition parfaite, correctement vêtu sans être extravagant, Michel Gary, aux premiers abords, sait emberlificoter ses proies. Pourtant si ces pauvres hères n’étaient pas tant aveuglés par ses billevesées, à l’évidence ils auraient pu souligner cette légère grimace de la lèvre supérieure identique à un flehmen que l’on observe chez les herbivores, signe chez lui d’une grande corruption intérieure. Cela aurait-il suffit à éveiller chez eux le moindre soupçon ? Il eut fallu avant tout être fin connaisseur en filouterie pour décrypter cette contorsion de la lippe. La fin de l’été 1872 s’avère particulièrement brûlante et pénible et c’est souvent que Michel Gary s’éponge le front avec un mouchoir détrempé, l’agaçant outre mesure. « Allez ! Maintiens l’allure, bougre d’animal ! » S’emporte Michel Gary. Dans sa minuscule carriole qu’il mène au petit trot, se fichant éperdument, comme l’âne qui la tracte, des paysages qu’il traverse, il peste régulièrement face aux derniers refus qu’il vient de subir, « Je ne comprends pas, mon offre était quand même alléchante ! Une concession à 25 ha de terres, ce n’est pas rien tout de même, bande de corniauds va ! ». A vrai dire ce n’est pas le hasard qui l’a envoyé dans cette contrée isolée du sud-ouest de la France. Avant d’entreprendre ce voyage qui l’entraîne loin de Marseille, il a pris le temps nécessaire pour se renseigner sur la crise agricole qui sévit durement dans cette campagne reculée depuis quelques années. En cause ? La concurrence des blés étrangers. On explique que les « acquits-à-caution » seraient les vrais responsables de la chute des cours des céréales. On avance que des grains, stockés dans des dépôts temporaires sur le port de Marseille, devaient être réexportés. Mais les industriels obtinrent l’autorisation de moudre : les farines ne furent plus obligés de ressortir par le port d’entrée. Du coup, tout le bas-Languedoc se couvrit de minoteries et c’est alors que des abus se produisirent. Ces farines, introduites par fraude sur le marché, suffirent au besoin du pays ; elles barrèrent la route aux blés provenant des fermes du sud-ouest qui jusqu’à ce moment-là alimentaient la région par le marché de Toulouse. Et ce n’est pas le verger des Gilbert qui compensera les pertes de revenus liées à la baisse des cours des céréales. Il est temps pour Michel Gary de parvenir à Saint-Paul-d’Espis et de savourer un galopin à la terrasse d’un estaminet du village avant de se rendre à la mairie pour consulter les registres administratifs. La seule chose avalée par le voyageur, à défaut de troquet, est la poussière soulevée de la route par une légère brise et le mouchoir appliqué sur sa bouche s’avère une barrière peu contraignante, pénalisant davantage la gorge sèche de Michel Gary. Ce coup de vent momentané n’ébranle nullement l’impavidité d’un chat, unique élément feutré en mouvement, d’une placette centrale caniculaire fuie pas ses habitants. 

1 commentaire: