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dimanche 14 octobre 2018

les vicissitudes d'une abeille sauvage-Partie une

Extrait d'un récit en cours


La première fois qu’il l’entrevît derrière la ligne d’arbres, Didier garda une certaine distance. Les pas qu’il fit vers elle, l’engageaient à l’indifférence et, ainsi éviter des signes ostensibles qui décèleraient chez lui une attirance naissante. Le regard se fixait juste sur le paysage, pourtant distrait par cette beauté étrange. Mais alors qu’il se persuadait d’avoir contenu l’émoi que provoquait sa présence, trop absorbé par la rigueur qu’impose la courtoisie d’une visite, il n’avait pas senti qu’elle lorgnait déjà, insidieusement, méthodiquement, sur son existence. Deux ans plus tard, Didier n’imaginait pas qu’elle deviendrait sa tombe.

Didier songeait depuis fort longtemps à sortir de ce cauchemars qui l’ankylosait affectivement dans l’obscurité. Etait-ce l’ombre de Batman sur la housse de couette qui l’exaspérait au réveil ? « Je ne peux pas continuer à dormir dans le lit de mon fils ». C’est vrai quoi ? Est-ce que c’est encore la place d’un adulte de 41 ans ? D’un père qui devrait avoir son propre plumard ? Au début, il s’accommodait de naviguer entre les lits superposés et le clic-clac, installé dans le petit salon, au rythme des visites des enfants et de quelques relations fugitives. Mais plus maintenant. Ca finissait par rejaillir sur sa situation chronique de célibataire, alors qu’il se sentait déjà bien affligé par le divorce.
Tout comme il n’avait pas choisi la housse de couette, il n’avait pas choisi cette séparation. Didier était persuadé qu’elle lui avait demandé de partir parce que la faillite de la boîte pesait sur sa lucidité et faisait craindre la perte de la maison. C’était quoi au juste cette maison? Sa foutue maison ! (Un jour il lui avait demandé ce qu’elle aimait le plus entre la maison et son époux. Ce n’est pas tant l’absence de réponses qui l’abasourdit mais cette expression dans le regard qui éclatait comme une évidence). Cette maison était un lieu de vie qu’ils n’avaient pas forcément envisagé, davantage une opportunité offerte par le beau-père de la copine de Didier, qui lui, y voyait un complément à sa retraite. La maison « plain pied », à partir de l’aménagement de la pièce centrale, rappelait l’ambiance boisée d’un chalet avec les pans de sa toiture inclinée. Le blanc de la peinture ajoutait, à l’empathie de l’habitat, un certain cocon. Un blanc qui l’avait lui-même posé, avec rigueur et affection. Les chambres, au nombre de quatre, étaient, elles aussi, couvertes de bois lasurés, plaqués au mur comme au plancher. Surtout celle du couple, où avaient jailli dans l’entrebâillement de la porte, tout aussi inattendus qu’une rafale de vent annonçant l’averse, ces mots, à la fois fulgurants et fugaces : « Je ne t’aime plus. Je te demanderai de partir ». Il n’avait rien vu venir. Surtout pas après la naissance du dernier. Tout juste 1 mois. Le stoïcisme avait figé la pièce comme s’il s’inspirait d’un « mouvement » en peinture. La souris ne bougeait plus à force de pression de l’acrylique, pendant que l’expression du visage se solidifiait lentement, craquelant sous l’effet du séchage. Le vernis avait tétanisé le corps et la pensée. Seul le cœur, à la cadence où il allait, ne s’étant pas préparé à une telle annonce, engloutissait la tension ambiante, échappant, de fait, à la léthargie de cette nature morte.
Il n’aurait rien vu venir ? Sa décision avait été certainement fomentée durant la grossesse. Il comprit d’ailleurs, bien plus tard, pourquoi elle désertait le lit conjugal, sous prétexte d’une position douloureuse et inconfortable, pour s’allonger dans une chambre voisine. La preuve qu’il n’a rien vu venir, c’est qu’il finissait par la rejoindre…. Alors comme il considérait qu’il est inutile de s’accrocher à une personne qui ne lui offrait plus son amour ni ses faveurs, il n’insista pas de trop, pas vraiment. Le mobilier et l’électroménager appartenaient à sa compagne, une acquisition rendue possible par un héritage, consécutif au décès du père de la mariée. Didier, consterné d’entendre dans la bouche d’un copain que des familles se déchiraient pour une petite cuillère, devait s’en tenir à l’essentiel, les vêtements. Et puis il y avait les enfants. Inutile de rajouter à l’incompréhension, la stupéfaction et le déchirement. Essayer de préserver ce qui pouvait l’être. Mais après maintes et maintes distorsions cérébrales, il finit par se dire que sa logeuse l’avait expulsé par défaut de provisions, entraînant la peur, infondée, d’un déclassement social. Voilà tout.
Didier se décida à laisser le clic-clac déplié, même si son ouverture mangeait le peu de surface que disposait cet appartement de 45 m2. Le confort et l’esthétisme, que pouvait offrir la décoration d’un intérieur, commençaient à s’éloigner de ses considérations matérialistes, à voir le meuble de bureau qu’il avait récupéré après la faillite de l’entreprise et installé dans cette pièce. Il avait accepté de s’écarter, peut-être aussi parce qu’il n’en avait plus les moyens, de ce que sa vie maritale lui avait offert ; une position sociale, la reconnaissance d’une vie ordinaire plongeant dans le quotidien familial ; honni le lit de 120 par 240 cm pour dorénavant s’affaler dans des nuits presque blanches à trop fréquenter les couches rudimentaires, posées à même le sol, les canapés trop mou des camarades qui militent pour le commerce équitable et les draps de passage qui l’éloignaient des ailes vampiriques de Batman.
Si successivement, la séparation, le squat mal vécu, l’éloignement douloureux des enfants, la liquidation judiciaire, l’état de stress, le décès de son père, les petits boulots de nettoyage, et toutes les situations incommodantes liées à l’état périclitant de voitures ne présentant plus toutes les garanties de viabilité, ponctuaient l’agenda de Didier, son moral ne flanchait pas. Mis déjà à rude épreuve, sa première hantise résidait dans la façon dont le bébé se comporterait vis-à-vis de lui. La mère refusait, par une décision unilatérale, de ne pas confier SON bébé au père car, considérait-elle, il ne pouvait pas l’accueillir dans de bonne disposition. Il faut bien reconnaître que la maison qu’il occupait ne garantissait pas le confort nécessaire. Une grande maison située à 150 m du chalet, appartenant à un médecin et une biologiste. Un couple, qui en déplacement au Vietnam pendant plusieurs mois, avait gentiment accepté la présence de Didier. De temps en temps, le dimanche après-midi, elle l’autorisait à garder le petit. Un jour, alors que la mère de Didier rendait visite à ses petits-enfants, elle prit le bébé dans les bras. Très vite, il se mit à pleurer. Instinctivement, alors qu’ils n’avaient passé ensemble qu’une poignée d’heures, il insista bruyamment pour revenir dans les bras du père, plaquant la tête contre son épaule. A voir le silence qui s’en suivit, on aurait pu se demander lequel des deux était le plus soulagé. L’amour avait, à cet instant, saisi leur retrouvaille. C’est le père qui se mit à pleurer.
Dire que le poids de son désœuvrement ne l’affectait pas serait oublier que Didier s’adonnait de temps à autre à un alcoolisme abyssal afin d’éteindre les feux de détresse et tenter, en vain, d’amoindrir sa tristesse. Ce qui, toutefois, ne le diminuait nullement dans ses efforts pour rebondir, en s’assurant des courses de fond hebdomadaires et faire mentir l’ex-épouse, à voir la quinzaine de kilos perdue : « Je pensais que tu t’enfoncerais ». Cette délicate pensée raisonna chez Didier, non pas pour y trouver matière à conflits et ourdir une contre-attaque tout aussi caustique, mais pour mieux saisir le sens de sa vie. Qu’est-ce qui motivait cette volonté de réagir et surtout d’agir ? Qu’est ce qui pourrait remplacer, dignement, la présence des enfants ?  Dans un calendrier à trous, chaque jour, marqué d’une croix, se consumait inéluctablement, d’autant plus que le rythme biologique se fout des états d’âme et ne fait aucune pause pour convenir au désir parental.
Car là encore, l’ex-femme pouvait se tranquilliser de toutes velléités du père des enfants de perturber les dispositions du jugement de divorce. Au point que la présidente, en guise d’infliction non mesurée, s’adressant à l’assistante exclusivement féminine, qui faisait dire à Didier que ce n’est pas le genre qui suscite du mépris mais bien la fonction, s’accorda à proclamer, lors de la première et unique audience, devant la présentation d’une situation non solvable du géniteur, et la garantie d’obtenir la garde des enfants pour la seule responsable légale, que « Ce dossier sera vite réglé ». Le dossier certainement. Mais pas sa vie. Sa vie à lui. C’est sa vie qu’on expulsait lors d’une césarienne non désirée. A l’instar du souvenir radieux de la robe de mariée de la requérante, la robe noire de ces hussards rêches, qui sied théâtralement à leur beauté glaciale, rajoutait au poids de cette sentence implacable. Quel que soit le cas de figure, l’arrogance masculine devait se rétracter dans son froc, devenu ample pour le coup.
Comment allait-il faire ? Didier pouvait s’arranger avec les objectifs de décroissance et de récupération d’objets sommaires, il pouvait même s’asseoir sur des boulots gratifiants et rechignait à des postes équivalents à sa qualification, pourvu qu’il donne du sens aux rencontres épisodiques avec ses trois enfants. L’intérim ne s’applique pas à tous les domaines de la vie de père. Il avait signé un acte d’union, pas un contrat à durée déterminée. Il avait surtout décidé, intrinsèquement, d’assumer ce rôle de père. Non pas pour convenir d’un devoir moral, ou même d’une autorité supérieure, mais tout simplement parce qu’il les aimait. Il aimait ses gosses. Des gosses en bas-âges, bon sang ! De sept, quatre et un an. Il se devait d’être là « pour le meilleur et pour le pire ». Il l’avait signé comme un sacrement fait à la vie.
Il ne les aimait pas tous les quinze jours, uniquement les week-ends de garde, ou pendant les vacances, il les aimait constamment. Il allait faire de son mieux pour honorer ce dont il pensait, au départ, lui être dévolu au sein d’une famille. Il savait de toute façon, que pour eux quatre, l’essentiel était de se retrouver, d’être ensemble, peu importe l’imprimé d’une housse de couette, et que Didier change les couches du dernier, à même le sol, à défaut d’une table à longer. Peu lui importait. Le chalet ne lui manquait pas. Son confort non plus. L’ex non plus. Inutile de s’attarder dans la contrée des regrets, des pulsions, des rancœurs, d’un état au conditionnel devenu une pensée ravageuse « Si j’avais su ». Ce qui comptait c’était d’être avec ses enfants. D’ailleurs, il se reprenait à quelques reprises, il « n’avait » pas les enfants mais «était» avec ses enfants. Car Didier avait bien compris que, si une grande partie des comportements d’adulte découle de l’enfance, leurs vies ne lui appartenaient pas. Tout comme il avait banni de son vocabulaire des mots tels que « chef », « commander », « obéir », effacés par « adulte », « décider » et « écouter ». Un moyen comme un autre d’essayer d’adoucir le peu de temps accordé à leurs côtés. C’est souvent qu’il leur répétait « Nous faisons les choses ensemble ». Des choses simples. Des petits plaisirs partagés comme une baignade, une visite à la famille ou aux musées, une promenade en forêt ou un tour dans les parcs pour enfants de la région brestoise et à quelques reprises des manifestations contre le nucléaire ou les OGM. Il essayait aussi de privilégier les repas, autour d’une table ronde, récupérée chez un copain. La télévision éteinte, il espérait favoriser ce moment charnière dans une journée. Didier rejetait l’idée de rang prédéterminé en fonction du rôle du père et proposait une chaise tournante. Le moment était à la complicité. Manifestement Didier tentait de cimenter des liens d’affection, mal menés par les incertitudes.
En vérité, tout n’était pas idéal. L’abus d’autorité parentale est une plaie. En être dépourvue fragilise les règles de respect à autrui et donc à soi-même. D’ailleurs, il mit longtemps à comprendre qu’il s’était trompé sur la notion de respect. « La première personne pour qui vous devez avoir du respect, c’est votre mère. Elle vous a donné la vie ». C’était devenu inexact pour lui, trop télescopé, trop flagrant : ils devaient, avant tout, avoir du respect pour eux-mêmes. L’entente « enfants et parent seul » était parfois malmenée. Il y eût des points de tension. Des coups de cuillère en bois sur le bout des doigts. Des soupes recrachées par un capricieux, qu’il fallait ravaler entre les sanglots et qui, rajoutés à la grogne du père, momifiaient les deux autres enfants. Il savait que certains prônaient la « communication non violente » mais il est bien plus facile de soulager les frustrations d’un enfant, lorsque réunis, la cohésion et le confort du couple s’harmonisent pour ne faire plus qu’un. Malheureusement, garder une attitude permanente de bienveillance, en allant seul se confronter à l’exigence de trois autres personnes, en commandant une réponse différente à chaque fois, est improbable.

Alors comment faire ? Quel est la meilleure attitude à adopter pour maintenir une affiliation familiale et pour combler une insatisfaction affective qui nourrit la solitude ? Etant préoccupé depuis quelques années par la dégradation des espaces naturelles et les atteintes endémiques liées à la disparition de la biodiversité, du fait des activités chimiques de l’homme, Didier se trouva une cause juste à soutenir, un refuge face à un monde qui s’écroulait autour de lui : le sort réservé aux abeilles. Il n’y avait rien à envier non plus à cette espèce en voie de disparition. De là, à supposer que Didier, inconsciemment, s’apitoyait sur leur effondrement parce qu’il y trouverait le début du cheminement vers un état de résilience, serait se tromper sur la sincérité de son engagement. Il y a comme une résurgence à l’instinctivité. A chaque fois qu’une espèce vivante est menacée, traquée, rongée, empoisonnée, finie par disparaître, il y a urgence à faire appel à cette animalité qui sommeille dans les tripes, dans ce cerveau primaire, ce siège des émotions, et qui casque à chaque fois, à chaque coup porté, au fond, contre l’humanité elle-même. Il n’y a qu’une famille sur Terre, la Vie. Si on proclamait que chaque acte dévastateur commis par l’homme contre la Vie se retournait contre l’humanité, on appellera ça du suicide, un suicide collectif, inconscient certes, mais viscéral. A terme, ce n’est pas la Vie qui disparaitrait sur Terre mais bien l’espèce humaine. Et quand on y pense bien, le vivant, doté de millions d’années, peut se passer d’un Etre pensant, pesant de tout son poids mégalomaniaque sur sa propre raison d’exister. L’espèce humaine a, à plusieurs reprises, éradiqué de son histoire des civilisations entières ou de minuscules peuplades. Les menaces de radiations ont été même effleurées. Est-ce que la Nature s’en sortait indemne ? Surement pas, à voir la destruction de la Mégafaune. Mais l’exemple de l’explosion nucléaire de Tchernobyl montre une adaptation bien plus prégnante, bien plus persévérante, des autres espèces animales ou végétales lors de la transformation d’un milieu. Leur survie en dépend. Celle des humains est bien plus hypothétique, du fait de son expansionnisme boulimique. Didier, qui n’a pas de sympathie particulière, pour Michel Onfray, ni de haine d’ailleurs, lui accorde au moins ce crédit : comme d’autre civilisation, celle-ci finira par s’effondrer. Est-ce que l’humanité s’en remettra ? C’est bien moins évident comme le pense Yves Paccalet dans son pamphlet « L’humanité disparaîtra, bon débarras ! ».
On peut aller aussi chercher dans son enfance, des repères quant à son lien avec la nature ou des évènements qui ont certainement frappé sa conscience, comme l’échouage de l’Amoco cadiz et la souillure de la plage de Santec, engendrée par l’épandage de milliers de tonnes de pétrole brut, mais cela ne viendrait pas non plus justifier sa démarche volontariste. Oui c’est ça. Il faut aller chercher dans son enfance et revivre l’insouciance des regards et des gestes. Il faut s’aventurer dans les premiers souvenirs de mer, ou tout du moins dans l’absence de mer qui libérait une aire de jeux et de victuailles quand celle-ci faisait sa marée basse. Et dans les derniers retranchements, à l’affluent d’un barrage de pierre que représentait Roc-Santec, se frotter à l’immensité d’un royaume océanique.
Les premières adhésions furent sans engagements réels. Malgré tout, sa curiosité naturelle le poussait davantage à comprendre le déclin de cette société antédiluvienne, si bien contée par Maeterling, si bien défendue par les apiculteurs de la Ffap (Fédération française des apiculteurs professionnels). Il se trouvait également à une période de sa vie où l’acte politique se délitait dans le désœuvrement. 15 ans de militantisme au sein de quelques partis, la frustration, les revers et les coups bas, avaient eu raison de ses convictions premières (Une de ses partenaires lui avait asséné à la figure : « Mais qui es-tu pour convaincre ? ». Ca avait agi sur lui comme un électrochoc). Pour autant l’envie de s’exprimer, et donc d’agir, était bien ancrée, indissociable dans sa façon de refuser la fatalité, tout comme il refusait de s’apitoyer sur son existence. Il laissa donc tomber la politique (enfin, en la consommant avec modération) pour s’orienter vers des actes plus directs, qui s’apparentent à de la désobéissance civile. Et quoi de mieux que le collectif des Faucheurs Volontaires d’OGM pour entamer ce nouvel apprentissage de résistance contre le capitalisme destructeur des ressources naturelles et humaines. Sauf que, la façon dont il pensait l’action radicale, ne se contenterait pas d’une expression contestataire. Cela devrait prendre forme dans le burlesque et la dérision, voire la provocation. Il se mit alors à s’imaginer vêtu du costume de celles qu’il défendrait dorénavant.

Jusqu’à présent les exemples de déguisements d’abeille qu’il avait entrevus, ne satisfaisaient pas sa détermination. Peu importe le résultat final, la transformation devait être totale, de la tête au pied, il fallait devenir méconnaissable. Le travestissement n’était pas une nouveauté pour Didier. Déjà, plus jeune, son goût pour la transformation par le déguisement, égayait son passe-temps, donner de l’allure à sa fantaisie, plus que par nécessité de se cacher afin de ne pas apparaître tel qu’il était, même si l’explication de cette désinhibition frénétique pouvait plonger dans la carence de confiance, le besoin d’exister auprès des autres. D’être aimé finalement, voire peut-être même de se sentir courtisé. Il avait trouvé dans l’organisation de carnavals, l’occasion de s’exprimer pleinement dans l’amusement, prenant ainsi le relai des spectacles montés tout au long de sa scolarité au sein de l’école primaire « Pierre et Marie Curie » de Saint-Pol-de-Léon. Alors c’est presque naturellement, et parce qu’il avait emmagasiné de nombreux souvenirs joyeux, liés à l’excès d’exubérance, qu’il opta pour le déguisement d’abeille. Après avoir parcouru quelques sites sur internet, vu d’autres créations, les choses se mirent en place. Le temps consacré à la recherche des accessoires, permettait à une couturière de confectionner le « corps » de l’insecte. Tout avait été pensé. Les ailes devaient être souples mais suffisamment rigides pour ne pas céder à la moindre agitation, caractéristique première d’une bestiole. Le textile était en tissu bio, histoire de se prémunir des piqures des plus virulents adversaires. La cagoule, les lunettes jaunes et le maquillage sans parabène prenaient soin de remodeler le visage. Sa part de féminité s’exprimerait dans l’élégance d’un collant, convenant à sa morphologie masculine, suffisamment peu convenable dans l’opacité, pour ne pas le confondre avec une reine. Restait à trouver un nom à ce personnage. L’inventaire étymologique, qui couvre la désignation du mâle chez l’abeille, se contente de deux possibilités : le faux-bourdon ou l’abeillaud. Nul doute que d’assortir un personnage du nom de dédé le faux-bourdon ne collerait pas à une image dénuée d’agressivité, porteur d’un message de non violence. Didier devint donc « dédé l’Abeillaud » (rares sont ceux qui ont souligné que la majuscule était portée par l’Abeillaud. Une simple fantaisie du créateur ? Non. Plutôt le symbole de mettre l’accent sur ce qu’il y a de plus important). Voilà. Tout y était, tout se métamorphosait, loin, très loin, à son grand soulagement, du tragique destin de la vermine de Kafka. A un détail près tout de même. Un détail qui sera judicieusement préconisé par un illustrateur prolifique. Marcel de la Gare conseilla à dédé l’Abeillaud l’usage d’un objet qui aurait eu toute sa place au sein des gadgets des numéros de « Pif magazine » : le kazoo. Cet instrument buccal, animé par la seule vibration d’une fine membrane circulaire, due au souffle de la bouche, encalminée sur le haut de l’objet, imitait à merveille le bourdonnement de l’abeille, faisant le bonheur des enfants, rarement saisis par l’effroi. Les quelques exemplaires en plastique, expédiés de sa part par la Poste, suffirent à la complicité musicale de Didier et de ses enfants. Mais mis sur la piste, dédé ne voulait pas transiger avec la facilité. Il fit l’acquisition d’un modèle tout en métal, couleur de miel ! Cette métamorphose se révéla être un extraordinaire interlude existentiel face à l’inanité des consciences. 

1 commentaire:

  1. wouhaou.... magnifique... la naissance de dédé l'Abeillaud <3
    quel talent d'écriture.... j'ai été parcourue par de nombreuses émotions tout au long de la lecture... Merci pour ta diversité dans la résilience... tu es une très belle personne incarnée... et attention le curcuma ça jaunit les dents ;-)

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