« La colonisation c'est des heures qui ont été noires, mais c'est aussi des heures qui ont été belles, avec des mains tendues. » Bruno Retailleau, Ministre de l'intérieur
Documentaire écrit
Récit inspiré de faits réels
Reconstitution historique
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A.P. Pignol, deuxième homme à partir de la droite. 1930 |
Grâce à
leur activité hôtelière, A.L. Pignol se fait un nom et compte bien consolider
sa position de notable local. Pour y parvenir, le statut de personnage public
est incontournable. A.L. Pignol l’a bien compris. En plus de devenir conseiller
municipal à Tébessa, il se retrouve à la tête de la commune mixte de Morsott,
d’où la multiplication de déplacements sur tout le secteur, en plus des
réunions au conseil municipal de Tébessa et des obligations qui les régissent
comme la supervision des chantiers communaux qui ne manquent pas pendant que
l’on doit supporter l’état désastreux des routes régulièrement ravinées à cause
des pluies. Le positionnement politique d’A.L. Pignol au début des années 20
paraît assez assumé et prend la forme d’une droite patriotique, profondément
raciste, nécessairement antisémite, dans un contexte général extrêmement racisé
et ostracisant du début de ce 20èmesiècle. Régulièrement il salue
les initiatives de Jules Molle, maire antisémite d’Oran, encourage la
multiplication de cellules de l’Union Latine sur L’Oranie et plébiscite même la
création de l’une d’entre elle à Tébessa. Le passage à l’acte violent ne semble
pas être considéré pour A.L. Pignol comme un geste désincarné de la fonction
républicaine dont il est pourtant le représentant public. Après tout, il ne
fait que soutenir en les reproduisant les agissements de Max Régis, ancien
maire d’Alger. Plus que quelques ressentiments qu’il entretient, c’est une
haine farouche envers les juifs qui l’anime, au point de tabasser certains
d’entre eux lors de ratonnades qu’il commet de temps en temps en bande organisée,
hors les murs de Tébessa. A la mairie c’est l’effervescence. De toute part,
l’empressement guide le personnel administratif pour obturer par de larges
plaques les fenêtres du bâtiment. De par sa position très centralisée, il
échappe partiellement à la violence des Siroccos même si de minuscules tornades
virevoltent dans l’étroit passage qui le sépare des bureaux du Génie Militaire.
Les conseillers municipaux encore présents, ne sont pas en reste et contribuent
à l’effort commun. On tente de rassurer les quelques administrés qui n’ont pas
pu être exfiltrés par des attentions toutes particulières comme les inviter à
se rendre dans la grande salle du conseil, là où ils pourront trouver un espace
qui a été transformé à leur intention. Au pire, en cas de prolongation de la
tempête, on pourvoira à leur inquiétude par des collations réconfortantes.
Après avoir aménagé la salle du conseil situé au rez-de-chaussée, A.L. Pignol
emprunte l’escalier pour le 1er étage qui lui permet d’accéder au
bureau du maire, M. Fargues, situé dans le prolongement de l’escalier, sitôt
saisi par l’importance centrale du rôle du magistrat, en tout cas celui que
s’est adjugé M. Fargues, selon l’opinion falsifiée d’A.L. Pignol. L’homme fait
entendre sa voix après le coup porté sur la porte. « Entrez ! Ah,
c’est vous Pignol. Tout va bien en bas ? Nous avons terminé de barder les
ouvertures ?". L’utilisation de la première personne du pluriel par le maire
fit sourire le conseiller à constater que M. Fargues n’avait eu de cesse de besogner
depuis la levée du Sirocco. Etrange spectacle que d’exhiber cet homme derrière
son bureau entouré d’un halo de lumière que seul l’éclairage d’une lampe à
pétrole déposée à la vite parvient à pénétrer l’obscurité, laquelle a comblée
une pièce si insignifiante au départ qu’elle en devient, tout d’un coup, éclaboussant.
A l’exposer ainsi, les lunettes rivées sur le nez, ourlé d’une barbe touffue large
gris-bleu, précieusement taillée dans son extrémité la plus évasée, avec la paume
de la main droite posée sur le front tel un pilier pendant que l’autre a saisi
un crayon finement ciselé, on supposerait un érudit ou bien un diacre figeait
éternellement sur le même ouvrage, sur la même page, dans une posture pour la
postérité, nullement perturbé par le souffle qui harcèle les deux battants de
la fenêtre, comme si la vaste lumière voulait s’engouffrer dans cette scène résolue
à désagréger ce type en mille morceaux. A.L. Pignol sort de sa semi torpeur,
avance prudemment et prend appui sur une des chaises jusqu’alors invisibles à
son regard.
- Oui,
nous avons les choses en main M. le Maire, tout le personnel de la mairie ainsi
que les conseillers se sont activement mobilisés pour respecter les consignes
d’urgence,
- Très
bien Pignol, M. Fargues n’a pas dédaigné lever la tête de la pile de documents
pour lui répondre, ce qui pique au vif
A.L. Pignol, dont l’agacement se manifeste par une quinte de toux,
-
Dites-moi M. le Maire, pourrais-je obtenir 5’ de votre attention ?
- Bien entendu Pignol, bien entendu. Le crayon dans sa main
parcourt, continuellement, de gauche à droite, les lignes d’écriture, que
puis-je faire pour vous ?
- Ecoutez,
je n’en suis pas à ma première demande et comme je constate que les choses
n’évoluent pas, je me permets d’insister… ce mot semble irriter le maire lequel
pressent qu’il sera encore accusé de ne pas intervenir au point de couper son
interlocuteur,
-
Insister sur quoi Pignol ? Reprend-t-il hautain pour bien signifier que
c’est lui qui dirige cet échange,
- Et
bien, il y a encore de jeunes juifs qui déambulent dans la cour Carnot. Alors,
en plus de vendre des dattes de façon illégale, ils importunent les piétons,
qui sont potentiellement des clients de l’Hôtel et tout ceci est fâcheux pour
le commerce, le nôtre comme ceux de nos collègues, renchérit A.L. Pignol
appuyant sur la dernière phrase pour insister sur le fait que d’autres se
plaignent et que son intervention ne relève pas de la lubie d’un seul individu,
- Oui…
J’ai bien conscience du désordre que cela peut vous causer à vous et votre
épouse, mais que voulez-vous de plus ? Nous avons déjà rayé les familles
juives des listes d’aides sociales suite à une insistance de votre part qui
vous caractérise d’ailleurs fort bien Pignol. Cette vente, même illicite,
pourvoit tout de même à une rentrée d’argent, même minime pour les familles et
de surcroît, je n’ai plus les femmes qui viennent geindre dans mon
bureau ! Et croyez-moi, leur insistance m’aurait obligé à camper dans mon
bureau ! Cette fois-ci le maire a levé la tête anticipant la réaction de
l’hôtelier, pose son crayon et lui répond, très bien Pignol, je ne peux pas
interdire la vente à la sauvette, parce que cela est bon pour le tourisme,
surtout si ces marchands haranguent les visiteurs de notre belle cité en
criant que ce sont d’authentiques dattes de la région de Tébessa. Par contre je
peux faire intervenir les forces de l’ordre avec l’appui du Commissaire et
exiger que ce… désagrément se réalise en dehors des murs de la ville, Quand
pensez-vous ? Au goût d’A.L. Pignol cette question ressemble fort à une
sommation à seule fin d’écourter leur conversation,
- Très
bien, procédons selon vos souhaits. Je me rends moi-même au Commissariat ?
- S’il
vous plaît, faites ceci pour moi. M. Fargues a repris la lecture de son
dossier. Profitez de cette pause inopinée pour vous restaurer, je crois qu’il y
a de quoi se sustenter. Je vous rejoins plus tard. A bientôt Pignol,
- A bientôt M. le
Maire.» Après avoir fermé la porte derrière lui, A.L. Pignol maugrée de
toutes ses forces pendant qu’il dévale l’escalier «Je vais t’en faire bouffer
des dattes, tu vas voir ! » Peste-t-il intérieurement. Mais son
animosité s’éteint généralement instantanément à l’encontre du maire, ce
dernier plaidant en la faveur des Pignol pour les adjudications trisannuelles
concernant les lots d’alfas, ce qui sous-entend des contreparties implicites de
la part d’A.L. Pignol en la direction du Maire, enfin en apparence. Après
quelques heures d’isolement, l’éloignement du Sirocco permet à tout chacun, au bout
de quelque temps, de reprendre l’activité à laquelle il se consacre d’ordinaire.
Avant de rentrer à l’Hôtel, A.L. Pignol décide de bifurquer vers la rue Caracala,
endroit où réside dans un appartement
presque insalubre son ami Khelal Bachir que son épouse emploie pour la récolte
d’alfa, la visite à la gendarmerie attendra demain.
Bien David ! Je constate que tu as de saines references ! Tu te mets bien avec notre flic en chef...JaCo
RépondreSupprimerJe te suis extrêmement reconnaissante du travail d'auteur que tu accomplis. J'ai tjrs cru que tu étais fait pour cela. Je ne lis pas tes blocs pour avoir le plaisir quand tu auras fini ton écriture de la Petite Algérienne. A.M.
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