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vendredi 8 novembre 2024

"La petite algérienne" et le résumé du manuscrit

 

LA PETITE ALGERIENNE

 

Sources

Archives familiales d’A.M. Gourvès, née le 21 janvier 1935 à Bône (Algérie)

N.B. de l’auteur : Je tiens d’A.M. Gourvès l’information comme quoi son grand-père, colon français, aurait participé activement au pogrom de Constantine le 05 août 1934. Pourtant, aucune source disponible ne mentionne la présence de colons français.

Archives du département de Vendée, « La Voix de la Vendée », « La Croix de Vendée »

Bnf Gallica, numéros du journal « L’Avenir de Tebessa », gallica.bnf.fr/BnF

Ouest-France «L’épiscopat contesté de Mgr Cazaux », article du 27 mai 2014, intervenant : Michel Gautier (historien)

Site Internet : Mémorial de la résistance et de la déportation en Vendée

Persée, Le développement géographique de la colonisation agricole en Algérie, Henri Busson, annales de géographie, année 1898, pp 34-54  (46)

Partir « coloniser » l’Algérie dans les années 1890 : Respect des règles, initiatives, affranchissement, Christine Mussard

Académie des Sciences et des Lettres de Montpellier. Séance du 14 février 2011. « Colons en Algérie, histoire d’une famille ordinaire ». Claude Lamboley

Presse Universitaire de Provence, « Antijudaïsme et antisémitisme en Algérie coloniale, 1830-1964. Chapitre « Un moment d’extrême tension entre populations » Constantine août 1934. Pp 181-202. Geneviève Demerjian

Site Internet de La Ligue de défense juive, article du 05 août 2016, « Ni pardon, ni oubli : 5 août 1934 le pogrom de Constantine en Algérie : 24 juifs tués »

Persée, Une émeute antijuive à Constantine – Charles-Robert Ageron, Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, année 1973, pp 23-40

 

Documentaire écrit

Récit inspiré de faits réels (Les noms et prénoms de certaines personnes ont été volontairement modifiés)

Reconstitution historique

Extraits des courriers authentiques

A.L. Pignol à droite sur la photo. 1910

Résumé

A.L. Pignol fut un odieux personnage. Colon algérien. Il profita de son statut de notable pour exécuter avec ferveur sa monomanie viscérale : ratonner du Juif. A.L. Pignol se sentait à l’aise dans son époque, dans laquelle l’antisémitisme agissait comme un catalyseur pour toutes les aversions et les persécutions envers une communauté toute entière.

Il rencontra puis épousera Marie-Jeanne Gilbert en 1905. Marie-Jeanne Gilbert fut elle-même la fille de migrants cultivateurs partis du Tarn-et-Garonne pour échapper à la misère et qui voulaient profiter d’une concession agricole d’Ain-Charchar.

Parents de deux filles, Henriette et Laurette, le couple fit l’acquisition d’un hôtel à Tébessa en 1910 permettant à A.L. Pignol d’accéder au rang d’élu de la République, à la fois à Tébessa mais également dans la commune mixte de Morsott. L’arrivée des Nazis au pouvoir en Allemagne et l’instauration de la collaboration en France ne feront que légitimer l’adhésion d’A.L. Pignol à un nationalisme d’extrême droite en Algérie.

Sa fille aînée, Henriette Pignol se mariera, contrainte, avec Charles Mingam, Breton de Daoulas, capitaine dans l’Infanterie française. Charles Mingam étant mobilisé en 1940, ils devront quitter l’Algérie pour déménager vers La Roche-sur-Yon. Très vite, dans le conflit, l’officier sera fait prisonnier. Son épouse devra seule, pendant plus de cinq ans, avec leurs deux jeunes enfants, éprouver les affres de l’occupation allemande en Vendée, se réfugiant dans la religion catholique pour y trouver un semblant de béatitude. Seule la correspondance qu’elle entretiendra avec son mari, emprisonné dans un Oflag, maintiendra l’espoir d’un retour.

Tout comme en Algérie, l’antisémitisme métropolitain, s’il ne fut pas encouragé par une majorité de vendéens, pourtant effacée et silencieuse, ne fut pas moins une discrimination extrême, à laquelle de nombreux Français, parmi lesquelles des notables religieux et des réactionnaires de droite, s’affilièrent soit avec frénésie et virulence, soit par allégeance au gouvernement de Vichy.

 

Ce récit d’une saga familiale, inspiré de faits réels, prend sa source à la fin du 19ème siècle lorsque des migrants français s’accaparèrent le territoire algérien. Il y est question d’implantation des populations, de l'antisémitisme ordinaire des Français, de conflits et de répits, de haine et d’amour, de vie et de mort.


L'exception culturelle française réside dans le fait qu'elle peut encore célébrer un antisémite comme Céline sans être jugée par la condamnation 

samedi 19 octobre 2024

Extrait du manuscrit "La petite algérienne"

Documentaire écrit

Récit inspiré de faits réels

Reconstitution historique

La clarté peinait à s’imposer sur Saint-Paul-d’Espis pendant que la famille Gilbert se préparait à abandonner ce qui avait été le foyer de plusieurs générations. La brume, aveuglante, s’étalait et s’attardait encore entre les vergers, fuyant sur les toits de tuiles rouges et les collines environnantes, comme pour envelopper d’un linceul cet endroit qui leur était si familier. Antoine Gilbert s’était dressé bien avant l’aube. Ses mains, rendues calleuses par des années de travail de la terre et du bois, ajustaient les harnais sur les chevaux attelés à la charrette. La carriole, modeste mais solidement construite avec ses propres moyens, était bondée de tout ce qu'ils pouvaient accumuler : quelques meubles, des outils précieux. Une poignée de souvenirs soigneusement emballés surchargeait le convoi. Jeanne Gilbert s’affairait autour des jeunes enfants à l’intérieur de leur maison étrécie de l’enlèvement du principal mobilier. Elle faisait l'inventaire mental de ce qu'ils allaient reléguer aux regrets. Dans chaque objet, dans chaque recoin de la maison surgissait un moment de leur vie conçue ensemble: les repas partagés autour de la table en bois, l’agitation des enfants qui résonnait autrefois dans les pièces, les soirs d’hiver clapis au coin de l’âtre. Les yeux confus, elle jetait un dernier regard autour d’elle, le cœur amolli par l’émotion. Ses mains tremblaient légèrement lorsqu’elle glissa le crucifix familial dans un sac en toile, une relique transmise de mère en fille, qui devait leur garantir une protection dans ce nouveau monde vers lequel ils se dirigeaient. Antoine Gilbert-fils, âgé de treize ans, observait la scène en retrait. À son âge, il comprenait déjà la gravité du moment, bien que son esprit fût encore plein des rêves d’aventure qui éveillait en lui l’idée de partir pour l’Algérie. À ses côtés, ses sœurs plus jeunes ne saisissaient pas l'ampleur du changement qui devrait plus tard les stupéfier. Ils regardaient leurs parents avec une confiance naïve, rassurés par la présence imposante de leur père, dont la stature et la force semblaient capables de tout submerger.

Philippeville, 1917

Leur décision de migrer vers l'Algérie, cette inconnue lointaine que les rumeurs ajoutaient à l’envoûtement, avait été compliquée à prendre. Toutefois et peut-être sur injonction pressante de Michel Gary, les ultimes réticences s’effacèrent devant l'ombre de la misère qui s’abattait sur leur village, les mauvaises récoltes répétées, et l’absence de perspectives pour leurs enfants. Tout s’enchaîna ensuite selon les prévisions de Michel Gary. 3 mois avait suffit à l’exécution des différentes obligations administratives. Une certaine somme d’argent avait été versée à Michel Gary en prévision des dépenses liées au transport et aux premières nécessités dès la traversée de la Méditerranée achevée. Le ciel, ce matin-là, se teintait d’un bleu indéfini, à mesure que le soleil s’extirpait des ténèbres, crispé sur l’horizon. Antoine Gilbert sentait une boule se tapir dans sa gorge en s’attardant sur les vécus de ses parents, de ses grands-parents, et à tous les Gilbert avant eux qui avaient soulagé par leur travail cette terre. Il se demandait, au point de le tracasser, si disparaître de ce lieu serait pareille à une infliction qu’il ferait subir à leur mémoire ou, au contraire, une tentative hasardeuse de poursuivre leur héritage ailleurs. Il inspira profondément, cherchant à déjouer ces ressentiments. Il n’avait pas le choix, il fallait être robuste pour sa famille, pour Jeanne et les enfants. La charrette était enfin complète. Antoine Gilbert aida son épouse à monter, suivie des enfants qui s’installèrent tant bien que mal sur les ballots. Puis il se retourna une dernière fois vers la maison, vers les champs qui s’étendaient à perte de vue, convoités par la seule lumière pâlotte et blafarde du matin déshabillé avec paresse de la brume collante. Une prière muette s’échappa des lèvres de Jeanne Gilbert. Après un claquement de langue, Antoine Gilbert fit avancer les chevaux. La charrette se mit en branle, roulant âprement sur le chemin qui les emportait loin du village. A les écouter, le bruit des roues sur les cailloux résonnait telle une mélodie maussade. À mesure qu'ils s'éloignaient, le village de Saint-Paul-d’Espis devenait indéfinissable, jusqu'à ne plus être qu'une croûte sur son monticule. Le cœur enserré mais empli d’une détermination farouche, Antoine Gilbert ne détourna plus les yeux du chemin qui s'étirait maintenant devant eux, un chemin long de jours et de nuits avant d’atteindre Marseille. Leur avenir, imprévisible et pourtant si prometteur, séjournait à Gastu sur une concession de plus de 25 ha de terres.

Après une traversée périlleuse due à une sérieuse tempête, le port de Philippeville qui se soumettait enfin à leur vision, scintillait dans la lumière éclatante du soleil méridional prétendu enlaçant. Après des jours de voyage éprouvant à travers la mer, la famille Gilbert surprenait enfin la périphérie littorale d’un pays qu’on leur avait tant rabâché la beauté. Autour d’eux, la rumeur du bateau qui accostait se mêlait aux vociférations des marins, aux raillements des mouettes, et à l’agitation des passagers impatients de poser pied à terre soulagés à l’idée de se désamarrer définitivement de cette embarcation. Antoine Gilbert, le regard figé sur la côte qui se détachait à mesure qu’ils approchaient de leur destination, ressentait un mélange complexe de soulagement et d’appréhension. Derrière lui, Jeanne Gilbert serrait la main de leur plus jeune fille, tentant de combattre son inquiétude par un sourire arrangeant. Pour les enfants, ce nouvel environnement était source d’excitation, une aventure que leurs jeunes esprits associaient encore à des histoires de pirates et de trésors cachés. Mais à peine avaient-ils mis le pied sur le sol algérien que la réalité s’imposait à eux avec une rudesse inattendue. Le port bourdonnait d’une activité incessante. Les dockers s’activaient sous une chaleur accablante, déchargeant les navires, tandis que les colons fraîchement débarqués tentaient de retrouver leurs repères au milieu de cette effervescence. La langue arabe, impénétrable, mélangée au français parfois criard des officiers coloniaux qui supervisaient le débarquement des nouveaux venus, bruissait partout. Pour les Gilbert, ce premier contact avec l'Algérie était un choc culturel. Rien ne ressemblait à ce qu’ils avaient auguré. A part Michel Gary qui les accueillait comme indiqué à l’entrée du port. Il arborait un large sourire, comme pour dissimuler la tension palpable de l’air. « Bienvenue en Algérie ! » s’écria-t-il en les rejoignant, bras grands ouverts. Mais son enthousiasme sonnait curieusement creux aux oreilles d’Antoine Gilbert. Les promesses d’une vie facile qu'il avait tant arrangé semblaient déjà s'effilocher face à la dureté du climat et à l'agitation chaotique qui régnaient autour d’eux. « Alors ? Et ce voyage ? Vous n’avez pas été trop secoués au moins ? Michel Gary est à son aise, étrangement accoutré selon les premières observations d’Antoine Gilbert, détails qui ne l’avaient pourtant pas alerté lors de leur entrevue à Saint-Jean-d’Aspis,

-          Compliqué, lui rétorqua évasif et avare de mots le cultivateur, tout absorbé à l’ambiance grouillante du port,

-          Bien. Suivez-moi, nous allons nous éloigner du port. Nous allons pouvoir continuer à discuter à notre aise dans un troquet tout proche. Nous viendrons récupérer les chevaux et vos affaires quand la douane aura fait son travail.  J’ai fait le nécessaire. " 


Pour Karine


samedi 5 octobre 2024

Extrait du manuscrit "La petite algérienne"

Documentaire écrit

Récit inspiré de faits réels

Reconstitution historique

Au fil des années, l’Algérie Berbère, puis l’Algérie conquise, devient l’Algérie française. La IIIème République n’est pas que colonisatrice, elle est aussi dogmatique. Son régime prétendu démocratique doit s’exporter, être un modèle de laïcité, même dans les oueds les plus reculés dans l’intention politique de garantir à une nouvelle bourgeoisie, la prospérité qu’elle mérite. Les Français s’entichent de ce pays qui ne ressemble en rien à une ancienne province comme la Bretagne ou la Bourgogne. L’affection est telle que l’on pourrait comparer l’Algérie à une maîtresse qu’il faut tout à la fois escorter par le bras tant elle est ravissante et l’amignoter pour jouir de ses ressources, comparable à que ce que véhicule Huguette Pignol dans l’outrecuidance de sa jeunesse. Si Huguette Pignol naît à Constantine en 1908, son état civil mentionne une identité complètement française comme le rappellent les noms que portent ses descendants nés en France. Pourtant, de ce côté de la Méditerranée, cette généalogie métropolitaine peut sembler lointaine et ne rien signifier pour cette fillette de colons. Beaucoup de ces premiers migrants du sud de la France ont rejoint l’Algérie pour échapper à des conditions de vie modestes et sûrement sur le fil du rasoir à cause des crises agricoles, dans une ruralité qui tarde au 19ème siècle à sortir de la glaise, grouillante de nouveaux nés qui sont autant de bouches à nourrir. Quelle aubaine alors de voir les promesses offertes par ces nouveaux territoires conquis, des terres fertiles à perte de vue et des ressources naturelles qui restent à exploiter. Cette nouvelle ascension sociale, inaccessible en France, à moins de choir comme ouvrier ou ménagère dans une grande ville, accompagne l’expansionnisme français jusqu’au fin fond du désert, soutenue en cela par la fortification des villes arabes, car les résistances sont toujours coriaces. On s’enrichit souvent et pour les plus fervents nouveaux propriétaires terriens, le sentiment d’allégresse patriotique doit écraser tout ce qui faisait l’histoire des peuples de ces contrées poussiéreuses et indigentes. Si les aïeuls d’Huguette Pignol vivaient dans la pauvreté et la promiscuité, en Algérie ce ne sera pas leur cas. Là-bas, et même si on étouffe à cause du sable, si le soleil d’été est harassant, on portera la cravate et les femmes sentiront la fleur d’oranger. S’en est bientôt fini pour les membres de la famille d’Antoine Gilbert de tremper l’écueil dans le peu de soupe qui sent le chou. En Algérie, ne seront pas eux les culs-terreux, se persuade-t-il.


Depuis plusieurs jours, Michel Gary arpente les routes du Quercy dans le bassin aquitain. Après être parvenu par le nord à Montesquieu, il emprunte maintenant la route de La Barguelonne pour descendre plus au sud. Sa prochaine destination est le petit village de Saint-Paul-d’Espis, niché au fin fond du Tarn-et-Garonne, où il espère, étranger à tout remord, harponner un pigeon qu’il pourra plumer, enfin, pas complètement, car il ne faudrait pas trop éveiller les soupçons sur ses activités illicites. Michel Gary, de sa véritable identité Raymond Bourdieu, est un escroc et il est plutôt doué dans ce qu’il manigance et s’il fallait en douter, son casier judiciaire vierge plaiderait pour lui, après plus de 10 ans employés à des transactions frauduleuses. Michel Gary, puisqu’il se présente à partir de cet état civil, est une espèce de financier au multiple facette fallacieuse et tant que cela peut gonfler sa bourse. Faux titres de propriétés, placements maquillés, Michel Gary ne s’attarde pas sur du petit larcin, il excelle dans de sournois rôles de banquier, de spéculateur ou de libre-échangiste. En l’occurrence, en cette période de l’année, il a endossé le rôle d’agent fiscal de l’Etat pour dénicher des volontaires voulant migrer vers l’Algérie. Muni d’une carte administrative contrefaite, il se faufile dans les mairies puis les fermes du canton pour engourdir ceux qui auraient opter pour un aller sans retour vers un territoire lointain, inconnu de la plupart des agriculteurs du Tarn-et-Garonne, afin d’acquérir des terres dont on admire la fertilité des sols et l’abondance des récoltes. D’allure plutôt avenante, assez rond sur pied, atteint d’une légère calvitie qu’une fine moustache compense, valorisant une dentition parfaite, correctement vêtu sans être extravagant, Michel Gary, aux premiers abords, sait emberlificoter ses proies. Pourtant si ces pauvres hères n’étaient pas tant aveuglés par ses billevesées, à l’évidence ils auraient pu souligner cette légère grimace de la lèvre supérieure identique à un flehmen que l’on observe chez les herbivores, signe chez lui d’une grande corruption intérieure. Cela aurait-il suffit à éveiller chez eux le moindre soupçon ? Il eut fallu avant tout être fin connaisseur en filouterie pour décrypter cette contorsion de la lippe. La fin de l’été 1872 s’avère particulièrement brûlante et pénible et c’est souvent que Michel Gary s’éponge le front avec un mouchoir détrempé, l’agaçant outre mesure. « Allez ! Maintiens l’allure, bougre d’animal ! » S’emporte Michel Gary. Dans sa minuscule carriole qu’il mène au petit trot, se fichant éperdument, comme l’âne qui la tracte, des paysages qu’il traverse, il peste régulièrement face aux derniers refus qu’il vient de subir, « Je ne comprends pas, mon offre était quand même alléchante ! Une concession à 25 ha de terres, ce n’est pas rien tout de même, bande de corniauds va ! ». A vrai dire ce n’est pas le hasard qui l’a envoyé dans cette contrée isolée du sud-ouest de la France. Avant d’entreprendre ce voyage qui l’entraîne loin de Marseille, il a pris le temps nécessaire pour se renseigner sur la crise agricole qui sévit durement dans cette campagne reculée depuis quelques années. En cause ? La concurrence des blés étrangers. On explique que les « acquits-à-caution » seraient les vrais responsables de la chute des cours des céréales. On avance que des grains, stockés dans des dépôts temporaires sur le port de Marseille, devaient être réexportés. Mais les industriels obtinrent l’autorisation de moudre : les farines ne furent plus obligés de ressortir par le port d’entrée. Du coup, tout le bas-Languedoc se couvrit de minoteries et c’est alors que des abus se produisirent. Ces farines, introduites par fraude sur le marché, suffirent au besoin du pays ; elles barrèrent la route aux blés provenant des fermes du sud-ouest qui jusqu’à ce moment-là alimentaient la région par le marché de Toulouse. Et ce n’est pas le verger des Gilbert qui compensera les pertes de revenus liées à la baisse des cours des céréales. Il est temps pour Michel Gary de parvenir à Saint-Paul-d’Espis et de savourer un galopin à la terrasse d’un estaminet du village avant de se rendre à la mairie pour consulter les registres administratifs. La seule chose avalée par le voyageur, à défaut de troquet, est la poussière soulevée de la route par une légère brise et le mouchoir appliqué sur sa bouche s’avère une barrière peu contraignante, pénalisant davantage la gorge sèche de Michel Gary. Ce coup de vent momentané n’ébranle nullement l’impavidité d’un chat, unique élément feutré en mouvement, d’une placette centrale caniculaire fuie pas ses habitants. 

jeudi 26 septembre 2024

Extrait de "La petite algérienne"

Documentaire écrit

Récit inspiré de faits réels

Reconstitution historique

Août 1945. retour de Guy Mingam de son emprisonnement dans un Oflag.

Huguette Mingam en 1945

Les retrouvailles des époux ont lieu à la gare Montparnasse. Huguette Mingam patiente depuis plus d’1 h en arpentant fébrile le grand hall, là où s’enchevêtrent des inconnus, la plupart Bretons en partance vers leurs familles, tout au plus bariolés de soldats frénétiques à l’idée d’une permission prolongée, qui chavirent vers une destination lointaine et désirée, où indistinctement se dispersent et se mélangent les brides de conversations que Huguette Mingam confond avec un bourdonnement incessant. Elle détient deux billets retour pour la gare de La Rochelle qu’elle serre fortement dans les mains de crainte qu’ils s’envolent peut-être. Plus certainement, elle s’accroche à ces deux ridicules petits bouts de papier pour être certaine qu’elle ne se trompe pas, les choses sont bien réelles pourtant. Le train est prévu au départ quai 2 dans un peu moins d’1h30, ce qui devrait suffire. Pendant qu’elle attend son mari, elle se questionne longuement, taraudée par tant d’années de séparation : « A quoi va-t-il ressembler, et moi est-ce que je vais le reconnaître ? Serais-je encore assez belle à ses yeux ? ». Huguette Mingam s’est apprêtée du mieux qu’elle pouvait, en tout cas en fonction de ce que sa garde robe dégarnie lui exhibait de plus habile pour plaire à Guy Mingam. Elle exagéra le détail jusqu’à tracer un trait au crayon sur l’arrière de ses bas résilles. La seule fantaisie visible qu’elle s’autorisa, en d’autres lieux on aurait pu l’allier à de la coquetterie, est ce foulard léger en soie, souvenir d’Algérie, qu’elle noua autour du cou. Mais même avec très peu, il ne doit en aucun cas être rongé par la déception dès qu’il l’apercevra. Elle détient peu d’informations quant à l’arrivée de l’ex-prisonnier, tout juste une heure approximative et que c’est une jeep américaine qui le déposera. De taille plutôt moyenne, elle doit parfois se mettre sur la pointe des pieds pour s’extraire de ces toisons, de ces casques et de ces chapeaux qui lui entravent la vue. Enfin, sans le discerner vraiment, ne serait-ce que parce qu’elle s’est égarée dans de nombreuses minutes épépinées, elle distingue un véhicule militaire, correspondant au modèle américain annoncé, débouler à vive allure et venir stationner devant la gare. Le passager qui s’en extrait est bien son homme, la taille de l’individu ne fait plus aucun doute maintenant sur l’identité de celui qu’elle chérit. A son approche, Huguette Mingam ne peut contenir le chagrin qui l’a dérange depuis un moment. A son allure, elle se doute que l’état d’affaiblissement dans lequel il patauge et son amaigrissement visible au flottement de la chemise, signalent un bilan de santé général équivalent à une sorte d’abrutissement. Pourtant le large sourire arboré, qui s’élargirait au-delà du faciès s’il le pouvait, focalise toute son attention. La décence de leur milieu veut que leur étreinte soit brève et discrète mais elle est d’une telle intensité que l’ensemble des muscles de leurs corps se raidit à tel point que Huguette Mingam est saisie d’une crampe fugace dans le pied gauche puisqu’elle doit se redresser pour l’agripper par le cou. Guy Mingam n’a pas de mots pour décrire ce qu’il ressent à revisiter cette femme récompensée à ses yeux par une beauté sans pareille. « Ses traits sont tirés, son regard un peu effacé, mais cela ne nuit en rien à sa beauté naturelle. Ses lèvres sont tièdes, c’est agréable», se dit-il. Après cet instant savouré par le couple, Guy Mingam finit par parcourir la foule à la recherche de quelques visages connus en tout cas qui se rapprochent des souvenirs qu’il en a, les enfants ont grandi : « Tu es venue toute seule ? Yves et Anne-Marie ne sont pas avec toi ? Huguette Mingam est presque soulagée que ce soit lui qui brise le silence. Le prétexte des enfants est une raison bien accommodante,

    -  Non, comme tu le vois. J’ai demandé à Mme Mérand de les garder le temps qu’il faudra. J’ai préféré venir seule pour que nous soyons plus à notre aise pour échanger tous les deux. Notre départ pour La Rochelle approche, si tu le souhaites nous pouvons déjà nous asseoir dans le compartiment, j’ai réservé nos places,

  - Oui je veux bien Huguette. Je me sens quelque peu harassé. Et pourquoi la gare de La Rochelle ?

  Oh… Et bien la gare de La Roche-sur-Yon a été bombardée avec le départ des Allemands, donc pas de liaisons possibles pour l’instant. A La Rochelle un véhicule de l’armée doit passer nous prendre,

 -  Très bien alors, regagnons le train si tu veux bien. Je pense que nous aurons beaucoup de choses à nous raconter. » Tout en regagnant le quai 2, Huguette s’est accrochée au bras de son époux. Le pas défaillant de son mari lui permet de prolonger son étreinte et profiter pleinement de cet instant.

samedi 21 septembre 2024

Extrait du manuscrit "La petite algérienne"

« La colonisation c'est des heures qui ont été noires, mais c'est aussi des heures qui ont été belles, avec des mains tendues. » Bruno Retailleau, Ministre de l'intérieur

Documentaire écrit

Récit inspiré de faits réels

Reconstitution historique

A.P. Pignol, deuxième homme à partir de la droite. 1930
Grâce à leur activité hôtelière, A.L. Pignol se fait un nom et compte bien consolider sa position de notable local. Pour y parvenir, le statut de personnage public est incontournable. A.L. Pignol l’a bien compris. En plus de devenir conseiller municipal à Tébessa, il se retrouve à la tête de la commune mixte de Morsott, d’où la multiplication de déplacements sur tout le secteur, en plus des réunions au conseil municipal de Tébessa et des obligations qui les régissent comme la supervision des chantiers communaux qui ne manquent pas pendant que l’on doit supporter l’état désastreux des routes régulièrement ravinées à cause des pluies. Le positionnement politique d’A.L. Pignol au début des années 20 paraît assez assumé et prend la forme d’une droite patriotique, profondément raciste, nécessairement antisémite, dans un contexte général extrêmement racisé et ostracisant du début de ce 20èmesiècle. Régulièrement il salue les initiatives de Jules Molle, maire antisémite d’Oran, encourage la multiplication de cellules de l’Union Latine sur L’Oranie et plébiscite même la création de l’une d’entre elle à Tébessa. Le passage à l’acte violent ne semble pas être considéré pour A.L. Pignol comme un geste désincarné de la fonction républicaine dont il est pourtant le représentant public. Après tout, il ne fait que soutenir en les reproduisant les agissements de Max Régis, ancien maire d’Alger. Plus que quelques ressentiments qu’il entretient, c’est une haine farouche envers les juifs qui l’anime, au point de tabasser certains d’entre eux lors de ratonnades qu’il commet de temps en temps en bande organisée, hors les murs de Tébessa. A la mairie c’est l’effervescence. De toute part, l’empressement guide le personnel administratif pour obturer par de larges plaques les fenêtres du bâtiment. De par sa position très centralisée, il échappe partiellement à la violence des Siroccos même si de minuscules tornades virevoltent dans l’étroit passage qui le sépare des bureaux du Génie Militaire. Les conseillers municipaux encore présents, ne sont pas en reste et contribuent à l’effort commun. On tente de rassurer les quelques administrés qui n’ont pas pu être exfiltrés par des attentions toutes particulières comme les inviter à se rendre dans la grande salle du conseil, là où ils pourront trouver un espace qui a été transformé à leur intention. Au pire, en cas de prolongation de la tempête, on pourvoira à leur inquiétude par des collations réconfortantes. Après avoir aménagé la salle du conseil situé au rez-de-chaussée, A.L. Pignol emprunte l’escalier pour le 1er étage qui lui permet d’accéder au bureau du maire, M. Fargues, situé dans le prolongement de l’escalier, sitôt saisi par l’importance centrale du rôle du magistrat, en tout cas celui que s’est adjugé M. Fargues, selon l’opinion falsifiée d’A.L. Pignol. L’homme fait entendre sa voix après le coup porté sur la porte. « Entrez ! Ah, c’est vous Pignol. Tout va bien en bas ? Nous avons terminé de barder les ouvertures ?". L’utilisation de la première personne du pluriel par le maire fit sourire le conseiller à constater que M. Fargues n’avait eu de cesse de besogner depuis la levée du Sirocco. Etrange spectacle que d’exhiber cet homme derrière son bureau entouré d’un halo de lumière que seul l’éclairage d’une lampe à pétrole déposée à la vite parvient à pénétrer l’obscurité, laquelle a comblée une pièce si insignifiante au départ qu’elle en devient, tout d’un coup, éclaboussant. A l’exposer ainsi, les lunettes rivées sur le nez, ourlé d’une barbe touffue large gris-bleu, précieusement taillée dans son extrémité la plus évasée, avec la paume de la main droite posée sur le front tel un pilier pendant que l’autre a saisi un crayon finement ciselé, on supposerait un érudit ou bien un diacre figeait éternellement sur le même ouvrage, sur la même page, dans une posture pour la postérité, nullement perturbé par le souffle qui harcèle les deux battants de la fenêtre, comme si la vaste lumière voulait s’engouffrer dans cette scène résolue à désagréger ce type en mille morceaux. A.L. Pignol sort de sa semi torpeur, avance prudemment et prend appui sur une des chaises jusqu’alors invisibles à son regard. 
- Oui, nous avons les choses en main M. le Maire, tout le personnel de la mairie ainsi que les conseillers se sont activement mobilisés pour respecter les consignes d’urgence,
- Très bien Pignol, M. Fargues n’a pas dédaigné lever la tête de la pile de documents pour lui répondre, ce qui pique au vif  A.L. Pignol, dont l’agacement se manifeste par une quinte de toux,

- Dites-moi M. le Maire, pourrais-je obtenir 5’ de votre attention ?

- Bien entendu Pignol, bien entendu. Le crayon dans sa main parcourt, continuellement, de gauche à droite, les lignes d’écriture, que puis-je faire pour vous ?

- Ecoutez, je n’en suis pas à ma première demande et comme je constate que les choses n’évoluent pas, je me permets d’insister… ce mot semble irriter le maire lequel pressent qu’il sera encore accusé de ne pas intervenir au point de couper son interlocuteur,

- Insister sur quoi Pignol ? Reprend-t-il hautain pour bien signifier que c’est lui qui dirige cet échange,

- Et bien, il y a encore de jeunes juifs qui déambulent dans la cour Carnot. Alors, en plus de vendre des dattes de façon illégale, ils importunent les piétons, qui sont potentiellement des clients de l’Hôtel et tout ceci est fâcheux pour le commerce, le nôtre comme ceux de nos collègues, renchérit A.L. Pignol appuyant sur la dernière phrase pour insister sur le fait que d’autres se plaignent et que son intervention ne relève pas de la lubie d’un seul individu,

- Oui… J’ai bien conscience du désordre que cela peut vous causer à vous et votre épouse, mais que voulez-vous de plus ? Nous avons déjà rayé les familles juives des listes d’aides sociales suite à une insistance de votre part qui vous caractérise d’ailleurs fort bien Pignol. Cette vente, même illicite, pourvoit tout de même à une rentrée d’argent, même minime pour les familles et de surcroît, je n’ai plus les femmes qui viennent geindre dans mon bureau ! Et croyez-moi, leur insistance m’aurait obligé à camper dans mon bureau ! Cette fois-ci le maire a levé la tête anticipant la réaction de l’hôtelier, pose son crayon et lui répond, très bien Pignol, je ne peux pas interdire la vente à la sauvette, parce que cela est bon pour le tourisme, surtout si ces marchands haranguent les visiteurs de notre belle cité en criant que ce sont d’authentiques dattes de la région de Tébessa. Par contre je peux faire intervenir les forces de l’ordre avec l’appui du Commissaire et exiger que ce… désagrément se réalise en dehors des murs de la ville, Quand pensez-vous ? Au goût d’A.L. Pignol cette question ressemble fort à une sommation à seule fin d’écourter leur conversation,

- Très bien, procédons selon vos souhaits. Je me rends moi-même au Commissariat ?

- S’il vous plaît, faites ceci pour moi. M. Fargues a repris la lecture de son dossier. Profitez de cette pause inopinée pour vous restaurer, je crois qu’il y a de quoi se sustenter. Je vous rejoins plus tard. A bientôt Pignol,

- A bientôt M. le Maire.» Après avoir fermé la porte derrière lui, A.L. Pignol maugrée de toutes ses forces pendant qu’il dévale l’escalier «Je vais t’en faire bouffer des dattes, tu vas voir ! » Peste-t-il intérieurement. Mais son animosité s’éteint généralement instantanément à l’encontre du maire, ce dernier plaidant en la faveur des Pignol pour les adjudications trisannuelles concernant les lots d’alfas, ce qui sous-entend des contreparties implicites de la part d’A.L. Pignol en la direction du Maire, enfin en apparence. Après quelques heures d’isolement, l’éloignement du Sirocco permet à tout chacun, au bout de quelque temps, de reprendre l’activité à laquelle il se consacre d’ordinaire. Avant de rentrer à l’Hôtel, A.L. Pignol décide de bifurquer vers la rue Caracala, endroit où réside dans un appartement presque insalubre son ami Khelal Bachir que son épouse emploie pour la récolte d’alfa, la visite à la gendarmerie attendra demain. 

jeudi 5 septembre 2024

"La petite algérienne". Part. II

Récit en cours de rédaction. Quand des Français étaient antisémites

Partie I

https://ddlabeillaud.blogspot.com/2024/08/extrait-de-la-petite-algerienne.html

D’abord d’aspect pentagonal, la ville centrale extrêmement pourvue en édifices publics majestueux, s’étale, semblant vouloir échapper à la rigidité du maillage rigoureux des rues en forme de case. A part de larges pénétrantes fidèles au plan initial, les ruelles juxtaposées, contraintes par des aléas topographiques, vagabondent davantage même si l’architecture du bâti plus récent ne s’écarte par des caractéristiques typiques des maisons vendéennes. Celle de la famille Mingam est plutôt imposante et convient parfaitement au rang de gradé de Guy Mingam où seule pourtant a résidé son absence pendant plus de 5 ans ; à peine avait-il défait ses bagages qu’il devrait s’acquitter de ses engagements et rejoindre son bataillon. Prise dans l’angle des rues de « Jeanne d’Arc » et de « La Faisanderie », une tourelle carrée à 2 étages, chapeautée d’un toit à larges pans, lorgne sur la partie mitoyenne plus modeste par sa hauteur, elle aussi pourvue d’une toiture à l’identique. La propriété, qui se prolonge par un large muret, laisse deviner un jardin foisonnant à voir les différents arbres exhumant leurs protubérances feuillues dès l’hiver oublié ou bien ébruitant des excitations d’enfants dues à des jeux suspendus par des injonctions de la maîtresse de maison. A son sommet, une vieille vigne dégueule sur les pierres scellées où elle s’est amoncelée mais piégée par endroit dans ses entrelacs déborde par coulure puis s’évade vers le bas, à peine gênée par la porte d’accès donnant sur la rue, et s’accroche vers le haut, agrippée à la gouttière, arborant une ligne continue jusqu’à lécher les chevrons de la toiture. De solides volets battants persiennés oblitèrent les fenêtres du second étage alors que celles du niveau en dessous se trouvent entrouvertes. Si le passant levait la tête à l’instant précis où il longeait cette maison de maître, peut-être apercevrait-il partiellement la frimousse d’Anne-Marie qui, campée sur la pointe de ses chaussures, épie habitée par une certaine fébrilité le retour de sa mère, Huguette Mingam. Yves, son jeune frère, se trouve au rez-de-chaussée dans la spacieuse cuisine, concentré en ce jour de vacances à réviser ses leçons de français en compagnie de la couturière Mme Mérand ravaudant des vêtements pour les enfants ; la chaleur dégagée par la cuisinière alimentée par du charbon, facilitera l’habileté de ses mains moins abîmées par d’anciennes crevasses. A cause de longues périodes de froid, que le rationnement de charbons ne parvenait pas à chasser, le salon adjacent avait été délaissé plusieurs années de suite, si ce n’est quelques intrusions furtives d’une épouse embrunie saisissant les cadres de Guy, photographié en tenue militaire à l’occasion de défilés et de commémorations, qu’elle s’empressait de serrer dans ses bras afin de les encastrer viscéralement contre son corps ou bien qu’elle occupait pour accéder au secrétariat et rédiger des lettres à destination de son époux ou de sa famille en Algérie. De nombreuses autres pièces se vidaient de ses occupants. Car à quoi bon s’attarder dans la chambre du dernier étage, à quoi bon accéder dans une pièce blâmée par l’oisiveté d’anciennes mœurs et d’étreintes éteintes, à quoi bon s’épancher davantage en larmes sur un lit conjugal devenu terne et impersonnel, au point de la révulser parce qu’il aurait été indigne de s’attarder dans un lit moelleux alors que son mari se contentait d’une couche inconfortable et bien sommaire dans un environnement hostile. Huguette Mingam préférera dès lors dormir chaque nuit auprès de son fils, aussi pour soulager leurs terreurs respectives, ce qui n’était pas sans occasionner une forme de jalousie chez Anne-Marie, au point de s’interroger sur la bizarrerie de cette promiscuité inhabituelle surtout quand elle les surprenait allongés à chuchoter des prières front contre front, signe d’une complicité vivace, à rebours de ce qu’elle subissait. Elle en subissait des sévices par une mère un tantinet dépassée par une fille rétive à toute obligation à l’exemple de ses refus répétés de céder à la soupe et aux pâtés de tête. Et pour échapper à la sanction de la tapette à tapis, accessoire importé depuis Tébessa, régulièrement soustrait de son emploi d’origine, s’engageait entre la mère et la fille une course poursuite dans le jardin ou à travers le potager. Anne-Marie n’a alors que pour seul réconfort de sucer son index pour s’endormir tout comme elle le faisait petite, ce qui à le don d’agacer sa mère. Puisque les fenêtres occultaient la moindre forme physique des meubles du second étage, rendant les statuettes religieuses muettes, Huguette Mingam devrait en faire de même et poser un sinapisme sombre sur son désœuvrement. Seul comptait alors le bien-être des enfants, seules les prières répétées, exécutées avec cagoterie, soulageraient sa détresse à force de vœux à destination de son époux emprisonné, empêché par des fils de barbelés, lui espérant le moins pire. « Oh ! Guy ! Qu’il est loin mon pays, qu’il est loin le temps apaisé et béni de l’Algérie », se répétait-elle en boucle à elle-même. Emplie d’une foi chrétienne dès le plus jeune âge, celle-ci ne la quittera plus. En Vendée les occasions de cultes se multiplient et Huguette Mingam tient à honorer de sa présence et certainement avec ferveur, tout ce qui ne viendrait pas froisser son amour pour le Christ eu égard à ses antécédents.
Monseigneur Cazaux

Après Pâques, les fidèles yonnais, regroupés dans une foule dense pouvant compter plus de 3000 personnes au premier rang duquel se positionnait la famille Mingam, défilent dans la Procession de la « Fête-Dieu ». Huguette Mingam n’a pas de superlatifs suffisants pour décrire auprès de ses enfants les reposoirs qu’elle admet magnifiques. Avec les enfants elle se rendait invariablement aux messes dominicales célébrées dans l’Eglise Saint Louis située au cœur du Pentagone. Le recueillement fut répété à la maison et les « Notre Père » s’enchaînaient quotidiennement à la lueur de bougies disposées sur une tablette au bas de l’escalier grimpant en colimaçon dans les étages. Voisine de la photo du Christ, Huguette Mingam avait placé celle de son mari. La photo de Monseigneur Cazaux, Prélat de Vendée, découpé à partir d’un article de presse de « l’Etoile de Vendée » complétait cet assemblage. Malgré les difficultés de transport, Huguette Mingam n’avait pas voulu manquer l’intronisation de Monseigneur Cazaux à Luçon le 30 décembre 1942. Les enfants et les Sœurs Clarisses du couvent de La Roche-sur-Yon l’accompagnèrent dans ce périple. Elles se massèrent le long du parcours de la procession et entamèrent des homélies en hommage au nouvel Evêque de Luçon. Au passage de Monseigneur Cazaux, les fidèles acclamaient discrètement celui pour lequel ils apportaient leur bénédiction. Les personnalités les plus éminentes et politiques du département se joignirent aux célébrations épiscopales et prirent place dans les premiers rangs de l’église. Préfet, Maires et Sénateurs reçurent les salutations de l’Evêque en soulignant avec joie « ce signe de charité et d’union qu’est la présence des autorités civiles à cette cérémonie. Tous ensemble nous travaillerons à refaire la France » Conclut-il. Evidemment il pourrait compter sur le concours des notables vendéens qui s’emploieront « à refaire la France » derrière le Maréchal Pétain, garant de traditions souveraines et rempart contre le Bolchevisme. Chacun gardait dans un coin de la tête, l’ancienne carrière militaire de l’Evêque qui participa au premier conflit majeur de 1914 puis avec le grade de Capitaine à l’entame de la seconde guerre mondiale, avant d’être blessé pendant les combats de Saint Hippolyte le 19 juin 1940. Ils se souvenaient aussi de son alignement sur les positions du Maréchal Pétain jusqu’à évoquer le « miraculeux Maréchal » dans un de ses discours. Si la puissance divine adoubait le Chef de l’Etat, il n’y avait pas à tergiverser, qu’importe le silence assourdissant de l’Evêque sur la question juive trouvant un écho quasi unitaire dans la population locale. Puisque aucune autorité qu’elle soit religieuse ou civile ne se prononçait défavorablement au sort réservé à leurs concitoyens, le problème juif n’existait évidemment pas en Vendée.
L’absence de Guy Mingam qui se prolongeait à partir de 1940, s’éternisant avec la guerre, pesa sur le moral de son épouse, et des craintes irrationnelles et enfantines rejaillissaient comme ce rêve, où petite fille, elle avait été kidnappée par des romanichels puis libérée dans des conditions très floues. Elle en gardait une peur ancrée au tréfonds de son âme et qui persista durant toute la guerre. Parfois la terreur était-elle qu’Huguette Mingam se cachait dans le couloir, accroupie derrière la porte d’entrée, obturant l’ouverture de la boîte aux lettres de crainte que les deux ou trois romanichels, qui passaient par là, s’ingénient à entrer dans la maison. Sur injonction pressante de leur mère, les enfants devaient se tapir dans un coin, le temps qu’elle estimait nécessaire pour que les « intrus » s’éloignent enfin. La soudaineté de ces agissements, guidée par on ne sait quelle intention, pétrifiait une beauté qui n’était pas prédisposée à supporter de tels désagréments. L’instabilité de ces sentiments dévorait, jour après jour et au fur et à mesure d’un désarroi qui la surpassait, les traits élégants de son visage. A tel point que la crispation quasi permanente dont elle supportait la sentence mystique depuis le décès de leur aînée, accélérait un vieillissement bien trop prématuré, que le port de vêtements partiellement limés à force d’être régulièrement vêtis, à usage exclusivement domestique, s’accommodait mal avec un passé bien plus prestigieux, d’une fulgurance telle qu’il paraissait vain de s’époumoner à conter l’authenticité. Quand bien même elle fouissait dans sa mémoire, elle ne faisait que froisser ce qu’elle conservait en pâture à la nostalgie. Au moins, en Algérie elle baignait dans le confort d’une réussite familiale, celle de ses parents, A.L. et Marie-Jeanne Pignol, gérants d’un Hôtel prisé par les européens de passages à Tébessa. Contrairement à ici, où l’humiliation et l’indigence sévissaient dès l’aurore au point parfois de ne plus pouvoir laver les vêtements en attente de soude caustique en provenance de Paris pour fabriquer du savon, le quotidien était alors rythmé par l’allégresse et l’insouciance que les visites de ses amies, Edwige et Alice, justifiaient, lesquelles honoraient pleinement leur complicité. Ensemble, elles se travestissaient pour des bals organisés par les « Dames de la Charité » très en vue à Tébessa. Elles allaient jusqu’à féliciter le patriotisme français par quelques représentations théâtrales, des scénettes en costume glorifiant l’histoire de France. On usait à loisir de la voiture pour aller se balader avec des proches dans le département de Bône, quand Guy Mingam échappait au contingentement. Mais Huguette Mingam est orpheline d’autre chose, d’un instrument dont elle s’adonnait à la musicalité, son piano. Après son passage au Conservatoire des Beaux-arts à Alger dans les années 20, ses parents firent l’acquisition d’un piano qu’ils placèrent dans la cour intérieure de leur Hôtel. Grâce à l’entente entre l’instrument et la musicienne, la notoriété de l’établissement ne se démentit plus, s’amplifiait même à entendre les notes de musique classique et d’opérettes de Lakmé, très à la mode en Occident dans les Années Folles. On avait bien tenté lors d’une cérémonie organisée pour l’arrivée des Mingam, dans l’enceinte militaire de la Roche-sur-Yon, après l’insistance de Guy Mingam, d’asseoir son épouse au piano, installé dans la salle de réception. Cependant, si son récital créa un enjouement unanime, il ne put être renouvelé à cause des hostilités allemandes.

samedi 31 août 2024

Extrait de "La petite algérienne"

 Récit en cours de rédaction. Quand des Français étaient antisémites


1 an après le retrait dans la débandade des troupes Allemandes et de leur supplétif engagé dans la Milice locale, La Roche-sur-Yon, épargnée par les soubresauts de la guerre, hormis le déchiquètement de tronçons de voies ferrées par les Allemands et la destruction partielle de la gare à cause des bombardements alliés, donnerait à penser que la vie ordinaire de ses habitants reprendrait un cours normal, à l’image paisible et limpide de l’Yon qui grignote les premiers quartiers ordonnés par Napoléon. Quand bien même le chef lieu du canton voyait son faubourg de nouveau traversé par quelques convois militaires, l’euphorie de la libération semblait planer encore dans les maisons, les rues, les places et les parcs couverts. Elle s’accrochait aux balcons où elle s’accordait une pause le soir devant un couché de soleil, puis s’attardait sur les toits de tuiles, ocrées par sa magnificence. Plus rien n’interdisait le vagabondage en journée et de musarder le soir venu, que même la pluie émeraude ne parvenait à doucher la réjouissance. Même les neiges de Mai pavaient les trottoirs de batailles poudreuses devenues inoffensives, de blanc maculées. Les amoureux, moins pudiques, qui lézardaient sur la Place Napoléon, s’initiaient dans des étreintes puériles certes, mais si enjolivant aux regards d’inconnus possédés par la suspicion. On avait dissimulé l’essentiel ou bien sommeillait-il dans de ténébreux caveaux et éclatait sans vergogne pour bien signifier que c’est l’attente, ou bien plus sûrement l’effacement, qui avait dispersé le bruit des bottes et dissipé les canonnades. Pour sûr ! On en était convaincus. D’ailleurs il suffisait d’ouïr la candeur des primaires dans les préaux, elle n’avait pas la même texture, la même vibration dans leurs chansons badines, éparpillées dans des airs éthérés que des passereaux de passage relayait. On supposait, à cause de restrictions en tout genre, qu’il faudrait du temps pour réhabiliter un cycle commun sans oppressions ni délations. Il faudrait du temps pour se réconcilier avec soi-même et cesser de frôler les murs de la Cité d’un pas alerte, tout en évitant de pivoter la tête au moindre attroupement ou éclats de voix. On palabrait de nouveau dans les quartiers où les Allemands avaient eu les leurs, établissant une feldkommandatur dans l’Institution Saint-Joseph. Peu à peu les Yonnais ne se défilaient plus par les ruelles dispensées de patrouilles au moment où se détachaient ses façades. Demeuraient sur des vitrines closes de commerces les marques de l’arrestation et de la déportation de Juifs yonnais. Après les évènements de fin janvier 1944 et la rafle orchestrée dans la ville sur ordre de la Préfecture de Vendée, de grandes plaques en aggloméré couvraient toujours les devantures dans le quartier des Halles souillées par des étoiles grossièrement tracées par un pinceau anonyme, stigmatisant par le noir les anciens bailleurs par du « sale youpin ». Personne n’avait encore osé les soustraire à la vue, en attente peut-être d’une enquête administrative pour retrouver de quelconques survivants, réchappés à l’invisibilité de ce que le sort leur avait obstinément fricoté. Certains piétons avaient pris l’habitude habile de ne plus les discerner, en allongeant instinctivement l’allure à l’approche de leur boutique. A cette époque-là, les gens n’avaient rien entrevu. Ils avaient juste été sommairement interloqués par des coups de sifflet lointain, à peine perceptibles. Ou bien feignaient-ils d’ignorer ce qui se tramait au début des soirées, interrogeant les cieux semi obscurs avec une truffe pointée vers le haut tel le museau d’un chien qui renâcle l’atmosphère afin de surprendre une quelconque pitance. Ils évoquaient « le péril juif », dans des expositions à Paris, dans les journaux ou la radio, la Police et la Gestapo ratissaient massivement ailleurs, à Lyon, à Lille, mais à côté la Roche-sur-Yon restait une minuscule ville de province sans grands bouleversements notables depuis ses premières fondations. En même temps, il y avait si peu de Juifs que les gens les connaissaient, eux, jusqu’à leur nom de famille que l’on ne prononçait plus en public et que l’on avait scrupuleusement camouflé sous des pronoms indéfinis. Les gens les reconnaissaient délibérément parmi les piétons, à leur étoile jaune récemment cousue sur les vêtements comme un signe d’infamie, une mise à l’écart, « elles » et « eux » achevèrent la besogne d’extinction de leur être, ce ne serait à présent que des Juifs. Les gens en discutaient entre eux, dans la rue, dans la file à la sortie de la boulangerie, à voix basse de préférence, le ton inquisiteur. Dans l’ensemble, ils ne leur souhaitaient pas de mal, au fond, ils ne leur souhaitaient rien puisque « eux » n’avaient jamais été menaçants, bien moins que l’armée allemande en tout cas. Il est alors à supposer que les opinions variaient selon un rapport de force défavorable à ceux et celles qui ne brandissaient pas les armes. Alors, quand la gendarmerie vint appréhender les Juifs pour les enfermer dans une salle paroissiale, avant d’être déportés, les gens ne réagirent guère, on ne savait pas pourquoi on les emmenait, à moins d’un motif particulier ? Et pour quelle destination ? Et puis on ne voulait pas pour soi d’ennuis avec la Milice française, installée dans l’ex Café de la Paix après réquisition. Il y avait juste à supporter des contrôles inopinés d’identités des Allemands et faire profil bas tout aussi sûrement qu’on s’accoutumait de leurs éclats de rire à la terrasse des cafés ou bien au cinéma rue Gouvion.

Ce début de 1944 fut particulièrement pénible pour Huguette Mingam, qui, comme les autres témoins, restait spectatrice de l’embarquement des Juifs de la commune par la police française et la Gestapo. Mais de surcroît, cela lui rappelait, de façon regrettable puisqu’elle ne les avaient pas approuvées, même si elle ne s’indignait pas ouvertement, les ratonnades perpétrées contre ces mêmes Juifs en Algérie 15 ans plus tôt, auxquelles son père A.L. Pignol s’adonnait avec conviction et acharnement. Mais comment s’opposer frontalement à un père soucieux de l’état de précarité dans lequel elle se cantonne, elle et ses deux enfants ? Elle se doute qu’il a puisé dans le peu d’économies qui subsiste, lui-même confronté aux difficultés de la guerre. Après des prières qu’elle répète en gage de gratitude, elle se souvient que la foi lui a enseigné le pardon des péchés accordé à autrui. Alors quand tout vient à manquer, le versement d’une somme de 5000 fr sur le compte bancaire au Crédit de l’Ouest, ressemble fort à une compensation morale. Après tout, ils en n’étaient pas à une ambiguïté près, ne se sont-ils pas d’ailleurs convaincus que les vices d’un homme seraient jugés par le seul Créateur ? Un matin, de retour du marché, avec une voisine de la rue de La Faisanderie, elles avaient brièvement abordé le sujet des familles arrêtées : «Ces familles emportées… c’est quelque chose que vous n’avez certainement pas vécu quand vous étiez en Algérie, Mme Mingam ? Je ne comprends pas ce que l’on reproche aux Arkiche, ils étaient quand même bien intégrés ! Vous trouviez vous qu’ils ressemblaient à des juifs ? Ils étaient d’origine turque il me semble, non ?». Apparemment, les nouvelles sur des altercations sporadiques entre communautés coexistant en Algérie ne franchissaient toujours pas la Méditerranée. Huguette Mingam, remuée, se contentait d’abonder en acquiesçant de la tête. « Dites-moi, insista la voisine, vous n’auriez pas eu la visite de la Milice ? Huguette Mingam détourna les yeux quelques secondes, le temps pour elle de contre attaquer,

- Oui… Simple contrôle de routine puisque, comme vous le savez mon mari est commandant maintenant, Ah ! J’avais oublié de vous l’apprendre ? Oui depuis 1942… Mr De Gouyon souhaitait avoir de ses nouvelles. Voilà, rien de plus. Il s’est déplacé à cause des coupures d’électricité, il a préféré se présenter au lieu de m’appeler. » Cette réponse suffit à tarir l’indiscrétion d’une voisine, enfin presque,

- Oh vous savez… La Milice… pour ce que j’en pense… bien, je vous laisse Mme Mingam, bonne journée ! ». C’était bien là tout le problème, comment les gens accommodaient-ils leurs pensées à cette période troublée ? Huguette Mingam avait menti à propos de la visite du chef de la milice à la Roche-sur-Yon, Alain de Gouyon de Pontouraude. Tout comme beaucoup de personnes d’extraction noble, Alain de Gouyon excellait sous l’Occupation et appliquait consciencieusement les missions de nettoyage ethnique qu’on lui confiait, à croire que la claustration du pays avait libéré les pires des pulsions. Alain de Gouyon avait inexorablement renoncé à retenir les siennes. Il y avait comme une jubilation méthodique à servir le Reich, un exutoire longtemps refréné, imbibé d’un sentiment d’abandon à prendre part à une grande cause. Quand il se présenta chez les Mingam, flanqué de deux acolytes, cette dernière resta interdite. Les deux types, d’anciens cantonniers, concevaient leur nouveau métier comme une ascension sociale du fait que leur mission revêtait une dimension suprême, enfin c’est ce qu’on leur répétait. Le sourire qu’affichait le chef n’était pas fait pour la rassurer.

« Oui, bonjour… Que puis-je faire pour vous ? Demanda prudemment celle qui venait d’ordonner aux enfants de monter dans les chambres,

-         Mme Mingam, je suis Alain de Gouyon, chef de la Milice locale, dit-il d’une voix nasillarde tout en retirant son chapeau, je me présente à vous pour vous informer que nous avons reçu une lettre extrêmement réconfortante de votre père, Mr…, Mr…, impatient il se retourna vers un des miliciens pour soutirer une confirmation, surpris d’être l’objet d’une requête,

-         Mr Pignol, mon père s’appelle A.L. Pignol, intervint troublée Louise Mingam, gommant dans la seconde la face crispée du milicien sollicité,

-         Oui ! C’est bien cela ! S’exclama Alain de Gouyon, qui retrouvait un rictus plus détendu,

-         Mais pourquoi mon père vous aurez adressé un courrier ? Je ne comprends pas,

-         Et bien, puisque vous habitez la Roche-sur-Yon, vous et votre famille, il tenait à nous apporter son soutien. Il n’a pas manqué d’ailleurs de nous préciser que nous pouvions compter sur le votre. A ce stade, nous ne sommes pas parvenus à débarrasser la ville de la souillure juive et que nous savons que des Bolchevicks se terrent dans leurs maisons. Si jamais vous aviez des informations ou… des doutes sur telle ou telle personne, n’hésitez pas à vous rendre dans l’ancien Café de la Paix où nous avons notre siège,

-         Oui… je connais le lieu, parvint à répondre Louise Mingam, gagnée par l’écœurement. Ecoutez… J’ai beaucoup à faire du fait de l’absence de mon mari, surtout avec les enfants, et je ne sors pas souvent…

-         Bien entendu, bien entendu ! Nous connaissons la situation de votre époux, un officier ô combien méritant et quel courage ! Quel parcours en Afrique ! Bien ! Nous ne vous retenons pas plus longtemps. Surtout n’hésitez pas à venir nous voir en cas de besoin. Nous sommes à la disposition de ceux et celles qui comme vous sont de vrais patriotes. Conclut satisfait Alain de Gouyon.

-         Très bien… Je ne manquerai pas de m’en souvenir. »

Après les salutations d’usage et un sourire effacé, Huguette Mingam se plaqua contre la porte d’entrée et mit un temps à se remettre, elle devait obtenir une explication de son père malgré son silence dans les courriers provenant d’Algérie. Elle n’avait toutefois pas oublié que son père soutenait farouchement le gouvernement de Vichy, allant jusqu’à se présenter au bureau de recrutement à Constantine pour renouveler son service militaire en 1941, recrutement qu’il lui fut refusé au regard de son âge avancé. Il y avait dans cette tentative exubérante, une ambition aveugle, une ivresse inamissible, à soustraire au monde une part terrestre, le mieux étant de la brûler dès le plus jeune rameau éclos.