Opération de transport à la voile
– Bretagne – Novembre 2013
Rédaction : Stéphane Guichen (entrepreneur breton)
Un an après la première tournée sud-armoricaine du Leenan Head (opération
de transport à la voile à l’initiative de David Derrien, d’Ingalañ Bro Brest),
nous remettions le couvert pour un Nantes-Roscoff, toujours mené par Ingalañ
Bro Brest et orchestré par Towt, mais
cette fois-ci à bord d'une des légendes des côtes bretonnes, le Biche. Cet
ancien dundee thonier de Groix abandonné à son triste sort pendant des
décennies a été remis à l'eau en 2010 par les chantiers du Guip de Brest, grâce
à l'acharnement d'une association de passionnés et au soutien de toute une
région. L'objectif était toujours le
même : pérenniser la ligne sud-nord Bretagne à la voile et l'inscrire dans
la régularité.
Le « climat psychologique » de l'opération était un peu
différent de l'an passé cependant car nous étions en pleine ébullition
« Bonnet Rouge ». Or dans cette affaire-là les questions de transport
ont été centrales et les camionneurs au cœur de l'agitation. Il est clair que
le « modèle agro-industriel » breton, devenu aujourd'hui un
contre-modèle criant, repose sur trois piliers : la concentration des
investissements au mépris des normes environnementales, l'absorption massive de
subventions françaises et européennes, enfin une offre de transport, la
meilleure marché possible. Faute de quoi le bassin de production breton se
retrouverait pénalisé face à d'autres régions moins éloignées de Rungis et des
grands centres de consommation. Le barrage serré opéré par ces trois secteurs
puissants leur a permis de bloquer le mouvement politique et législatif en
essayant de reprendre la main (pacte d'avenir régional signé par Ayrault en
décembre, loi d'avenir pour l'agriculture en cours d'examen et, bien sûr,
suspension temporaire de l'éco-taxe). Le voyage à bord du Biche semblait donc une
modeste goutte d'eau dans un océan de gazoil.
Il semble néanmoins que nous allons assister au renversement de la
tendance dans les mois qui viennent et ce pour au moins trois raisons. Tout
d'abord parce que les consommateurs et même la population dans son ensemble se
sentent de plus en plus concernés par un tout autre discours : celui de la
relocalisation des productions, et donc des emplois, de leur qualité
environnementale, de leur lien à la terre et au climat. En un mot de leur(s)
« sens ». Nous sommes de plus en plus nombreux à ressentir cette
attente, à la voir se structurer et à essayer d'y répondre. Or ce marché local, conscient et exigeant,
non négligeable en termes économiques, finira nécessairement par peser
sur le « modèle » dominant et à en faire chuter des pans entiers.
Assemblée à l'Institut de Locarn |
Deuxième raison d'espérer, le fait que les lobbies patronaux ont dû
tomber le masque de manière brutale pour faire pression sur l'Etat. Derrière
tous les slogans cherchant à faire vibrer les cordes bretonnes sensibles
(« Vivre et travailler au pays », du gwenn-ha-du en veux-tu en voilà,
kartelloù e brezhoneg et, bien sûr, LE bonnet) nous avons bien fini par
entendre, de manière tout à fait claire : « Continuer à faire des
profits sur le dos du pays » et surtout ne pas toucher à la bonne vieille
machine à sous. Le classique chantage à l'emploi relayé à pleines pages par les
médias régionaux et nationaux et la grande gueule de Troadec n'ont pas suffi à
brouiller la piste du pognon. Les membres de l'Institut de Locarn ou de Produit
en Bretagne, présidé pendant des années par le transporteur Jean-Jacques Le
Calvez, ont mis leurs ouvriers précarisés dans la rue en les menaçant autrement
de les mettre à la rue. La manipulation était patente et pathétique. Elle
visait à rejeter la faillite du système sur l'Autre, les technocrates parisiens
ou bruxellois, l'égorgeur de cochons polonais ou roumain peu importe. A ceci
près que les scandales Doux, Tilly, Gad, Marine Harvest n'ont rien à voir avec
l'écotaxe. C'est bien de mauvaise gestion dont il s'agit, de
gabegie, c'est-à-dire de« gestion financière défectueuse ou
malhonnête, de gaspillage » (Larousse).
Malgré les contre-feux, les hérauts de la défense de l'emploi en
Bretagne sont apparus sous leur vrai jour : des gens appartenant à une
époque dépassée, décrédibilisés, proposant du neuf avec du vieux. De
mauvais managers manquant de vision, des fossoyeurs. Et par dessus le marché
des gens qui se sont gavés pendant des années et qui hurlent comme des gorets parce que ça semble vouloir s'arrêter.
Le tout alors qu'une part de plus en plus grande de la population rame pour
boucler ses fins de mois. Et qu'une autre part, encore à l'aise, se demande à
quelle sauce elle sera mangée demain et qui réfléchit sérieusement, tant
qu'elle n'est pas encore dans l'urgence et la précarité.
Ce qui nous amène à notre troisième point de rupture, à savoir la
traduction politique de tout cela. En dehors des Verts les propositions de
changement sur le fond ne sont pas légion, le vote et les commentaires
sans illusion sur le « plan d'avenir » de Région en est une bien
triste illustration. Une chose est sûre en revanche, c'est que les hommes et
les femmes politiques bretons, à commencer par le PS ultra-dominant, ne sont
plus aux ordres exclusifs de la Fnsea et des syndicats patronaux. Entre la
prise de conscience des électeurs informés par un réseau serré d'associations
citoyennes et la « décrédibilisation » d'une partie des
« barons », le tout sur fond de crise sévère, la Sainte Alliance est
en train de craquer. Pas de manière frontale ni spectaculaire, non (il suffit
de regarder la photo de famille lors de l'inauguration de la place Alexis
Gourvennec à Henvic dans le Finistère il y a quelques semaines...). Mais à la
marge. On parle de plus en plus d'économie sociale et solidaire et quelques
bons projets ont pu trouver des appuis. Les politiques publiques régionales et
locales autour de l'eau, de l'énergie, de l'urbanisme, de la santé,… sont
âprement débattues.
Une nouvelle vision à moyen-long terme de la société et de la région est
en train d'émerger, lentement mais sûrement, et l'épisode des « beaux nez
rouges » en marque selon moi le « coming out ». Ce que j'aurais
aimé voir jaillir en 2012 avec la mobilisation contre l'aéroport de ND des
Landes (encore et toujours les questions de transport et de terres !)
s'est finalement produit dans d'autres campagnes, plus à l'ouest. La ligne de
fracture est ouverte et le discours dominant, désormais sur le déclin, apparaît
pour ce qu'il est en substance c'est-à-dire réactionnaire. Il n'incarne
plus la modernité, l'efficacité, ni la sécurité dont les sociétés pensent avoir
besoin.
Les langues se sont déliées, le débat à armes égales vient de commencer
qui verra émerger une nouvelle logique dictée par la raison et la nécessité.
Avec deux mots d'ordre capables de rassembler les femmes et les hommes
d'horizons très divers désireux de sortir de l'ornière:une Bretagne
solidaire et durable.
Un petit point de vue sur l'écotaxe dans O-F, avec Tres Hombres :)
RépondreSupprimerhttp://www.towt.eu/wp-content/uploads/2013/12/Tres-hombres-Douarnenez-2013-OuestFrance.pdf