Quand en 1985 Coluche créait les
Restos du cœur, il était loin d’imaginer que 30 ans plus tard, ce qu’il voyait
au départ comme un réseau provisoire de distribution de surplus de
l’alimentation industrielle aux plus démunis serait institutionnalisé et participerait
à la bonne conscience collective, notamment à travers la surexposition des
« Enfoirés ». Ce qui a été institutionnalisé, à partir d’un élan de
générosité face à une paupérisation croissante, est bien la précarisation
alimentaire. Puisque l’Etat français accepte les riches, il fait aussi avec ses
pauvres et, dépassé par l’urgence chronique, démissionne de ses responsabilités
publiques, en s’appuyant, sur ces associations de collecte alimentaire (rien
que pour les restos du cœur plus de 130 millions de repars distribués en 2012).
La situation est doublement perverse aujourd’hui, car elle participe au
maintien d’un système économique mondialisé, générant un gaspillage alimentaire
insupportable quand on sait que 40 % des produits commercialisés en Europe sont
jetés, le champion toute catégorie confondue de cette faillite consumériste
restant la grande distribution.
S’agissant justement de la grande
distribution, on a bien vu que la gestion de l’excédent alimentaire, arrivant à
la fin du cycle de vente (date de péremption) n’avait pas bien été intégré
quand, pour certaines enseignes, la seule réponse qu’elles apportaient était de
stigmatiser la population la plus vulnérable (produits aspergés par de
l’ammoniac, directement dans les bennes, pour être impropres à la
consommation).
Mais les mentalités évoluent, pas
dans le sens où certains d’entre nous le comprennent, parce que l’impact en
terme d’images est désastreux. Il ne faudrait donc pas que tout acte de participation
sociale justifie le maintien d’une filière agro-alimentaire productiviste,
polluante, qui généralise le statut de travailleurs précaires et porte atteinte,
au final, à la question de salubrité publique.
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Comment peut-on se réjouir alors
de l’émergence de mouvements comme le « disco-soupe » ? Si la
collecte alimentaire, constituée essentiellement de denrées périssables et fraîches,
était basée sur l’approvisionnement à partir d’une filière respectueuse de
l’environnement et de l’humain, il n’y aurait aucune raison valable de
s’interroger. Maintenant, le mouvement annonce qu’il a sauvé de la poubelle
plus de 25000 kg
de fruits et légumes en 2014. Ce chiffre, au regard d’un marché plus
conséquent, reste symbolique. Sauf que, même si la grande distribution est
écartée d’office, solliciter des importateurs de fruits et légumes n’apporte
aucune garantie quant aux seuils de tolérance à ne pas franchir. Si le
mouvement « disco-soupe » devait s’étendre, est ce que le seul réseau
de magasins bio suffirait à répondre à une exigence de conscience vertueuse ?
Pourrions-nous éviter les pièges du maintien de la précarisation
alimentaire ? D’autres initiatives citoyennes répondent plus à la
cohérence d’une vision globale, comme l’exemple de la distribution de fruits et
de légumes bio, de proximité, en direct, gratuite ou selon l’échange d’une
participation libre, en cas de sur production ou d’invendus. La solidarité
alimentaire se substitue alors à une forme d’attitude caritative car elle
s’éloigne d’une logique de rentabilité des marchés de production.
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