L'avènement de l'agriculture industrielle depuis le début des années 90 a vu l'apparition de nouvelles pratiques qui ont densifié les rendements au m2 générés par l'expansion de serres à production notamment de tomates et de fraises. La Bretagne, et plus particulièrement le Finistère, terre agricole par excellence, n'ont pas échappé à des phénomènes de changements dans la conduite des cultures avec l'introduction de la biotechnologie.
Présentation au public d'une ruche de bourdons Saveol |
Pour parfaire leurs techniques culturales, les apprentis sorciers que représentent les dirigeants des coopératives les plus mercantiles ont modifié la façon dont les opérations des plus naturelles de pollinisation s'effectuaient par les butineurs dans la nature, en recourant massivement et à une échelle industrielle, au Bombus terrestris, le bourdon terrestre d'élevage, ou encore surnommé le "cul blanc". Ainsi cette abeille des plus performantes, au génome probablement modifié afin surement de la rendre moins vulnérable aux pathologies, assurait à l'agro-industriel une production dès plus conséquente, conforme à des normes de calibrage sensées répondre aux besoins du consommateur. Mais pas seulement. La collaboration active d'un auxiliaire vivant redorait l'image quelque peu ébréchée de l'industriel et pouvait dès lors l'associer à une vision naturelle d'une production généralement confinée et hors-sol.
Oui mais voilà, il serait vain de croire que le bourdon d'élevage limite sa recherche de pollen aux seuls plants de tomates. Sa vocation est toute autre et sa voracité, ainsi que son adaptabilité, l'entraînent en dehors des rangées bien ordonnées pour s'égarer dès que les trappes sont ouvertes, jusqu'à 3 km à travers une flore sauvage qu'il explore parfois bien avant les populations locales sauvages. Ce bourdon d'élevage se retrouve donc aux contacts répétés de congénères dont l'existence est sérieusement bouleversée par une telle concurrence. Si comme le rapporte Jacques Le Gall, producteur de fraises chez Saveol, les premiers bourdons sont libérés dès la mi-janvier jusqu'à approximativement la fin août, avec une production de 15000 ruches par an, c'est à un véritable tsunami sans fracas auquel sont confrontés depuis plus de 30 ans les autres pollinisateurs endémiques, dans leur besoin vital d'extraire leur subsistance. Pire, la répétition annuelle d'une cohabitation indésirable a sûrement falsifié les caractéristiques innées d'individus s'établissant dans la circonférence des serres industrielles. Benoît Geslin, professeur agrégé à l'Université de Rennes, ne dit pas autre chose : "Ces populations d'élevage "polluent" très certainement les populations locales et doivent "gommer" certaines de leur adaptation". Il y a pas d'autre terme pour qualifier ces changements préjudiciables à la biodiversité que celui de pollution génétique. S'ajoute à cela, la probable substitution de populations de butineurs sauvages par celle issue de couvains industriels. C'est à dire qu'à force de concurrence exacerbée, les autres espèces de bourdons finissent par abdiquer. N'aurions nous pas alors affaire à une double peine avec l'effondrement des espèces dans ces lieux exposés à l'implantation des serres ?
Devant un tel phénomène et à ce stade de la commercialisation des ruches de bourdons, on s'attendrait à découvrir un discours à charge ou tout du moins une littérature scientifique abondamment consacrée à ce sujet depuis 30 ans. Mais force est de constater que l'on doit se contenter d'une portion bien mince dans la recherche scientifique française, à l'instar des travaux écologiques d'interactions des pollinisateurs publiés en janvier 2017 à travers des études de cas, même si elles ne font toutefois pas état de l'incidence du Bombus terrestris d'élevage utilisé dans les serres sur le milieu naturel dans l'hexagone*. Au contraire même. L'enthousiasme des rédacteurs de sites sur l'utilisation des bourdons d'élevage vient sournoisement détourner l'attention que mérite indéniablement ce traumatisme que vivent, dans l'indifférence quasi-générale, les populations de pollinisateurs sauvages.
Il est donc fort à parier, vue l'ampleur de la catastrophe que la parcelle de lindouar du Dreff à Plougastel-Daoulas, située à 800 m des premières serres implantées au Cosquer Saint-Jean, n'échappe pas à la visite de bourdons sponsorisés "Saveol". La haie de consoudes, plante dont raffolent ces intrus, a été installée par un adhérent de l'association "A quoi ça serre" afin que ces légumes profitent avant tout de la complicité de pollinisateurs sauvages, et non de bourdons "Saveol". Par conséquent, le préjudice environnemental subi par cet adhérent est avéré. Il va s'en dire que cet adhérent ne se contentera pas de constatations. Une des premières étapes, et non des moindres, sera d'exiger auprès des autorités ministérielles ou du législateur, que les serres soient reconnues comme ICPE : Installation classée protection de l'environnement. Mais ce ne serait qu'une première étape.
*On apprend à la lecture du document que le marché mondial des colonies du Bombus terrestris atteint plus de deux millions de colonies échangées par an. Suite à ce commerce massif de colonies, de nombreux pays ont signalé des cas d'invasion comme en Nouvelle-Zélande, au Japon ou encore en Isarël. Et rien en France ? Lire aussi : https://www.lesbelleshistoires.info/le-bourdon-terrestre-une-espece-invasive/. Auteur: S Delorme)
Deux vidéos sont à la disposition des lecteurs. La première montre la présence turbulente du bourdon terrestre sur les fleurs de consoude (mai 2023). Dans la seconde vidéo, le bourdon terrestre a disparu. Cela peut s'expliquer par la fermeture des trappes des serres à cause d'une météo peu clémente et/ou de l'interruption de l'usage des ruches par les serristes (fin août 2023).
https://www.youtube.com/watch?v=u07YbeA-PZk&feature=youtu.be
https://www.youtube.com/shorts/QSI_D8UGVQM
Toujours très actif ! .... Félicitations.
RépondreSupprimerBisous
Anne-Marie M.G.