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puis dans la suite I
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C’est parce qu’il avait vu
l’Abeillaud se démener comme un véritable défenseur de l’environnement, qu’un
apiculteur, aguerri dans l’art de sortir son dard pour dénoncer les effets des
néonicotinoïdes sur les abeilles, l’imagina revêtir le costume de Président de
la République. Une troisième comparse vint souder une équipe de campagne, partie
pour rivaliser avec les ténors de l’échiquier politique français. Et qui mieux
comme exemple que Jacques Chirac pour donner le ton du lancement de cette campagne,
avec ce vieil adage, qu’il a surement usé à force d’abus, et cela tout au long
de sa carrière politique : « plus c’est gros, plus ça passe ». 300
promesses de parrainage semblait un chiffre suffisamment éloquent pour attirer
l’attention des médias et rendre hommage au maître incontesté du genre. Comment
un anonyme, déguisé en abeille, qui se présente à l’élection suprême, à partir du
seul programme, inspiré du protocole de Kyoto sur la biodiversité, avait pu
obtenir l’attention des élus ? L’idée était simple. Il suffisait de
prétendre que des volontaires, militants écologistes chevronnés ou apiculteurs
aux abois, avaient contacté des mairies, essentiellement implantés en milieu
rural. Presque tout le monde à la campagne connaît un voisin, un ami, un parent
qui pratique l’apiculture, très souvent comme une activité de loisirs (à
partir d’une seule ruche, la notion d’apiculteur, même amateur, suffirait à
consterner tous ceux qui tentent de déployer un cordon sanitaire autour de leur
rucher afin de se prémunir d’une contamination du fait de cette activité de
loisir). Il peut même s’agir du maire lui-même. Toutes les zones géographiques
sont couvertures par l’apiculture : montagne, littoral, plaine,…..
Nombreux sont ceux qui s’accordent à penser que l’importation massive de miel
est une source de fraudes et que le déclin des abeilles est dramatique. Et ce
ne sera une surprise pour personne que d’apprendre que l’abeille exerce une
fascination tout particulière sur l’imaginaire collectif, faisant de cet
insecte l’un des plus populaires représentants de la biodiversité, à en juger
par le nombre de fois où on appela l’Abeillaud, « Maya ». Donc la
mobilisation des élus pouvait se tenir, en tout cas se justifier. L’annonce de
la candidature s’est faite en janvier 2012, laissant le temps soi-disant nécessaire
à la prospection durant tout l’automne 2011. Le gros du soutien se répartissait
entre le « grand ouest », les zones de montagnes et le Sud-est de la
France.
Le plan de communication
reposait sur très peu d’éléments. Enfin si. Il reposait sur les épaules de
Didier. L’enjeu était de taille, mais lui, en avait-il la carrure ? Il
fallait bluffer. Gagner au change. Chaque élection présidentielle entraîne son
lot de candidats hurluberlus avec des revendications fantaisistes. Les médias,
sans trop d’à-priori, se délectent de les présenter au public, même s’ils ne
les font pas figurer dans la même catégorie que les candidats issus de familles
politiques, trouvant la légitimité de leur représentativité dans l’assurance
d’un relai médiatique et dans les commentaires des observateurs. Qu’auraient-ils
d’autre à faire, d’ailleurs ces observateurs, à part se noyer dans l’assurance
de leur propos ? Les journalistes prennent soin de cantonner ses candidats
atypiques dans des modules d’infos à part, un fait divers souriant et plein de
condescendance. On ne les prend pas au sérieux, surement à juste titre
d’ailleurs, aucun n’a jusqu’à présent recueilli les 500 signatures obligatoires
pour se lancer officiellement. Donc les médias ne prennent pas beaucoup de
risques à s’aventurer dans des pronostics farfelus. Quoique, à voir le nombre
de journalistes présents au lancement de la campagne, le doute pouvait encore
planer. La déontologie ne se définit pas juste dans le cadre privé d’une profession. Elle devrait
accompagner la parole et le geste politique qui eux, s’apparentent davantage à
une fonction publique dont l’exigence de transparence devrait être le socle d’un
mandat. Didier s’apprêtait à mentir aux médias. Soit. En oubliant son costume
d’abeille, il serait fidèle à la proportion de politiciens à faire des
déclarations « bidons », des promesses intenables : ce ne sont
pas les beaux discours qui font gagner une élection mais bien les luttes
d’influences. Alors il fallait parvenir à infléchir la presse, contraindre ses
choix rédactionnels et l’attirer dans ce petit restaurant qui faisait face au
lycée de l’Harteloire à Brest. Ce fut chose faite. La conférence de presse se
déroula dans une ambiance où planait un mélange d’incertitude et d’incrédulité.
Qu’est-ce qui a fait que le plan fonctionna comme prévu ? Didier ne le savait
pas. Peut-être la présence du représentant des apiculteurs professionnels,
rendant crédible l’annonce des 300 promesses de parrainage ? Toujours
est-il que la photo prise par l’agent de l’AFP, d’un dédé l’Abeillaud hilare,
posé sur une chaise à couffin, au dossier en bois, majestueux, remontant très
haut, dans un décor digne des plus belles pièces d’une crèche pour enfant, fit
le tour des rédactions et commença à être diffusée. Si l’AFP envoyait un
correspondant, c’est qu’elle prenait cet évènement suffisamment au sérieux pour
le couvrir.
Les trois mois qui suivirent furent un enchaînement
d’articles dans des revues, d’interview téléphonique ou à la radio et de
reportages vidéos. Sa notoriété était grandissante, surtout en Bretagne et plus
particulièrement à Plougastel-Daoulas, son lieu d’habitation. On découvrait un
personnage haut en couleur et fort sympathique. Les soutiens se faisaient plus
nombreux, même si ne pas dévoiler la supercherie à quelques-uns, le chagrinait
sincèrement. Le scepticisme, lui, avait presque disparu dans les propos des
journalistes et dans ceux des politiques. L’article dans « Le Monde »
aida certainement. Puisque les confrères en parlaient, on ne pouvait pas faire
l’impasse, on devait réagir et évoquer le sujet : 354 promesses en Mars.
La collecte avait ralenti. Normal, il n’avait jamais été question d’aller
jusqu’au bout. On n’avait déjà bien sollicité les troupes et faute de moyens,
les déplacements butaient sur Paris. Les autres candidats qui galéraient pour soulever
des soutiens, s’étouffaient dans leur orgueil, à commencer par Dominique De
Villepin. Cet homme d’Etat, à la fois gaulliste et ancien premier ministre, qui
s’était opposé à la première guerre d’Irak face aux américains, ne parvenait
pas à obtenir suffisamment de ralliements sous son nom. Il déclara sur le
plateau du Grand Journal de canal + : « Regardez des candidats
sérieux, vous en avez. Prenez dédé l’Abeillaud ! ». Même Jean-Michel
Apathie, journaliste politique de premier plan, révisa sa position de
départ : « S’il obtient ses 500 parrainages, on l’invitera dans
l’émission », une annonce qui s’est faite avec un sourire « mi figue,
mi-raisin ».
La dernière étape de la
campagne consistait à annoncer le retrait de dédé. Là encore, l’Abeillaud enchaîna
les reportages et les articles sur le net. Là encore, l’ex-candidat (qui n’a
jamais été candidat quand on y pense bien), attira l’attention d’une candidate en
panne de reconnaissance. Pendant que Didier, précautionneusement, s’exerçait à
couper quelques brindilles de mimosa à l’attention d’une femme, aussi belle que
désirable, au point de compromettre son discernement, absorbé par le trouble de
pensées charnelles, il fut brusquement interrompu par un appel de Corinne Le
Page. Après les formules de politesse, ils en vinrent au vif du sujet :
« Vous n’êtes pas sans savoir que je suis moi-même candidate mais je n’ai
pas encore atteint les 500 promesses de parrainage. Accepteriez-vous
d’interférer auprès de vos soutiens pour qu’ils appuient ma candidature ?
J’ai déjà fait beaucoup pour l’environnement – Ecoutez Mme Le Page, je ne
remets pas en cause vos engagements mais avec l’équipe de campagne nous avons
décidé de n’appeler à soutenir aucuns candidats ». L’avocate insista un
peu sans obtenir la moindre contrepartie. Comment pouvait-il en être
autrement ? La fin de non recevoir interrompit leurs échanges. Pas
complètement toutefois. Avant de raccrocher, certainement agacée par ce refus,
Corinne Le Page conclût en ces termes : « Très bien. Je suis députée européenne.
Je tacherai de m’en souvenir ». Didier, satisfait, aurait un joli bouquet
à offrir à cette femme. Ca lui ferait plaisir. L’essentiel était là, dans ces
clochettes odorantes, annonciatrices de moments de réjouissance. Corinne Le
Page ne serait pas candidate aux élections présidentielles de 2012.
Avant de tourner la page
de cette épopée mouvementée, une nouvelle vision de l’univers des médias
s’imposait à Didier. Hormis l’interview accordée à une journaliste chilienne de
« TV4 Monde », qui dégageait une certaine sincérité pour la cause
qu’il représentait, Didier ne se sentit pas mal à l’aise dans l’exercice de fausses
déclarations à la presse. Et à force de sollicitation, même s’il savait qu’il
ne détenait pas le sésame utile à sa couverture médiatique et que cela ne
l’affectait pas dans son propre jugement, il agissait pour une bonne cause, une
cause juste. Parfois, il en ressentait presque une satisfaction de manipuler
des journaux, dont les propriétaires étaient le plus souvent des salauds de capitalistes.
Mais une part de lui était quelque peu songeuse: comment des journalistes
pouvaient-ils publier des papiers sans un travail préalable
d’investigation ? La source était-elle fiable ? Pourquoi n’avaient-ils
pas pris le temps d’interroger quelques apiculteurs ou quelques
militants ? Peut-être que finalement ils subodoraient quelque chose mais
comme la cause était juste, et le personnage plutôt sympathique, ils la
soutenaient à leur tour. En tout cas, le dénouement ne le dira pas et ce n’est
pas ces quelques lignes qui viendront changer ce qui est sous-entendu.
Alors, après cet exercice électoral,
avait-il aliéné ce besoin de reconnaissance envers ses enfants ? Didier
pensait que oui. En partie oui, bien aidé en cela par les merveilleux dessins
de Marcel de la gare, utilisés comme badges pour accommoder les vêtements de
quelques copains et copines de leur école primaire. La fin de campagne n’était
pas vécue comme une défaite. Au contraire. Le nom de dédé l’Abeillaud butinait
dans les bouches. Son évocation faisait bourgeonner des sourires, émaillés du
bourdonnement du super héros, bizzzz ! Didier le voyait bien dans les yeux
des enfants ; il y avait là une espèce d’amabilité à croiser un parent de
l’école qui avait fait le buzz. Les rendez-vous avec les médias continuaient. A
un rythme moins effréné certes, et qui laissait le temps à Didier d’apprécier
l’attention qui l’avait suscitée auprès de la population locale. Des
interrogations peinaient à satisfaire les plus sceptiques ou les moins dupes. Quoique
premiers supporters d’une telle blague, ils le titillaient pour en savoir
plus : « Bon alors, tu les as eues tes promesses ou
pas ? ». La réponse, évasive, ne variait pas : « Ah !
Ca fera partie de la légende ». Le tout se terminait dans des éclats de
rires et une tournée au bistrot.
L’après campagne de l’Abeillaud
se prolongea encore quelques mois. De façon plus ponctuelle mais ô combien
savoureuse. Il n’avait qu’à se souvenir de ce week-end passé derrière les
murailles de St Malo. Courant mai 2012 Didier accepte de soutenir la
candidature de Carole Le Bechec pour le compte d’E.E.L.V. aux élections
législatives. Au programme, déambulation atypique sur les marchés et une conférence
d’un ami apiculteur, venu pour l’occasion. Se trouve parmi les personnes présentes,
une autre apicultrice amateur, Corinne Maier, qui est une amie proche de la
candidate. C’est une joie pour Didier de faire sa connaissance sachant que,
quelques mois auparavant, il avait lu son best-seller « Bonjour
paresse ». Un régal ! Comme son séjour. La présence de Pascal, un autre
ami de Carole, vient composer un quatuor joyeux et fêtard. Ils profitent
amplement d’un St Malo en ébullition. Déjà parce que se tient une énième
édition du festival « des étonnants voyageurs », mais surtout parce que
les trublions de la compagnie « La Belgique Sauvage » affolent les
codes de bienséance lors d’une soirée tout en couleur. Didier multiplia de
nouveau, par la suite, des occasions de revêtir le costume du faux-bourdon. De
toute évidence, il ne voulait pas s’arrêter à un grand coup médiatique puis
passer à autre chose. L’effet avait été certain, mais la tâche, en réalité, ne
faisait que commencer et pas forcément là où il s’y attendait.
Un type, lors d’une
quelconque manifestation de rue, que Didier avait croisé quelques années
auparavant, tout en le saluant, lui dit : « Tu as eu ton heure de
gloire ». Une autre encore, militante écologiste, aperçue dans des
rassemblements de faucheurs volontaires l’interpella ainsi « Tu vas
attraper la grosse tête ». Didier ne comprenait pas ce que cela
signifiait. A quoi bon s’attarder à convaincre du contraire, ce qui aurait de
toute façon renforçait l’illusion d’un engagement désintéressé et sincère.
Comment leur dire qu’il se mobilisait pour l’écologie avant tout pour ses
mômes ? Fallait-il adopter une posture quand on se soucie de la nature ?
Y avait-il des mots pour cela ? Avait-il d’ailleurs besoin de motiver son
action ? Se justifier de quoi ? D’avoir traversé la Bretagne en
pleine période glaciale de février 2012, dans une voiture sans chauffage,
couverte de gel, où les doubles paires de chaussettes et de gants enfilés ne
suffisaient pas à soulager la morsure du froid, puis se retrouver en collant
devant le jardin du Luxembourg à Paris, piétinant du fait des 2°c ambiants, à
attendre les médias et, enfin, quelques jours plus tard, tomber malade ? C’est
comme ça que l’on attrape la grosse tête ? Didier avait surtout chopé la
grippe oui ! La gloire ne le concernait pas, ni même la reconnaissance d’un
statut social, provisoire, puisque ce dont il avait conscience, c’est que le Tout
est éphémère.
C’est un joli mot,
« Ephémère », un adjectif garni de féminité. L’éphémère s’agite sur
un rythme court, sous une forme cyclique, hachée, en pointillé, qui apparaît et
disparaît, qui vit et qui meurt, le temps de la vacillation d’un œil. S’il
s’agissait d’une musique, elle n’aurait pas été celle de Satie, mais Satie
lui-même. L’éphémère exalte la beauté d’un insecte ou le plongeon du Soleil. Il
meut avec les éphémérides d’une journée ou les affaires du Monde, usurpé, dans
ce dernier cas, par l’instantanéité arithmétique. Employé comme substantif
singulier l’éphémère devient neutre, avec tout de même un goût d’inachevé, une
amertume discrète qui ne s’affirme pas tout de suite mais qui s’affine plutôt comme
le couperet d’une lame. Tout a un temps. Et rien n’a de raisons.
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