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samedi 27 octobre 2018

Les vicissitudes d'une abeille sauvage, suite II

Retrouvez la trace de l'Abeillaud dans l'ouverture
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puis dans la suite I 
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C’est parce qu’il avait vu l’Abeillaud se démener comme un véritable défenseur de l’environnement, qu’un apiculteur, aguerri dans l’art de sortir son dard pour dénoncer les effets des néonicotinoïdes sur les abeilles, l’imagina revêtir le costume de Président de la République. Une troisième comparse vint souder une équipe de campagne, partie pour rivaliser avec les ténors de l’échiquier politique français. Et qui mieux comme exemple que Jacques Chirac pour donner le ton du lancement de cette campagne, avec ce vieil adage, qu’il a surement usé à force d’abus, et cela tout au long de sa carrière politique : « plus c’est gros, plus ça passe ». 300 promesses de parrainage semblait un chiffre suffisamment éloquent pour attirer l’attention des médias et rendre hommage au maître incontesté du genre. Comment un anonyme, déguisé en abeille, qui se présente à l’élection suprême, à partir du seul programme, inspiré du protocole de Kyoto sur la biodiversité, avait pu obtenir l’attention des élus ? L’idée était simple. Il suffisait de prétendre que des volontaires, militants écologistes chevronnés ou apiculteurs aux abois, avaient contacté des mairies, essentiellement implantés en milieu rural. Presque tout le monde à la campagne connaît un voisin, un ami, un parent qui pratique l’apiculture, très souvent comme une activité de loisirs (à partir d’une seule ruche, la notion d’apiculteur, même amateur, suffirait à consterner tous ceux qui tentent de déployer un cordon sanitaire autour de leur rucher afin de se prémunir d’une contamination du fait de cette activité de loisir). Il peut même s’agir du maire lui-même. Toutes les zones géographiques sont couvertures par l’apiculture : montagne, littoral, plaine,….. Nombreux sont ceux qui s’accordent à penser que l’importation massive de miel est une source de fraudes et que le déclin des abeilles est dramatique. Et ce ne sera une surprise pour personne que d’apprendre que l’abeille exerce une fascination tout particulière sur l’imaginaire collectif, faisant de cet insecte l’un des plus populaires représentants de la biodiversité, à en juger par le nombre de fois où on appela l’Abeillaud, « Maya ». Donc la mobilisation des élus pouvait se tenir, en tout cas se justifier. L’annonce de la candidature s’est faite en janvier 2012, laissant le temps soi-disant nécessaire à la prospection durant tout l’automne 2011. Le gros du soutien se répartissait entre le « grand ouest », les zones de montagnes et le Sud-est de la France.
Le plan de communication reposait sur très peu d’éléments. Enfin si. Il reposait sur les épaules de Didier. L’enjeu était de taille, mais lui, en avait-il la carrure ? Il fallait bluffer. Gagner au change. Chaque élection présidentielle entraîne son lot de candidats hurluberlus avec des revendications fantaisistes. Les médias, sans trop d’à-priori, se délectent de les présenter au public, même s’ils ne les font pas figurer dans la même catégorie que les candidats issus de familles politiques, trouvant la légitimité de leur représentativité dans l’assurance d’un relai médiatique et dans les commentaires des observateurs. Qu’auraient-ils d’autre à faire, d’ailleurs ces observateurs, à part se noyer dans l’assurance de leur propos ? Les journalistes prennent soin de cantonner ses candidats atypiques dans des modules d’infos à part, un fait divers souriant et plein de condescendance. On ne les prend pas au sérieux, surement à juste titre d’ailleurs, aucun n’a jusqu’à présent recueilli les 500 signatures obligatoires pour se lancer officiellement. Donc les médias ne prennent pas beaucoup de risques à s’aventurer dans des pronostics farfelus. Quoique, à voir le nombre de journalistes présents au lancement de la campagne, le doute pouvait encore planer. La déontologie ne se définit pas juste dans le cadre  privé d’une profession. Elle devrait accompagner la parole et le geste politique qui eux, s’apparentent davantage à une fonction publique dont l’exigence de transparence devrait être le socle d’un mandat. Didier s’apprêtait à mentir aux médias. Soit. En oubliant son costume d’abeille, il serait fidèle à la proportion de politiciens à faire des déclarations « bidons », des promesses intenables : ce ne sont pas les beaux discours qui font gagner une élection mais bien les luttes d’influences. Alors il fallait parvenir à infléchir la presse, contraindre ses choix rédactionnels et l’attirer dans ce petit restaurant qui faisait face au lycée de l’Harteloire à Brest. Ce fut chose faite. La conférence de presse se déroula dans une ambiance où planait un mélange d’incertitude et d’incrédulité. Qu’est-ce qui a fait que le plan fonctionna comme prévu ? Didier ne le savait pas. Peut-être la présence du représentant des apiculteurs professionnels, rendant crédible l’annonce des 300 promesses de parrainage ? Toujours est-il que la photo prise par l’agent de l’AFP, d’un dédé l’Abeillaud hilare, posé sur une chaise à couffin, au dossier en bois, majestueux, remontant très haut, dans un décor digne des plus belles pièces d’une crèche pour enfant, fit le tour des rédactions et commença à être diffusée. Si l’AFP envoyait un correspondant, c’est qu’elle prenait cet évènement suffisamment au sérieux pour le couvrir.
 Les trois mois qui suivirent furent un enchaînement d’articles dans des revues, d’interview téléphonique ou à la radio et de reportages vidéos. Sa notoriété était grandissante, surtout en Bretagne et plus particulièrement à Plougastel-Daoulas, son lieu d’habitation. On découvrait un personnage haut en couleur et fort sympathique. Les soutiens se faisaient plus nombreux, même si ne pas dévoiler la supercherie à quelques-uns, le chagrinait sincèrement. Le scepticisme, lui, avait presque disparu dans les propos des journalistes et dans ceux des politiques. L’article dans « Le Monde » aida certainement. Puisque les confrères en parlaient, on ne pouvait pas faire l’impasse, on devait réagir et évoquer le sujet : 354 promesses en Mars. La collecte avait ralenti. Normal, il n’avait jamais été question d’aller jusqu’au bout. On n’avait déjà bien sollicité les troupes et faute de moyens, les déplacements butaient sur Paris. Les autres candidats qui galéraient pour soulever des soutiens, s’étouffaient dans leur orgueil, à commencer par Dominique De Villepin. Cet homme d’Etat, à la fois gaulliste et ancien premier ministre, qui s’était opposé à la première guerre d’Irak face aux américains, ne parvenait pas à obtenir suffisamment de ralliements sous son nom. Il déclara sur le plateau du Grand Journal de canal + : « Regardez des candidats sérieux, vous en avez. Prenez dédé l’Abeillaud ! ». Même Jean-Michel Apathie, journaliste politique de premier plan, révisa sa position de départ : « S’il obtient ses 500 parrainages, on l’invitera dans l’émission », une annonce qui s’est faite avec un sourire « mi figue, mi-raisin ».
La dernière étape de la campagne consistait à annoncer le retrait de dédé. Là encore, l’Abeillaud enchaîna les reportages et les articles sur le net. Là encore, l’ex-candidat (qui n’a jamais été candidat quand on y pense bien), attira l’attention d’une candidate en panne de reconnaissance. Pendant que Didier, précautionneusement, s’exerçait à couper quelques brindilles de mimosa à l’attention d’une femme, aussi belle que désirable, au point de compromettre son discernement, absorbé par le trouble de pensées charnelles, il fut brusquement interrompu par un appel de Corinne Le Page. Après les formules de politesse, ils en vinrent au vif du sujet : « Vous n’êtes pas sans savoir que je suis moi-même candidate mais je n’ai pas encore atteint les 500 promesses de parrainage. Accepteriez-vous d’interférer auprès de vos soutiens pour qu’ils appuient ma candidature ? J’ai déjà fait beaucoup pour l’environnement – Ecoutez Mme Le Page, je ne remets pas en cause vos engagements mais avec l’équipe de campagne nous avons décidé de n’appeler à soutenir aucuns candidats ». L’avocate insista un peu sans obtenir la moindre contrepartie. Comment pouvait-il en être autrement ? La fin de non recevoir interrompit leurs échanges. Pas complètement toutefois. Avant de raccrocher, certainement agacée par ce refus, Corinne Le Page conclût en ces termes : « Très bien. Je suis députée européenne. Je tacherai de m’en souvenir ». Didier, satisfait, aurait un joli bouquet à offrir à cette femme. Ca lui ferait plaisir. L’essentiel était là, dans ces clochettes odorantes, annonciatrices de moments de réjouissance. Corinne Le Page ne serait pas candidate aux élections présidentielles de 2012.
Avant de tourner la page de cette épopée mouvementée, une nouvelle vision de l’univers des médias s’imposait à Didier. Hormis l’interview accordée à une journaliste chilienne de « TV4 Monde », qui dégageait une certaine sincérité pour la cause qu’il représentait, Didier ne se sentit pas mal à l’aise dans l’exercice de fausses déclarations à la presse. Et à force de sollicitation, même s’il savait qu’il ne détenait pas le sésame utile à sa couverture médiatique et que cela ne l’affectait pas dans son propre jugement, il agissait pour une bonne cause, une cause juste. Parfois, il en ressentait presque une satisfaction de manipuler des journaux, dont les propriétaires étaient le plus souvent des salauds de capitalistes. Mais une part de lui était quelque peu songeuse: comment des journalistes pouvaient-ils publier des papiers sans un travail préalable d’investigation ? La source était-elle fiable ? Pourquoi n’avaient-ils pas pris le temps d’interroger quelques apiculteurs ou quelques militants ? Peut-être que finalement ils subodoraient quelque chose mais comme la cause était juste, et le personnage plutôt sympathique, ils la soutenaient à leur tour. En tout cas, le dénouement ne le dira pas et ce n’est pas ces quelques lignes qui viendront changer ce qui est sous-entendu.
Alors, après cet exercice électoral, avait-il aliéné ce besoin de reconnaissance envers ses enfants ? Didier pensait que oui. En partie oui, bien aidé en cela par les merveilleux dessins de Marcel de la gare, utilisés comme badges pour accommoder les vêtements de quelques copains et copines de leur école primaire. La fin de campagne n’était pas vécue comme une défaite. Au contraire. Le nom de dédé l’Abeillaud butinait dans les bouches. Son évocation faisait bourgeonner des sourires, émaillés du bourdonnement du super héros, bizzzz ! Didier le voyait bien dans les yeux des enfants ; il y avait là une espèce d’amabilité à croiser un parent de l’école qui avait fait le buzz. Les rendez-vous avec les médias continuaient. A un rythme moins effréné certes, et qui laissait le temps à Didier d’apprécier l’attention qui l’avait suscitée auprès de la population locale. Des interrogations peinaient à satisfaire les plus sceptiques ou les moins dupes. Quoique premiers supporters d’une telle blague, ils le titillaient pour en savoir plus : « Bon alors, tu les as eues tes promesses ou pas ? ». La réponse, évasive, ne variait pas : « Ah ! Ca fera partie de la légende ». Le tout se terminait dans des éclats de rires et une tournée au bistrot.
L’après campagne de l’Abeillaud se prolongea encore quelques mois. De façon plus ponctuelle mais ô combien savoureuse. Il n’avait qu’à se souvenir de ce week-end passé derrière les murailles de St Malo. Courant mai 2012 Didier accepte de soutenir la candidature de Carole Le Bechec pour le compte d’E.E.L.V. aux élections législatives. Au programme, déambulation atypique sur les marchés et une conférence d’un ami apiculteur, venu pour l’occasion. Se trouve parmi les personnes présentes, une autre apicultrice amateur, Corinne Maier, qui est une amie proche de la candidate. C’est une joie pour Didier de faire sa connaissance sachant que, quelques mois auparavant, il avait lu son best-seller « Bonjour paresse ». Un régal ! Comme son séjour. La présence de Pascal, un autre ami de Carole, vient composer un quatuor joyeux et fêtard. Ils profitent amplement d’un St Malo en ébullition. Déjà parce que se tient une énième édition du festival « des étonnants voyageurs », mais surtout parce que les trublions de la compagnie « La Belgique Sauvage » affolent les codes de bienséance lors d’une soirée tout en couleur. Didier multiplia de nouveau, par la suite, des occasions de revêtir le costume du faux-bourdon. De toute évidence, il ne voulait pas s’arrêter à un grand coup médiatique puis passer à autre chose. L’effet avait été certain, mais la tâche, en réalité, ne faisait que commencer et pas forcément là où il s’y attendait.
Un type, lors d’une quelconque manifestation de rue, que Didier avait croisé quelques années auparavant, tout en le saluant, lui dit : « Tu as eu ton heure de gloire ». Une autre encore, militante écologiste, aperçue dans des rassemblements de faucheurs volontaires l’interpella ainsi « Tu vas attraper la grosse tête ». Didier ne comprenait pas ce que cela signifiait. A quoi bon s’attarder à convaincre du contraire, ce qui aurait de toute façon renforçait l’illusion d’un engagement désintéressé et sincère. Comment leur dire qu’il se mobilisait pour l’écologie avant tout pour ses mômes ? Fallait-il adopter une posture quand on se soucie de la nature ? Y avait-il des mots pour cela ? Avait-il d’ailleurs besoin de motiver son action ? Se justifier de quoi ? D’avoir traversé la Bretagne en pleine période glaciale de février 2012, dans une voiture sans chauffage, couverte de gel, où les doubles paires de chaussettes et de gants enfilés ne suffisaient pas à soulager la morsure du froid, puis se retrouver en collant devant le jardin du Luxembourg à Paris, piétinant du fait des 2°c ambiants, à attendre les médias et, enfin, quelques jours plus tard, tomber malade ? C’est comme ça que l’on attrape la grosse tête ? Didier avait surtout chopé la grippe oui ! La gloire ne le concernait pas, ni même la reconnaissance d’un statut social, provisoire, puisque ce dont il avait conscience, c’est que le Tout est éphémère.
C’est un joli mot, « Ephémère », un adjectif garni de féminité. L’éphémère s’agite sur un rythme court, sous une forme cyclique, hachée, en pointillé, qui apparaît et disparaît, qui vit et qui meurt, le temps de la vacillation d’un œil. S’il s’agissait d’une musique, elle n’aurait pas été celle de Satie, mais Satie lui-même. L’éphémère exalte la beauté d’un insecte ou le plongeon du Soleil. Il meut avec les éphémérides d’une journée ou les affaires du Monde, usurpé, dans ce dernier cas, par l’instantanéité arithmétique. Employé comme substantif singulier l’éphémère devient neutre, avec tout de même un goût d’inachevé, une amertume discrète qui ne s’affirme pas tout de suite mais qui s’affine plutôt comme le couperet d’une lame. Tout a un temps. Et rien n’a de raisons. 

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