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jeudi 9 septembre 2021

L'enfant des marées

Tout comme il existe les enfants des bois, je fus un enfant des marées. L'été, les vacances étaient rythmées par le va-et-vient d'une mer brimbalante sur une plage adossée à la terre léonarde. Nous étions happés tout à la fois par les délices de baignades interminables, ou du moins qui nous semblaient telles, et par la frange chevelue qui peignait le sable de sa fraicheur. Si parfois elle paraissait effrayante à nos yeux, cette étendue brunâtre, délaissée par la mer, ancrée dans l'entrelacs visqueux, excitait tout de même notre curiosité de vouloir en découdre avec son obscurité saline. Le moment venu, à l’heure où la lune dessinait un croissant invisible, la mer s’écartait, presque à lécher Roc-Santec, pour notre plus grande joie. C’était un banquet qui s’offrait à nos petites papilles, voraces de coquillages en tout genre et de crevettes grises, enfouis dans une mare grouillante de cailloux bigarrés.

Très souvent, à défaut d’épuisettes et surement d’impatience, nous nous accroupissions entre les rochers. Le dos exhumé au soleil, nous tapions fort sur leurs carcasses pour en décoller les coquillages, les plus exubérants par leur forme : la bernique ou le brinnig. Les grands-parents nous avaient appris à retirer la chair noire pour des raisons certainement qui nous échappaient, mais, en tout cas, leurs paroles de sagesse ne s'abimaient pas dans notre imprudence. A grands coups de choc, le « chapeau chinois » finissait par divulguer sa ventouse, notre graal pour le goûter. Nos gestes frénétiques même pouvaient rivaliser avec l'ardeur famélique des goélands qui n’osaient toutefois pas s’approcher de nos petits attroupements. La partie noire enfin enlevée, parfois de façon sommaire, nous pouvions faire craquer sous les dents cette semelle dont les deux petites cornes pointées vers l’avant me font penser aujourd’hui aux doigts des groupies du Hellfest.

Peut-être était-ce un signe de mise en garde, en tout cas je fus malade à une ou deux reprises après avoir ingurgité les fameux brinnig. Nos proches, sans inquiétude délirante, accompagnaient ma fièvre, qui pouvait durer quelques jours, par des visites régulières. Elle n’a jamais gâché mon séjour entre les rochers ni interrompu de nouveaux assauts infantiles.  A part la fois, et à cause de la même gourmandise, où à l’âge de 16 ans, parti en troupe au camping sauvage de l’Ile de Batz, je dus me précipiter à maintes reprises vers le bloc de WC, afin d’évacuer des diarrhées encombrantes; l’adolescence tolère moins l’innocence.

C’est incommodant, certes. C’est douloureux, parfois. Mais tout comme les enfants des bois, je crois que, en tant qu’enfant des marées, la Nature nous a partiellement immunisés contre la peur.

2 commentaires:

  1. "Beau texte David..."

    "Gwir eo !"

    "Poète ! Merci !"

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  2. Très belle évocation qui fait ressortir des souvenirs perdu dans le sable de la mémoire.

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  LA PETITE ALGERIENNE   Sources Archives familiales d’A.M. Gourvès, née le 21 janvier 1935 à Bône (Algérie) N.B. de l’auteur : Je t...