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jeudi 25 août 2022

La difficulté de l'émancipation - acte I

Le recueil* du colloque consacré au socialiste-libertaire Emile Masson en 2003 se termine par l'intervention de Daniel Colson et Ronald Creach (la solitude du rebelle) et dit ceci : "La révolution c'est toi" disait Emile Masson. En s'intéressant à lui, en découvrant la violence et l'intensité d'une vie (...) c'est à toutes ces expérimentations que nous nous intéressons (...) à ce dont nous sommes nous-mêmes porteurs comme source de révolte et d'émancipation." Emile Masson, comme loyal anarchiste, a intimement lié sa vie à la recherche de l'émancipation, pas seulement pour un idéal socialiste, ni pour lui-même, mais pour tout un peuple paysan, une civilisation bretonne qui éclatera dans la 1ere guerre mondiale, et même au-delà.  Plus généralement, quel que ce soit le domaine, l'émancipation n'a pas meilleur ambassadeur que l'anarchiste. Peut-être même qu'elle diffère, et par conséquent qu'elle s'éloigne, de l'idée que l'on se fait de la liberté.

Dans un premier temps l'émancipation fait référence à un acte de droit civil par lequel l'autorité parentale (de plus en plus monoparentale) ne s'exerce plus sur un adolescent toujours mineur. Pour autant, bénéficie-t-il alors d'une liberté de manœuvre, de va-et-vient selon ses propres convenances ?  Certainement que les droits nouvellement acquis se heurteront aux règles de vie commune déjà connues, vécues et instaurées par les parents qui doivent être vus également comme des référents tout en soumettant leurs prérogatives à un devoir d'aimants. La collaboration parent/adolescent peut alors se briser dans un rapport de force, voire de violences, dès lors que l'enfant se croit autorisé à considérer les rues d'une ville ou les chemins de la campagne comme un espace d'émancipation parce qu'il aurait bravé la règle convenue et concertée de rejoindre la cellule sociale à une heure acceptée ensemble. Quand la règle est expliquée en ayant obtenu l'accord de l'enfant, elle ne devrait plus être vécue comme une injonction. En possession d'un droit juvénile, l'adolescent ignore que sa liberté se confond avec celle des autres même si elle n'est pas à l'identique. Son émancipation ne lui donne pas que des droits, elle l'oblige à des devoirs à se construire individuellement. Elle devient factice si l'ordre commun est constamment remis en cause. Elle fragilise la paix sociale intrinsèque aux choix  considérés comme bienveillants des parents. Ces choix n'expriment rien d'autres que des souhaits et une expérience transmise par les générations antérieures qui ne demande qu'à progresser dans le bon sens. Ils ne doivent pas être aliénants mais écoutés et entendus sinon, et à défaut, d'autres dispositifs plus contraignants surgiront et l'autorité parentale prendra le relai aux désordres occasionnés. Comment ne pas mieux dire la parentalité quand le référent s'est déjà libéré d'un certain vocabulaire tel que "obéir", "chef" ou "commander" ? Mais l'exemplarité n'est toujours pas saisi dès lors que le fantasme de liberté s'écrit ailleurs et se colporte inaudible dans d'autres bouches et dans d'autres réseaux.

Ensuite, toujours dans une période contemporaine, l'émancipation est associée à la place et aux rôles des femmes. Tout au long du 20ème siècle, les femmes occidentales, pour les plus engagées, ont tenté de s'éloigner de la tutelle écrasante des institutions et du conservatisme que leur imposait une domination autocratique masculine. Les exemples d'émancipation, parfois héroïques souvent justifiés, ne manquent pas sur le droit de vote, sur le droit de disposer de leurs corps comme elles l'entendent, sur l'accès au travail,.... Dans une société devenue complètement capitaliste, le féminisme a osé défier ce que les hommes d'âge mûr avait construit pour eux, et dans bien des domaines, et même si les inégalités persistent les militantes obtiennent gain de cause. Il faut toutefois qu'elles se souviennent, toutes ces féministes, que leur combat, avant toute chose, est d'inspiration anarchiste. Pour autant, leur supposée liberté retrouvée dans le travail, au sein du ménage, dans la société civile leur garantit-elle une émancipation vécue face au capitalisme ? Est-ce que l'Etat prévoit aux épouses un accompagnement total face à la violence de leurs conjoints ? Très souvent séparées, parviennent-elles à assurer sereinement une protection sociale quand il s'agit d'élever seules les enfants quand les ex se défilent ? Confrontées aux remous professionnels, les femmes ne sont pas plus à l'abri que les hommes quand elles doivent rendre des comptes sur les cadences, sur le rythme de productivité, sur le chiffre à atteindre. Pour celles qui ont privilégié leurs plans de carrière, on pourrait croire qu'elles finissent par se confondre avec l'homme de crainte que l'on puisse remettre encore en cause leurs compétences au sein de l'entreprise. En admettant même l'indépendance liée au travail, les aléas climatique, économique, conjoncturel, feront rappeler que récolter des légumes dans de bonnes conditions pour une maraichère devient aléatoire quand elle subit les événements extrinsèques et n'est donc plus en capacité de vivre en toute liberté ses choix. Toujours est-il que, et contrairement à ce que l'élite voudrait faire croire, le travail n'est pas un facteur d'émancipation ni pour l'un ni pour l'une, surtout s'il est subi et oppressant voire esclavagisant (quand on pense surtout que le progrès social des femmes se serait développé lors de la guerre 14-18 au nom de l'Union sacrée, il y a de quoi être interloqué).  

De la même manière on peut s'interroger sur leur accessibilité au droit de vote que l'homme politique a fini par octroyer aux femmes, au nom de la démocratie censée égalitaire. Non pas qu'il faille remettre en cause la légitimité à leur accès au droit civique mais bien plus de constater le peu d'éthique insufflée dans l'acte politique lui-même. Tout de même et si ce n'est pas forcément le meilleur cas de figure, il aura presque fallu 1/2 siècle pour voir la parité à l'assemblée nationale. Mais peut-être qu'à vouloir trop chérir la liberté, les femmes se sont piégées elles-mêmes dans leur contradiction féministe; au lieu de réclamer une contraception pour elles, mieux aurait-il fallu suggérer également la vasectomie chez l'homme puisque les progrès de la médecine le permettaient déjà dans les années 70. Là où on peut tout de même se réjouir c'est de voir l'évolution de la femme dans la culture et le sport, si toutefois ces deux univers ne deviennent pas des alibis pour prétendre que tout se règle.

Beaucoup ont écrit sur la liberté comme Paul Eluard, on façonne même des femmes pour la représenter. Mais peu ont compris la difficulté de l'émancipation comme les anarchistes. L'émancipation est certes une rupture, mais une rupture sans concessions aux pouvoirs et n'est pas faite pour quelques arrangements avec les institutions dominantes. L'émancipation devrait presque être confiée à la naissance, une sorte d'assurance vie. Au nom de la Liberté, des mouvements contestataires se sont perdus dans des illusions complotistes. Ne souhaitons pas le même destin au souhait d'émancipation et surtout pas pour la Bretagne dans le cadre d'un confédéralisme libertaire.

 * "Emile Masson, prophète et rebelle", J. Didier et Marie Giraud, aux éditions PUR, 2003

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