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samedi 9 novembre 2019

Dans "Economie sociale et solidaire" il ne reste plus que l'Economie

Qui se rappelle aujourd'hui que Benoît Hamon, alors Ministre de l'Economie sociale et solidaire (ESS) et de la consommation en 2014 dans le gouvernement d'Emmanuel Valls, était le rédacteur de la loi ESS qui porte son nom  ? Si on s'en tient au flot d'informations qui nous harcèle constamment, et si le secteur de l'ESS est sorti de son anonymat pour être légiféré, je pense que nous ne serons pas nombreux, et au premier chef, tous ceux et celles qui postulent à la représentation locale, à se remémorer que l'ESS, selon la dialectique du gouvernement de l'époque, devait : reconnaître l'ESS comme un mode d'entreprendre spécifique, renforcer les politiques de développement local durable, consolider le réseau de l'ESS, provoquer un choc coopératif, redonner du pouvoir d'agir aux salariés. Nonobstant cette orientation qu'il fallait saluer, il manque, à mes yeux, un 6ème volet qui est de respecter le consommateur, l'usager ou le client selon les institutions.
Pour démonter maintenant le système de l'ESS, je vais me référer à ma propre expérience sur 3 secteurs distincts : la banque, l'assurance et dans une moindre mesure, le fournisseur d'électricité. Je ne considère pas que mon cas de figure doit être généralisé à l'ensemble des personnes qui adhère à l'un ou l'autre de ces secteurs. Toutefois, dans un contexte de fragilité sociale, subie ou pas, par un souscripteur (perte d'emploi, séparation, santé, activité précaire,...), certaines décisions coercitives nous renvoient à de mauvaises habitudes identifiées comme insupportables chez leurs concurrents libéraux ou chez des investisseurs peu scrupuleux sur le devenir de la Planète-Terre.
La banque. Le Crédit coopératif
Fidèle à mes engagements, j'optais au milieu des années 2000, pour un compte NEF (Nouvelle Economie Fraternelle). La Nef, n'ayant pas le statut d'établissement bancaire, était hébergée au Crédit coopératif. Pendant plus de 10 ans, j'alimentais plus ou moins assidûment ce compte. En tout cas, le Crédit coopératif, dans ses fonctions premières de préserver ses intérêts financiers, n'avait pas à signaler de dérapages circonstanciés de ma part.
Tout changea après la faillite de l'entreprise dont j'avais la gestion. Si la Banque de France considéra ma situation qui suivait, non solvable et m'épargnait le remboursement intégral des dettes, je fus dans l'interdiction d'emprunter pendant 10 ans et de profiter de découvert bancaire. Sur ce dernier point, ce ne fut pas vraiment le cas. Le Crédit coopératif, dans sa grande largesse, laissait filer un peu mon débit. Enfin... dans sa grande largesse... à regarder de plus près, mon découvert non autorisé qui en devenait un, leur procurer quelques petits intérêts sous la forme de "frais de compte". Disons que finalement, les deux parties s'y retrouvaient. Jusqu'au jour où, subitement, sans avertissements, la banque quimpéroise décida de "couper les vivres". Débiteur d'un léger découvert de 16 euro, je me présentais chez un commerçant pour l'achat d'une bouteille de gaz d'une valeur de 33 euro. Rassuré par le versement sous 72 H de prestations sociales, je ne me formalisais pas. Sauf que le crédit coopératif vît d'un mauvais œil la présentation du chèque et décida de rejeter le paiement. Là dessus vinrent se rajouter des frais financiers amplifiés par le rejet du prélèvement de la MAIF (sur lequel je reviendrai plus loin), "assurance militante" à laquelle j'avais souscrit pour l'habitation et la voiture, toujours dans un objectif de cohérence. 
Dans un premier temps, gêné de me représenter chez le commerçant pour payer ma dette, je décidais dans ma mauvaise habitude de réagir. J'informais le Crédit coopératif que dorénavant mes prestations sociales seraient versées sur un compte postal que je venais d'ouvrir car je n'admettais pas que la banque fasse une opération financière en sa faveur à partir de prestations sociales obtenues pour assurer le minimum vital. C'était clair dans mon esprit : le Crédit coopératif pendant quelques années se retrouvait hypocritement "hors la loi" et finissait par me punir d'avoir abusé d'un service financier qui ne m'était pas acquis. Soit. Bien-sur, s'en suivirent quelques mois de présentations de frais bancaires pour défaut d'approvisionnement, gonflant au passage le débit de mon compte NEF. Le litige se solda purement et simplement par un échange téléphonique, sévèrement houleux, et la décision unilatérale de la banque de clôturer mon compte, sans à débourser un centime d'euro.
La Maif, L'assureur militant
Une étape était franchie. Je devais maintenant affronter la MAIF qui pendant ce temps ne recevait plus le règlement de mes cotisations alors que, de mon côté, je noyais sous les courriers de réclamations, relances, menaces, etc etc.... Je crois me souvenir que mes arriérés s'élevaient à 150 euro.  Je pris donc le temps de me décider et de solliciter un rendez-vous à l'agence de Brest, afin de trouver une solution d'apurement. Je me présentais donc devant un employé qui examina rapidement mon dossier. Je lui proposais de consentir "un étalonnement de la dette". Après un nouveau regard sur l'écran d'ordinateur, il me répondit que ce n'était pas possible. Soit. Toujours avec cette mauvaise manie de réagir, j'adoptais, néanmoins, cette fois-ci, une attitude plus flegmatique, mais ô combien intériorisée. "Très bien, merci, bonne fin de journée", m'entendait-il lui dire en camouflant secrètement la vraie nature de mes sentiments, "Ah c'est comme ça que tu le prends ! Et bien ta cotisation tu peux attendre pour la récupérer !". Nouvelle série de réclamations, saisie d'une agence de recouvrement, puis d'un Huissier de Justice. Je m'accrochais mordicus à ma fronde silencieuse jusqu'à ce que mon débiteur abdique face au peu de cas que je faisais de leurs menaces. Là aussi je ne déboursais pas un centime d'euro.
Le fournisseur d'électricité : ENERCOOP
Enercoop. La porte de mon appartement
Dès que je pris connaissance, soit dans le courant des années 2000, de l'existence de cette coopérative, créée en 2004 par Greenpeace, le réseau Biocoop, Les amis de la terre,..., regroupant des producteurs indépendants, fournissant une électricité à partir d'énergies renouvelables, je n'hésitais pas un seul instant à devenir sociétaire. D'ailleurs le terme d'usager convenait parfaitement à ma démarche plus global. Je savais que je paierai 25 % de plus qu'une facture émise par EDF; j'ai su qu'Enercoop faillit disparaître à cause d'une équation Offre et Demande difficile à résoudre, je savais que l'électricité que je consommais était d'origine nucléaire, mais la satisfaction reposait sur le fait que je ne versais quasiment plus un centime d'euro à EDF, et qu'il pouvait aller au diable avec leur énergie mortifère. Je resterai fidèle à cet opérateur qui allait dans le bon sens.
Pourtant, me considérant comme un militant historique, un usager des premiers Kwatts de la coopérative, me contentant de régler les factures, si possible dans les délais, je sens quand même qu'Enercoop, tout en consolidant sa gestion en interne, favorisant l'émergence d'antennes régionales, dérive vers plus d'Economie au détriment de la solidarité et du social. Renforcement et âpreté de la concurrence après l'ouverture du marché de l'énergie ? Essoufflement des objectifs de développement ? Toujours est-il que, de notion d"usager" nous sommes passés à celle de "client". Qu'il faut attendre plusieurs dizaine de minutes au téléphone avant de devoir raccrocher, parce que nos relations commerciales sont déshumanisées. Avoir une personne au téléphone puis râler. Enfin, qu'on nous rappelle 5' plus tard afin de régler l'objet de l'appel. Je connais même une personne à qui ils ont coupé l'accès à l'électricité, sans préavis oral, alors qu'elle s'apprêtait à honorer ses factures impayées.
Tous ceux et celles qui ont été acteurs de l'Economie sociale et solidaire, savent la difficulté à rivaliser avec l'économie dite réelle. La difficulté à communiquer sur le volet coopératif. La difficulté à construire dans les pratiques, le concept d'innovation sociale.... La difficulté d'exister harmonieusement sur un territoire afin d'éviter les points de tension. Reste que L'Economie sociale et solidaire n'existerait plus sans les aspects social et solidaire, sinon c'est renier les bases fondamentales du soutien à autrui, et au lieu de renforcer sa précarité, l'accompagner pour soulager son désœuvrement.
David Derrien
Ancien co-président de l'Adess et
Responsable du déploiement de la monnaie complémentaire sur le territoire de Brest

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