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jeudi 28 novembre 2019

Les vicissitudes d'une abeille sauvage suite IV


suite II

suite III

https://www.youtube.com/watch?v=ayF_hnb1iUE

« Allo ! Didier, Oui, c’est moi, Claudine. Ca va ? Dis-moi, est-ce que je peux inviter Bénédicte à venir au rassemblement de demain ? Oui ? Super !... C’est qui ? C’est la propriétaire de la maison au bout de la grève de Saint Jean. Tu vois où elle est ?... Non ? En fait, comme sa maison est en contrebas du champ des serristes, Bénédicte est bien embêtée… Non, non, elle ne vît pas là. C’est une maison secondaire… Elle est venue passer quelques jours avec une de ses filles. Oui ?... On fera un détour là-bas ? Ok… D’accord… Je préviens Bénédicte. A demain alors… ».
Didier avait sympathisé avec Claudine après le rendez-vous mouvementé du mois de novembre. En plus d’être de la même génération que sa mère, Claudine, proche du communisme, comme sa mère, avait fréquenté dans les années 60 à Roscoff, une bulle politico-artistique, animée par le célèbre navigateur Yvon Le Corre. Ce même Yvon Le Corre, qui dessina un magnifique portrait de la mère de Didier, faisait régulièrement escale à Santec, un fief communiste du Haut-Léon. Quelque peu farouche, la santécoise avait fini par décliner la proposition, d’un « coureur de femmes », de l’accompagner dans ses périples transatlantiques. Bien plus tard, Claudine, dans un âge plus avancé, à son retour sur Plougastel-Daoulas, avait tenu la dragée haute à cette famille de serristes. Presque seule, elle avait réussi à bloquer, pendant plusieurs décennies, le projet d’extension que l’on voyait maintenant. Didier se félicitait d’être entouré de femmes aussi déterminées que Claudine et Mme « Electrolux », celle de Beauvoir (appelée ainsi à cause du nombre incalculable d’aspirateurs qu’elle vendit tout au long de sa carrière de commerciale). Avec d’autres, ils étaient parvenus à constituer un collectif de riverains, mécontents des débordements de certains serristes, collectif qui deviendrait ensuite l’association « A quoi ça serre ». Didier, désigné comme l’ennemi public n°1 des « Seigneurs » de la commune, ragaillardi par cette première vague d’adhésion, multiplia les initiatives et les repérages sur le terrain. Une association, mieux armée et plus installée comme « Eau et rivières de Bretagne », acceptait d’accompagner « A quoi ça serre » dans ses débuts. Il fut donc décidé d’organiser une tournée sur la presqu’île afin de faire un état des lieux. Après s’être mis d’accord avec le coordonnateur d’Eau et rivières de Bretagne, et un représentant d’AE2D (Agir pour l’environnement et le développement durables), plusieurs personnes se retrouvèrent un samedi matin de mars 2013, près de la chapelle Saint Adrien pour démarrer le circuit. La presse locale était présente. Bénédicte aussi, comme prévu, accompagnée de sa fille et de Claudine.
Avec Eau et rivières de Bretagne
Ouest-France, 04 mars 2013. Extraits.
Le collectif « A quoi ça serre » s’est réuni samedi à Saint Adrien. Didier D. avait invité les riverains et deux associations environnementales à faire le tour de ce secteur qui selon lui « peut poser problème en raison de sa proximité avec des serres ».
Didier, tout absorbé par son discours devant une quinzaine de personnes, avait bien noté la présence de Bénédicte. Elle s’était placée au centre du groupe, face à lui. Evidemment, Claudine, n’avait pas précisé à Didier, combien Bénédicte était jolie. Une ravissante métisse, avec une authentique touche asiatique qui sautait aux yeux. A tour de rôle, les représentants des associations prenaient ensuite la parole pour expliquer les enjeux.
Des actions pourraient être menées suite aux observations. Le collectif a déjà prévu de réaliser un prélèvement d’eau à Kervezingar.
Il était temps de poser pour la photo. Bénédicte, toujours au centre du groupe, souriait délibérément. Seul, le froncement du sourire venait crisper un visage radieux, un sourire qui découvrait une rangée de petites dents, méticuleusement blanches, et faisait remonter les pommettes, exagérant la légère rondeur de son visage, plissant plus encore le contour de ses yeux ombrageux. De charmantes oreilles étaient en partie dévoilées sous une longue chevelure, d’un brun qui protégeait une féminité discrète. La simplicité qu’elle affichait, autant par son attitude que par sa tenue vestimentaire, la rendait extrêmement séduisante. Enfin c’est ce que pensait Didier. Il le pensait mais il ne voulait pas que cela se ressente. Alors pour ne pas apparaître emprunt de goujateries, il communiquait avec elle à travers les quelques mots échangés avec sa fille. La marche se prêtait à merveille à cet exercice d’approche, feint d’indifférence. Inutile d’en faire de trop. Quelques questions impersonnelles suffiraient à camoufler sa véritable distraction. Sur le parcours, qui les emmenait dans les villages de Kerzivez puis de Kervezinguar, Bénédicte n’en était pas moins restée silencieuse. Parmi les banalités d’usage elle avait assorti son propos par un : « Je suis très admirative de ce que vous faites. Il en faut des gens comme vous ». Merde ! La tentative de Didier de se maintenir dans une neutralité masquée s’effritait dans ses remerciements qui voilaient à peine son trouble. Déjà touché par une telle flatterie, Didier se persuada que le ton exagéré de son annonce accentuait la sincérité qui s’en dégageait. « Je n’ai fait que rassembler des personnes autour de ce problème », avança-t-il, tentant vainement de se sortir du silence occasionné par cette déclaration. Finalement, c’est le départ en voiture, vers le manoir du Cosquer de Mme « Electrolux », qui mit un terme à l’embarras de Didier. Comme le trajet, il fut de courte durée. Au beau milieu du domaine de 8 ha de bois, Didier ne put s’empêcher d’essayer d’attirer l’attention de Bénédicte : « Attendez, vous avez une araignée dans les cheveux – Où ça ? Là ? – Non plus haut, sur la droite… Voilà – Je ne la sens pas… Elle est partie ? ». Didier, amusé, finit par lui avouer sa blague qui fit beaucoup sourire Bénédicte. Il ne lui avait pas tout dit. Ce n’était pas approprié de lui faire savoir combien il avait accompagné des yeux cette main qui passait dans les cheveux, une main qu’il aurait voulu être la sienne. La propriétaire du manoir ne tarissait pas de superlatif pour parler du remblai de plusieurs milliers de m2, élevé en lieu et place de prairies pour y construire une serre industrielle qui faisait face à son manoir, « Une horreur », « C’est une honte ». On creusa, à la va vite une sorte de cuvette artificielle. Ce bassin de rétention avait pour objectif de récupérer toutes les eaux pluviales provenant des toitures des serres. Hors, sous dimensionné, le bassin dégueulait ses eaux vers l’inclinaison du terrain, des eaux, qui se chargeant de terres, parvenaient dans le lavoir du domaine logé à l’ombre des arbres, continuaient leurs courses dans des sillons creusés par leurs passages répétés dans le champ situé entre le bois et la rive de l’Elorn, là où se nichait la maison de Bénédicte. Après avoir entendu la plainte de Mme « Electrolux », la troupe descendît à travers le bois. Effectivement, l’eau avait pris ses habitudes dans des ravines assez profondes, se souciant guère des obstacles, et au besoin les contournait, si toutefois ils n’étaient pas avalés. L’eau léchait les sédiments qu’elle jetait sans retenue dans l’Elorn, donnant un aspect jaunâtre à sa surface. La rivière qui séparait les communes de Plougastel-Daoulas et de Loperhet n’échappait pas au lessivage argileux.

Aucune description de photo disponible.

Ce qui inquiétait Bénédicte, c’est que la rivière gonflait et pouvait inonder la maison à partir du pignon où elle dévalait. Par le haut, la maison, d’allure robuste avec son toit en zinc, faisait dos à la parcelle. L’accès par l’arrière débutait par une passerelle de fortune qui enjambait la rivière. Le passage se faisait ensuite entre le mur émergé et la parcelle de bois sur la droite. Puis on la contournait par la gauche. Le tracé d’un chemin venant de droite, s’échouait entre le mur de façade parsemé de volets bleus et une plateforme enherbé, sans doute construite pour un usage professionnel. Plus loin débutait la grève que l’on empruntait afin de rejoindre la chapelle de Saint Jean et la maison de Claudine tout proche. Bénédicte jouait l’hôtesse d’accueil. A l’intérieur, dans la semi-obscurité, on devinait quelques mobiliers de vacances. Le feu du poêle réchauffait une atmosphère poisse que même l’odeur florale des bougies n’arrivait pas à masquer. L’humidité marquait les grands carreaux du sol. Elle suintait les traces laissées par les bottes, prises au piège de la boue apportée là. La lumière du mois de Mars ne parvenait pas à s’incruster dans les recoins sombres de la pièce du bas. On apercevait tout de même, dans la clarté de la fenêtre du pignon ouest, un escalier grossièrement agrippé à l'étage. Bénédicte expliqua dans l’entre fait un peu l’historique de cette maison. Au sud le mur était enfoncé de moitié dans la terre. Son épaisseur garantissait une certaine réserve de chaleur pendant les beaux jours. Sauf que l’exposition des fenêtres de la façade au nord, se limitait à pourvoir l’intérieur de la maison d’une luminosité parcimonieuse, fréquemment capricieuse quand le ciel coiffait le pays de sa toison grise. D’après les réflexions de Didier, ce n’est pas tant l’absence de lumière qui desservait la maison mais bien l’inoccupation quasi permanente des lieux. L’humidité envahissait sans vergogne l’espace, jusqu’à creuser le bois des poutres. Pas facile tout de même, d’y vivre toute l’année s’il n’y avait pas l’électricité (le dernier poteau était planté à 500 m), l’eau courante (c’est une cuve qui récupérait l’eau de pluie) et de chauffage (à part de temps à autre, durant un séjour hivernal, une flambée dans le poêle). A vrai dire, cette bâtisse n’avait rien à l’origine d’un lieu d’habitation. Si on avait construit un remblai face à la maison, c’était pour les besoins d’une activité professionnelle, aujourd’hui disparue, la conchyliculture. Plusieurs bassins, congestionnés soit en contre bas, dans la vasière de l’estran ou à l’aplomb d’arbres noyés sous leurs feuilles, près de la plateforme, figeaient ce passé quelque peu revisité par les explications de Bénédicte. Le rez-de-chaussée de la construction avait eu pour fonction, en attente d’expédition, d’entasser les sacs de moules, préalablement cajolés dans les différents bassins de décantation. L’étage se justifiait, quant à lui, pour les besoins administratifs et de comptabilité. Après que le gérant est jeté l’éponge, faute de succession, les quelques acquéreurs qui suivirent avaient tenté de rendre ce lieu confortable, ou tout au moins habitable, avec l’agencement d’un mobilier de cuisine présentant les signes d’une agonie proche, due à l’agressivité continue d’une moiteur souveraine. A quelques reprises, dans l’intervalle d’une mise en vente, et du fait de son emplacement très isolé, voire inaccessible par la rive pendant la marée haute, la maison avait été squattée. Elle n’en portait à priori pas trop les stigmates, tels que des graffitis ou de profondes marques de détérioration.
On ne s’éternisa pas trop chez Bénédicte. Comme si ce n’était pas le bon moment, comme si ce n’était pas vraiment le sujet. Pourtant, le cadre aux alentours donnait envie de flâner encore un peu ou de s’attarder dans les paroles et les gestes de Bénédicte, qui ne manquait pas d’empathie, aux yeux de Didier, durant tout le temps de son passage au lieu-dit les dépendances. La visite s’achevait par des salutations réciproques, les vœux d’une bonne fin de séjour et la promesse de Bénédicte d’adhérer à l’association « A quoi ça serre », dès son retour en Bourgogne. Le regard de Didier se perdait maintenant sur L’Elorn, même s’il butait sur la rive d’en face. Il n’a pas du se retourner une fois, perdu qu’il était dans ses pensées. Le retour au manoir se fit à l’arrière du groupe. On avait décidé de faire le point chez Mme « Electrolux », autour d’un apéritif, et de se donner quelques orientations avant la prochaine rencontre. Peut-être aurait-il du se retourner une dernière fois. Faire appel à son intuition féminine qui l’aurait encouragé à la prudence. Mais rien, strictement rien, n’éveilla la moindre dissonance. Comment d’ailleurs pouvait-il penser, à cet instant précis, après la plus redoutable des connivences,  après un premier contact, singulièrement amical, et donc anodin, que Bénédicte avait flashé sur lui ? Comment pouvait-il même concevoir que cette maison deviendrait un piège et que c’est Bénédicte qui l’y attirerait 

« Dès la première nuit, après notre rencontre, j’ai fait un rêve érotique ».

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