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jeudi 21 novembre 2019

Les vicissitudes d'une abeille sauvage, suite III


suite II
L’engouement populaire local autour de l’Abeillaud cessa net lorsque Didier décida de faire savoir publiquement qu’il s’opposait au choix du site du centre de formation et d’entraînement du stade brestois sur Plougastel-Daoulas. Il est bien connu que l’on ne badine pas avec l’essor économique surtout s’il est porté par le football. Rien ne peut stopper le ballon rond, et surtout pas des emmerdeurs d’écolo. En lieu et place d’une trame verte, inscrite au Plan d’Occupation des Sols, le maire, soutenu par des industriels de la région brestoise, déposèrent leur dévolu sur un secteur couvrant 10 ha, qui, à leurs yeux, apparaissait attractif du fait d’une friche abondante et de quelques chemins abandonnés de la pratique de la marche, du fait d’inondations répétées provenant des écoulements des eaux de pluie du bourg. Démontrant au passage l’absence de scrupules pour bafouer des règles environnementales et d’urbanismes, ces protagonistes tout puissants, ne se souciaient guère de la découverte d’espèces protégées, dont le fameux escargot de Quimper. Le maire ne se contenta pas de se retrouver hors-la-loi. Il mouilla le maillot pour convaincre les différents propriétaires de céder leurs parcelles. A 10 euro le m2, il y avait de quoi se frotter les mains. Pas un ne refusa une proposition aussi alléchante. Emmenés par tant de certitudes, certains propriétaires, poussés par la cupidité, n’attendirent pas la fin des procédures de permission de construire le centre de formation pour abattre des arbres de plus de 50 ans, eux aussi protégés par le Code rural. « Mais qu’est ce qu’on en a foutre des Codes et des Règlements puisque Monsieur le maire est sur de son fait ! ». Ce dernier, gonflé par l’orgueil, ne devait pas tarir d’éloge devant une telle opportunité, une aussi belle opportunité pour sa commune ! Au point où les meilleurs éléments du club local pouvaient être sélectionnés pour rejoindre l’élite brestoise. On avait le droit d’y croire. Beaucoup y croyaient, à l’élite, aux emplois, à la force de frappe des métiers du bâtiment. On pouvait même entendre que c’était vital pour le département du Finistère, sinon, certains pronostiquaient qu’on se précipitait vers une nuée de dépôts de bilan, c’était même la fin du bâtiment dans le département. Didier le répétait à qui voulait l’entendre, si peu nombreux, qu’il ne s’opposait pas à la construction du centre de formation, mais bien au choix du site d’implantation. Dès lors qu’on découvrit l’escargot de Quimper, rendant plus aléatoires les ultimes décisions administratives, des supporters du stade brestois se déchaînèrent contre quelques écologistes, dont l’Abeillaud. Pris pour cible, menacé à plusieurs reprises, Didier décida de porter plainte contre X. Il fit connaître sa décision par voie de presse. La vindicte populaire se gonfla d’autant contre lui que Didier était le seul à s’exprimer sur le sujet, de l’aveu même d’un journaliste. La pression populaire s’exerça sur certains écologistes, au point qu’ils préféreront déguerpir tout un week-end afin de se terrer dans des contrées moins hostiles. Nullement affecté par cet environnement inhospitalier, Didier, lui, continuait à se comporter comme à ses habitudes. « Tu es encore en vie ? » avait-il entendu une fois dans la rue. Un peu étonné de voir les autres s’inquiétaient pour son sort, Didier ne se formalisait pas. Il leur laissait, volontiers, cette inquiétude. L’insouciance qu’il affichait n’était pas comprise de tous, à voir cet échange malheureux avec un autre, accusé d’hérésie : « Ecoute, prends-le comme un divertissement ! – Comment ça comme un divertissement ? Mais c’est grave quand même ! » S’était-il emporté. Oui grave mais pas mortel. De toutes les façons, d’après le plus grand nombre, la messe était dite, le centre allait être construit. A voir le rassemblement de plus de 200 supporters à quelques encablures du futur projet, écoutant à tour de rôle le président du club de football de Brest et le maire de Plougastel, et à les entendre juchés sur une remorque agricole, rien ni personnes, et encore moins des « intégristes d’écolo » (dixit M. le maire) ne pourraient entraver la bonne conduite de la construction de la future structure sportive, pourvoyeuse de prochains champions. Mais au coup de sifflet final, quel carton rouge ! Voyant la situation administrative lui échapper le président tenta, dans les arrêts de jeu, de revoir ses exigences à la baisse. Il n’était plus question que du centre de formation. L’entraînement des jeunes se feraient ailleurs. Ils ne lorgnaient dorénavant que sur 5 ha de terres agricoles. Didier annonça, puisque la presse le lui demandait, qu’il n’allait pas se battre, seul, pour 5 ha de champ de maïs, malgré tout engloutis sous une infrastructure nouvelle. L’épilogue administratif donna finalement gain de cause aux associations de protection de l’environnement. Le Tribunal compétent retoqua le permis de construire déposé par le Stade Brestois, au grand dam des élus locaux, d’ailleurs plus affectés que les investisseurs qui avouèrent, quelques mois plus tard, lors d’une annonce faite par la voix du nouveau président du club, qu’ils n’auraient pas pu réunir les sommes nécessaires à l’édifice d’un tel projet.
Cet épisode, qui exacerba les tensions entre les défenseurs de l’application des règles en matière d’environnement et des irresponsables, aveuglés par le sectarisme de la croissance à tout prix, couplé en cela par le fanatisme le plus abject et le plus dérisoire, démontra que sous le costume de l’abeillaud, il y avait un homme. Un homme avec des engagements qui ne se limitaient pas à la préservation de la biodiversité. De façon peut-être inattendue, on découvrit que l’Abeillaud ne se contentait pas d’être un trublion de service, un hurluberlu sympathique qui impressionnait les enfants avec son kazoo. Il y avait là une question de cohérence : comment se prétendre défenseur de l’environnement, et s’opposer par exemple à l’aéroport de NDDL, s’il fermait les yeux, da façon complaisante, sur les atteintes, à cet environnement, qui se déroulaient sur sa propre commune ? Il ne suffisait pas d’arborer l’autocollant de NDDL pour se prétendre défendre une cause qui dépassait le seul cadre du bocage nantais. Il faut bien se l’avouer, se mobiliser à plus de 3 heures de route de Plougastel-Daoulas est bien moins contraignant que de se frotter à quelques dépositaires de l’ordre seigneurial qui appliquent des règles qui leur sont propres : l’intimidation et les menaces. Pour les tous autres, les rideaux restent tirés et les chaussons font office de refuge même pour de vertueux acariâtres qui se planquent dans leur maison de pailles. Ce qui à contrario, n’empêcha pas Didier de se faire allumer par ceux-là mêmes qui se satisfaisaient de se complaire dans la lâcheté : « Vous vous rendez de ce que vous avez fait ? Il y avait des emplois en jeu ! », « C’est toi dédé l’Abeillaud ? T’es qu’un con, on va te péter la gueule ! ». « Tiens d’ailleurs, je suis sure que c’est vous qui avez emmené l’escargot de Quimper sur place ! ». La renommée de Didier s’était donc désagrégée, à l’image du plastique noir abandonné sur les talus et dans les friches de la presqu’île suite à la culture volumineuse de fraises. Ce qu’il ne savait pas encore, c’est qu’il n’en était qu’au début de son impopularité. Surtout, il ne se doutait pas que c’était sa popularité qu’il entrainerait vers une rencontre irréversible.

Que se passait-t-il à Plougastel-Daoulas ? La délivrance de permis de construire par la mairie semblait décidément se faire de façon partielle et partiale. En tout cas, leur conséquence suscitait des situations de blocage, favorisant l'éclosion de tensions inacceptables. La situation qui suit, ne s'apparenterait pas à de la littérature sublimée par Simone de Beauvoir mais pourrait faire l'objet d'un récit loufoque avec de nombreux rebondissements, les circonstances paraissant tellement improbables.
Au lieu-dit Beauvoir à Plougastel-Daoulas, on ne trouve pas de Simone mais une autre femme avec une certaine trempe. Cette dernière est excédée, à bout de patience et remontée par son voisin expansionniste. Serriste industriel produisant une culture intensive de tomates, ce cher nettoyeur, pour satisfaire ses besoins, toujours plus croissants, entreprend de décalaminer quelques hectares de terres agricoles, fond de vallée, parcelle boisée, pour favoriser l'extension des nouvelles serres. Celui-ci ne se contente pas de défoncer les chemins et de détourner les cours d'eau. Il entreprend dans le courant des années 90 de prévoir les fondations de son ouvrage en y entreposant tout ce dont la terre réclame pour se nourrir (exemple de bidons ayant contenu des produits chimiques, appelés nutritions végétales, utilisés pour les plants cultivés en hors-sol et sous serres). La présence de ces déchets ne peut-être qu’une vision partielle d’une pollution invisible et plus conséquente. L’érosion n’a pu qu’aggraver  le phénomène, en rejetant durant cette dernière décennie, les résidus chimiques de ce dépotoir vers l’Elorn toute proche. Alors qu'ils interviennent sur un feu de déchet sur la zone du Cosquer, un pompier prévient la propriétaire du manoir : "Et bien dis-donc c'est un  Tchernobyl que vous avez là !". Depuis la plaignante a réclamé le PV de l'intervention pour prendre connaissance du type de produits répertoriés. En vain....
15 ans après, des vidéos réalisées par l’association de protection de l’environnement, « A quoi ça serre », dont Didier en est à l’initiative, permettent d'apprécier l'ampleur de l'édifice : plus de  10 mètres de haut au point culminant. On se retrouverait presque face à un phénomène tellurique rappelant le déplacement des continents. Ayant entrepris ces travaux depuis belle lurette, le serriste ne se contente pas de défigurer la nature, il impose ses pratiques et ne respecte pas les procédures pour les permis de construire. Conformément aux déclarations d'ouverture de travaux, l’affichage des permis de construire doit être visible à partir de la voie publique. Or après examen sur le terrain par Didier, aucun panneau n’a été installé sur deux parcelles concernées (Le non-respect de l'obligation d'affichage d'un permis de construire est passible d'une sanction pénale entraînant une contravention). Les irrévérences sont trop nombreuses à relever, à savoir tout de même que ce remblai a été réalisé en l’absence d’études d’impact sur les zones humides. 
On dit le bonhomme hargneux, menaçant, qui terrorise des voisins, avec la gâchette facile (la société de chasse ne lui a pas renouvelé son permis : un comble !). Le maire actuel voudrait résumer cette affaire à une complexe querelle de voisinage, où deux propriétaires bien installés se battraient pour des peccadilles. Croire ceci serait inconcevable. Il s'agit en fait de laisser à d'autres les responsabilités qui lui incombent, ne pas ouvertement prendre partie et ménager la chèvre et le chou, se délester de conflits entretenus depuis trop longtemps, s'abstenir de ne pas utiliser son autorité d'élu; ce sont des éleveurs d'autruches que l’on devrait avoir à Plougastel-Daoulas. Enfin, c’était l’avis de Didier qui ne comptait pas en rester là. Le serriste, de son côté, non plus. Il commençait à épier de plus près les contributions écrites de l’écologiste, diffusées sur son blog. Alarmé par un communiqué de presse paru dans le Télégramme de la présence de Didier, appelant à un rassemblement sur la voie publique pour montrer l’étendu des dégâts, le pollueur préparait un comité d’accueil, un « contre rassemblement ». Car ce fut un véritable front hétéroclite qui attendait Didier au lieu-dit du Cosquer, rassemblement qui aurait du permettre, aux personnes présentes, de voir par eux-mêmes, l’extension disproportionnée et préjudiciable d’une serre. 
De gré ou de force, le personnel employé par les serristes incriminés s'était joint au comité d'accueil, hostile à toute condamnation des abus constatés, afin de faciliter l'extension de serres à Beauvoir. Il y avait dans ce groupe de soixante personnes (en face ils étaient cinq personnes, dont un couple de retraité qui s’étonnait surement d’être là), à la fois des serristes, le représentant de la société de chasses, la famille, des salarié(e)s d'origines étrangères ou pas. Ces derniers, selon Didier, ont été instrumentalisés pour considérer la propriétaire de Beauvoir comme une emmerdeuse et dédé l'Abeillaud comme un paria. La gifle, administrée par une tapette à mouches par le propriétaire des serres, ramena Didier à sa condition pitoyable d'insecte nuisible. « Toi, maintenant que je vois qui tu es, tu as intérêt à faire gaffe ! », s’époumona le vieux fusil à l’encontre de Didier. Ce qui frappe dans un premier temps c'est le parallèle à faire avec la manifestation de  ce même mois de novembre 2013, organisée par les bonnets rouges à Quimper pour contester les portiques de l’écotaxe : patron-salarié, pour certains, main dans la main. D'ailleurs une des salariés arborait fièrement un bonnet rouge avec une pancarte à leur attention "re zo re", « trop c’est trop », salariée qui ne se contenterait pas de travailler dans ces serres et aurait, à priori, des liens avec une des membres de la famille du Cosquer
Habituellement le conflit social se focalise sur le respect du code du travail et le maintien de l'emploi face au patronat, qui  cherche à maintenir ou améliorer ses privilèges. Ici l'adhésion des salarié(e)s aux méthodes déployées par les employeurs pour réduire à néant toutes revendications sociales, pour s'abroger des règles fixées, est symptomatique d'une population prête à tout pour conserver son emploi, même si ce dernier est stigmatisant pour la condition humaine et donc la leur: pénibilité liée à la chaleur, gestes répétitives (inflammation des articulations), accélération des cadences avec pointeuse (2 T de tomates cueillies/pers/jour), salaire minimum de longue durée, pression psychique sur le personnel, poussée à la concurrence entre salariées, absence de la constitution de groupe d'intérêts sociaux, accentuation des embauches d'étrangers plus corvéables (10 % de la main d’œuvre dans le grand ouest) avec pour conséquence une pression accrue sur le reste du personnel. "Laissez tranquille mon patron", aurait-on pu lire aussi sur les pancartes. Des patrons qui ont bien compris que leur intérêt réside dans la fuite en avant. La course à l'agrandissement des serres est peut-être plus qu'une course à la rentabilité. C'est davantage la nécessité de ne pas disparaître. D'ailleurs, ce phénomène d'agrandissement est connu, pour ceux qui sont en capacité d'investissement, dans d'autres domaines agricoles (cochon, lait,...),  au détriment d'une agriculture paysanne,  de l'environnement, d'une production de qualité et du respect des uns et des autres. 
On dit que la direction de Saveol, la coopérative qui conditionne et commercialise les tomates, est sceptique sur les perspectives de maintien d'une activité de production industrielle, telle qu'on la connait aujourd’hui et qu'elle s'essoufflerait dans une dizaine d'années, face à la concurrence de la tomate marocaine ou espagnole. Signe des temps ? Un serriste, face à l'incertitude des prix sur le marché de la tomate, a fait l'impasse en 2013 sur l'achat de plants, car menacé d'une vente déficitaire.
Si les pronostics de Saveol sont exacts, où seront alors ces employeurs le jour où il faudra prendre en charge et soutenir des personnes jetées à la rue ? Ce sont ceux-là mêmes qui poussent les gens à la confusion et à la colère qui les chasseront sans ménagement en cas de crise. Ce que traversa l'entreprise Gad (abattoir de Lampaul-Guimiliau), ou la société Doux (volaille industrielle) n'est pas réservé à ces seuls secteurs d'activité agro-industrielle en Bretagne. Il y aura de la casse, pour Didier c’était certain, mais une casse sociale. Les serres, elles, resteront figées dans le paysage d'une friche industrielle.
Malgré la tension ambiante, les regards belliqueux, l’absence délibérée de vouloir échanger avec Didier et l’impertinente du manoir, Didier ne se sentait pas dépassé par un tel déferlement de colère, ni même inquiété. Son repli constituait plutôt une volonté d’interrompre une situation de blocage. Avant de partir, il alla bien jusqu’à apostropher la compagne de l’homme aux 10 ha de serres : « Si vous me menacez, si vous essayez de vous en prendre à moi, déjà je porte plainte et puis je fais venir mes copains altermondialistes de Notre Dame ! ». Ca ne coûtait rien de le dire. Ca pouvait la faire réfléchir. Un peu. Peut-être imaginerait-elle voir arriver des gros camions, remplis de punk à chiens. Encore fallait-il qu’elle soit pourvue d’une telle capacité.


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