Retrouvez la trace de l'Abeillaud dans l'ouverture
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suite II
L’engouement populaire
local autour de l’Abeillaud cessa net lorsque Didier décida de faire savoir
publiquement qu’il s’opposait au choix du site du centre de formation et
d’entraînement du stade brestois sur Plougastel-Daoulas. Il est bien connu que
l’on ne badine pas avec l’essor économique surtout s’il est porté par le
football. Rien ne peut stopper le ballon rond, et surtout pas des emmerdeurs
d’écolo. En lieu et place d’une trame verte, inscrite au Plan d’Occupation des
Sols, le maire, soutenu par des industriels de la région brestoise, déposèrent
leur dévolu sur un secteur couvrant 10 ha , qui, à leurs yeux, apparaissait
attractif du fait d’une friche abondante et de quelques chemins abandonnés de
la pratique de la marche, du fait d’inondations répétées provenant des
écoulements des eaux de pluie du bourg. Démontrant au passage l’absence de
scrupules pour bafouer des règles environnementales et d’urbanismes, ces protagonistes
tout puissants, ne se souciaient guère de la découverte d’espèces protégées,
dont le fameux escargot de Quimper. Le maire ne se contenta pas de se retrouver
hors-la-loi. Il mouilla le maillot pour convaincre les différents propriétaires
de céder leurs parcelles. A 10 euro le m2, il y avait de quoi se frotter les
mains. Pas un ne refusa une proposition aussi alléchante. Emmenés par tant de
certitudes, certains propriétaires, poussés par la cupidité, n’attendirent pas
la fin des procédures de permission de construire le centre de formation pour
abattre des arbres de plus de 50 ans, eux aussi protégés par le Code rural.
« Mais qu’est ce qu’on en a foutre des Codes et des Règlements puisque
Monsieur le maire est sur de son fait ! ». Ce dernier, gonflé par
l’orgueil, ne devait pas tarir d’éloge devant une telle opportunité, une aussi belle
opportunité pour sa commune ! Au point où les meilleurs éléments du club local
pouvaient être sélectionnés pour rejoindre l’élite brestoise. On avait le droit
d’y croire. Beaucoup y croyaient, à l’élite, aux emplois, à la force de frappe des
métiers du bâtiment. On pouvait même entendre que c’était vital pour le
département du Finistère, sinon, certains pronostiquaient qu’on se précipitait
vers une nuée de dépôts de bilan, c’était même la fin du bâtiment dans le
département. Didier le répétait à qui voulait l’entendre, si peu nombreux,
qu’il ne s’opposait pas à la construction du centre de formation, mais bien au
choix du site d’implantation. Dès lors qu’on découvrit l’escargot de Quimper,
rendant plus aléatoires les ultimes décisions administratives, des supporters
du stade brestois se déchaînèrent contre quelques écologistes, dont
l’Abeillaud. Pris pour cible, menacé à plusieurs reprises, Didier décida de
porter plainte contre X. Il fit connaître sa décision par voie de presse. La
vindicte populaire se gonfla d’autant contre lui que Didier était le seul à
s’exprimer sur le sujet, de l’aveu même d’un journaliste. La pression populaire
s’exerça sur certains écologistes, au point qu’ils préféreront déguerpir tout
un week-end afin de se terrer dans des contrées moins hostiles. Nullement
affecté par cet environnement inhospitalier, Didier, lui, continuait à se
comporter comme à ses habitudes. « Tu es encore en vie ? » avait-il
entendu une fois dans la rue. Un peu étonné de voir les autres s’inquiétaient
pour son sort, Didier ne se formalisait pas. Il leur laissait, volontiers,
cette inquiétude. L’insouciance qu’il affichait n’était pas comprise de tous, à
voir cet échange malheureux avec un autre, accusé d’hérésie :
« Ecoute, prends-le comme un divertissement ! – Comment ça comme un
divertissement ? Mais c’est grave quand même ! » S’était-il
emporté. Oui grave mais pas mortel. De toutes les façons, d’après le plus grand
nombre, la messe était dite, le centre allait être construit. A voir le
rassemblement de plus de 200 supporters à quelques encablures du futur projet, écoutant
à tour de rôle le président du club de football de Brest et le maire de
Plougastel, et à les entendre juchés sur une remorque agricole, rien ni
personnes, et encore moins des « intégristes d’écolo » (dixit M. le
maire) ne pourraient entraver la bonne conduite de la construction de la future
structure sportive, pourvoyeuse de prochains champions. Mais au coup de sifflet
final, quel carton rouge ! Voyant la situation administrative lui échapper
le président tenta, dans les arrêts de jeu, de revoir ses exigences à la
baisse. Il n’était plus question que du centre de formation. L’entraînement des
jeunes se feraient ailleurs. Ils ne lorgnaient dorénavant que sur 5 ha de terres agricoles.
Didier annonça, puisque la presse le lui demandait, qu’il n’allait pas se
battre, seul, pour 5 ha
de champ de maïs, malgré tout engloutis sous une infrastructure nouvelle.
L’épilogue administratif donna finalement gain de cause aux associations de
protection de l’environnement. Le Tribunal compétent retoqua le permis de
construire déposé par le Stade Brestois, au grand dam des élus locaux, d’ailleurs
plus affectés que les investisseurs qui avouèrent, quelques mois plus tard, lors
d’une annonce faite par la voix du nouveau président du club, qu’ils n’auraient
pas pu réunir les sommes nécessaires à l’édifice d’un tel projet.
Cet épisode, qui exacerba
les tensions entre les défenseurs de l’application des règles en matière
d’environnement et des irresponsables, aveuglés par le sectarisme de la
croissance à tout prix, couplé en cela par le fanatisme le plus abject et le
plus dérisoire, démontra que sous le costume de l’abeillaud, il y avait un
homme. Un homme avec des engagements qui ne se limitaient pas à la préservation
de la biodiversité. De façon peut-être inattendue, on découvrit que l’Abeillaud
ne se contentait pas d’être un trublion de service, un hurluberlu sympathique
qui impressionnait les enfants avec son kazoo. Il y avait là une question de
cohérence : comment se prétendre défenseur de l’environnement, et
s’opposer par exemple à l’aéroport de NDDL, s’il fermait les yeux, da façon
complaisante, sur les atteintes, à cet environnement, qui se déroulaient sur sa
propre commune ? Il ne suffisait pas d’arborer l’autocollant de NDDL pour
se prétendre défendre une cause qui dépassait le seul cadre du bocage nantais.
Il faut bien se l’avouer, se mobiliser à plus de 3 heures de route de Plougastel-Daoulas
est bien moins contraignant que de se frotter à quelques dépositaires de
l’ordre seigneurial qui appliquent des règles qui leur sont propres :
l’intimidation et les menaces. Pour les tous autres, les rideaux restent tirés
et les chaussons font office de refuge même pour de vertueux acariâtres qui se
planquent dans leur maison de pailles. Ce qui à contrario, n’empêcha pas Didier de se faire allumer par ceux-là
mêmes qui se satisfaisaient de se complaire dans la lâcheté : « Vous
vous rendez de ce que vous avez fait ? Il y avait des emplois en
jeu ! », « C’est toi dédé l’Abeillaud ? T’es qu’un con, on
va te péter la gueule ! ». « Tiens d’ailleurs, je suis sure que
c’est vous qui avez emmené l’escargot de Quimper sur place ! ». La renommée
de Didier s’était donc désagrégée, à l’image du plastique noir abandonné sur
les talus et dans les friches de la presqu’île suite à la culture volumineuse
de fraises. Ce qu’il ne savait pas encore, c’est qu’il n’en était qu’au début
de son impopularité. Surtout, il ne se doutait pas que c’était sa popularité
qu’il entrainerait vers une rencontre irréversible.
Que se passait-t-il à
Plougastel-Daoulas ? La délivrance de permis de construire par la mairie
semblait décidément se faire de façon partielle et partiale. En tout cas, leur
conséquence suscitait des situations de blocage, favorisant l'éclosion de
tensions inacceptables. La situation qui suit, ne s'apparenterait pas à de la
littérature sublimée par Simone de Beauvoir mais pourrait faire l'objet d'un
récit loufoque avec de nombreux rebondissements, les circonstances paraissant
tellement improbables.
Au lieu-dit Beauvoir à Plougastel-Daoulas, on ne
trouve pas de Simone mais une autre femme avec une certaine trempe. Cette
dernière est excédée, à bout de patience et remontée par son voisin
expansionniste. Serriste industriel produisant une culture intensive de tomates,
ce cher nettoyeur, pour satisfaire ses besoins, toujours plus croissants,
entreprend de décalaminer quelques hectares de terres agricoles, fond de
vallée, parcelle boisée, pour favoriser l'extension des nouvelles serres.
Celui-ci ne se contente pas de défoncer les chemins et de détourner les cours
d'eau. Il entreprend dans le courant des années 90 de prévoir les fondations de
son ouvrage en y entreposant tout ce dont la terre réclame pour se nourrir
(exemple de bidons ayant contenu des produits chimiques, appelés nutritions
végétales, utilisés pour les plants cultivés en hors-sol et sous serres). La
présence de ces déchets ne peut-être qu’une vision partielle d’une pollution
invisible et plus conséquente. L’érosion n’a pu qu’aggraver le phénomène, en rejetant durant cette
dernière décennie, les résidus chimiques de ce dépotoir vers l’Elorn toute
proche. Alors qu'ils interviennent sur un feu de déchet sur la zone du Cosquer, un pompier prévient la
propriétaire du manoir : "Et bien dis-donc c'est un Tchernobyl que
vous avez là !". Depuis la plaignante a réclamé le PV de l'intervention
pour prendre connaissance du type de produits répertoriés. En vain....
15 ans après, des vidéos
réalisées par l’association de protection de l’environnement, « A quoi ça
serre », dont Didier en est à l’initiative, permettent d'apprécier l'ampleur
de l'édifice : plus de 10 mètres de haut au
point culminant. On se retrouverait presque face à un phénomène tellurique rappelant
le déplacement des continents. Ayant entrepris ces travaux depuis belle
lurette, le serriste ne se contente pas de défigurer la nature, il impose ses
pratiques et ne respecte pas les procédures pour les permis de construire.
Conformément aux déclarations d'ouverture de travaux, l’affichage des permis de
construire doit être visible à partir de la voie publique. Or après examen sur
le terrain par Didier, aucun panneau n’a été installé sur deux parcelles concernées
(Le non-respect de l'obligation d'affichage d'un permis de construire est
passible d'une sanction pénale entraînant une contravention). Les irrévérences
sont trop nombreuses à relever, à savoir tout de même que ce remblai a été
réalisé en l’absence d’études d’impact sur les zones humides.
On dit le bonhomme
hargneux, menaçant, qui terrorise des voisins, avec la gâchette facile (la
société de chasse ne lui a pas renouvelé son permis : un comble !). Le maire
actuel voudrait résumer cette affaire à une complexe querelle de voisinage, où
deux propriétaires bien installés se battraient pour des peccadilles. Croire
ceci serait inconcevable. Il s'agit en fait de laisser à d'autres les
responsabilités qui lui incombent, ne pas ouvertement prendre partie et ménager
la chèvre et le chou, se délester de conflits entretenus depuis trop longtemps,
s'abstenir de ne pas utiliser son autorité d'élu; ce sont des éleveurs
d'autruches que l’on devrait avoir à Plougastel-Daoulas. Enfin, c’était l’avis
de Didier qui ne comptait pas en rester là. Le serriste, de son côté, non plus.
Il commençait à épier de plus près les contributions écrites de l’écologiste,
diffusées sur son blog. Alarmé par un communiqué de presse paru dans le
Télégramme de la présence de Didier, appelant à un rassemblement sur la voie
publique pour montrer l’étendu des dégâts, le pollueur préparait un comité
d’accueil, un « contre rassemblement ». Car ce fut un véritable front
hétéroclite qui attendait Didier au lieu-dit du Cosquer, rassemblement qui aurait du permettre, aux personnes
présentes, de voir par eux-mêmes, l’extension disproportionnée et préjudiciable
d’une serre.
De gré ou de force, le
personnel employé par les serristes incriminés s'était joint au comité
d'accueil, hostile à toute condamnation des abus constatés, afin de faciliter
l'extension de serres à Beauvoir. Il
y avait dans ce groupe de soixante personnes (en face ils étaient cinq
personnes, dont un couple de retraité qui s’étonnait surement d’être là), à la
fois des serristes, le représentant de la société de chasses, la famille, des
salarié(e)s d'origines étrangères ou pas. Ces derniers, selon Didier, ont été
instrumentalisés pour considérer la propriétaire de Beauvoir comme une emmerdeuse et dédé l'Abeillaud comme un paria.
La gifle, administrée par une tapette à mouches par le propriétaire des serres,
ramena Didier à sa condition pitoyable d'insecte nuisible. « Toi,
maintenant que je vois qui tu es, tu as intérêt à faire gaffe ! »,
s’époumona le vieux fusil à l’encontre de Didier. Ce qui frappe dans un premier
temps c'est le parallèle à faire avec la manifestation de ce même mois de novembre 2013, organisée par
les bonnets rouges à Quimper pour contester les portiques de l’écotaxe :
patron-salarié, pour certains, main dans la main. D'ailleurs une des salariés
arborait fièrement un bonnet rouge avec une pancarte à leur attention "re zo
re", « trop c’est trop », salariée qui ne se contenterait pas de
travailler dans ces serres et aurait, à priori, des liens avec une des membres
de la famille du Cosquer.
Habituellement le conflit
social se focalise sur le respect du code du travail et le maintien de l'emploi
face au patronat, qui cherche à maintenir ou améliorer ses privilèges.
Ici l'adhésion des salarié(e)s aux méthodes déployées par les employeurs pour
réduire à néant toutes revendications sociales, pour s'abroger des règles
fixées, est symptomatique d'une population prête à tout pour conserver son
emploi, même si ce dernier est stigmatisant pour la condition humaine et donc
la leur: pénibilité liée à la chaleur, gestes répétitives (inflammation des
articulations), accélération des cadences avec pointeuse (2 T de tomates
cueillies/pers/jour), salaire minimum de longue durée, pression psychique sur
le personnel, poussée à la concurrence entre salariées, absence de la
constitution de groupe d'intérêts sociaux, accentuation des embauches
d'étrangers plus corvéables (10 % de la main d’œuvre dans le grand ouest) avec
pour conséquence une pression accrue sur le reste du personnel. "Laissez tranquille
mon patron", aurait-on pu lire aussi sur les pancartes. Des patrons qui
ont bien compris que leur intérêt réside dans la fuite en avant. La course à
l'agrandissement des serres est peut-être plus qu'une course à la rentabilité.
C'est davantage la nécessité de ne pas disparaître. D'ailleurs, ce phénomène
d'agrandissement est connu, pour ceux qui sont en capacité d'investissement,
dans d'autres domaines agricoles (cochon, lait,...), au détriment d'une
agriculture paysanne, de
l'environnement, d'une production de qualité et du respect des uns et des
autres.
On dit que la direction de
Saveol, la coopérative qui conditionne et commercialise les tomates, est
sceptique sur les perspectives de maintien d'une activité de production
industrielle, telle qu'on la connait aujourd’hui et qu'elle s'essoufflerait
dans une dizaine d'années, face à la concurrence de la tomate marocaine ou
espagnole. Signe des temps ? Un serriste, face à l'incertitude des prix sur le
marché de la tomate, a fait l'impasse en 2013 sur l'achat de plants, car menacé
d'une vente déficitaire.
Si les pronostics de
Saveol sont exacts, où seront alors ces employeurs le jour où il faudra prendre
en charge et soutenir des personnes jetées à la rue ? Ce sont ceux-là mêmes qui
poussent les gens à la confusion et à la colère qui les chasseront sans
ménagement en cas de crise. Ce que traversa l'entreprise Gad (abattoir de
Lampaul-Guimiliau), ou la société Doux (volaille industrielle) n'est pas
réservé à ces seuls secteurs d'activité agro-industrielle en Bretagne. Il y
aura de la casse, pour Didier c’était certain, mais une casse sociale. Les
serres, elles, resteront figées dans le paysage d'une friche industrielle.
Malgré la tension
ambiante, les regards belliqueux, l’absence délibérée de vouloir échanger avec
Didier et l’impertinente du manoir, Didier ne se sentait pas dépassé par un tel
déferlement de colère, ni même inquiété. Son repli constituait plutôt une
volonté d’interrompre une situation de blocage. Avant de partir, il alla bien
jusqu’à apostropher la compagne de l’homme aux 10 ha de serres :
« Si vous me menacez, si vous essayez de vous en prendre à moi, déjà je
porte plainte et puis je fais venir mes copains altermondialistes de Notre
Dame ! ». Ca ne coûtait rien de le dire. Ca pouvait la faire
réfléchir. Un peu. Peut-être imaginerait-elle voir arriver des gros camions,
remplis de punk à chiens. Encore fallait-il qu’elle soit pourvue d’une telle
capacité.
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