Sur
la plage de l’îlet caret dans le Grand cul de sac marin, à la frange des récifs
guadeloupéens, Georgia s’est échouée. L’exode croupissant du polype, exonéré
du pigment rouge des zooxanthelles, témoigne d’un état de stress thermique excédant
l’animal. Exténué dans sa salinité acidifiée, dans ses derniers excréments
expulsés par sa bouche-anus, le contact avec le sable rêche, excessivement cuisant,
exacerbe le corail.
Georgia
expire atrocement. L’excès d’air l’étouffe et l’exile vers l’agonie. A
regarder de plus près, sans exiger l’expertise du chercheur, voire même
l’expectative exclamation du visiteur, Georgia aurait pu exclure que son
infortuné supplice fut exclusif : si ceci signifie que la plage corallienne
s’apparente à un cimetière c’est bien parce que d’autres excommuniés exposent
au soleil leur corps blanchi.
Pourtant,
finir parmi l’expansionnisme de centaines de milliers de grains insignifiants,
sans pouvoir exiger l’expiation des fautifs, n’est pas un trépas à ravir pour
une beauté exotique qui explose dans les frangeants. L’examen aquatique du
cnidaire, exhibé au creux des lagons, explique en effet, que la sécrétion vers
l’extérieur de l’exosquelette autorise l’animal à exceller dans l’accueil
d’algues symbiotiques et pour d’autres espèces d’excellence, telles que les
poissons demoiselles et les anémones. Dorénavant, extirpée de son milieu, la dureté de
l’oxygène gangrène la gorgone exsangue.
Au
loin, les conques de lambis des expatriés ne font plus onduler ces couleurs pourpres.
Le mouvement excitant des notes dans les courants a sombré. Exceptée, et tout
du moins, une tonalité ex nihilo, exhalant
une funeste expédition. La fin semble inexorable. Déjà figée par le phénomène
de blanchissement, l’extrémité de l’éventail tentaculaire de Georgia n’échappe
plus, désormais, au durcissement. Exit
la Méduse !
Cependant
que le ciel a congédié les cumulus et que le corail se congestionne à cause du
cumul critique des degrés de Celsius, une ombre, d’abord minuscule et presque furtive,
caresse la colonie. Son survol ralentit, s’étalant même sur le sable, au point
de lécher Georgia. Aussi instantanément, le sifflet languissant des ailes cesse
dès que l’oiseau se pose à son sujet. Prédateur ou sauveur ? Georgia ne
saurait dire. Elle plaide pour sa cause en se plongeant dans les derniers soubresauts
d’une survie, mais malheureusement sa lucidité échappe à toute urgence. Un
premier coup de bec la fait rouler sur le côté. Puis un second. Le corail
réagit péniblement. De façon inattendue, l’aile bienveillante revient et lui
accorde sa protection.
« Tu
es dans un bien piteux état, mon amie… croit discerner Georgia, ta vie
terrestre décline irrémédiablement » entend-elle encore. « Je ne peux
rien pour toi dans cet univers mais si tu m’accordes ta confiance, je veux bien
t’emmener vers un autre récif, un autre récit » continue la voix rassurante
du Goéland. « Je t’emmène dans un monde où seules l’encre se trouve sèche
et la page se plaît blanche. Ce lieu est une île. On l’appelle le Livre. Tu
verras, tu nageras dans un océan de mots aussi divers que bigarrés. Tu
renaîtras à chaque feuillet, à chaque regard, pour chaque phrase respirée. Et au
terme du voyage, si l’Ouvreur soupire, tu auras peut-être, élevé son esprit et
fait de lui un être libre ! ».
Nul
besoin de palabrer plus longtemps pour convaincre Georgia de s’agripper aux
pattes de Jonathan. Et tout aussi énigmatique que fut l’apparition du goéland,
l’envol de l’équipage n’en fut pas moins imperceptible.
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