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mardi 31 décembre 2019

Le jardin des orties douteuses

Il fallait bien ce tas de pierres pour se frotter à une telle urticaire. Il fallait bien une ruine désertée par les prières pour pousser une incomprise rudérale à trouver refuge dans l’ancienne salle capitulaire. L’abbaye, sous l’assaut des embruns capillaires, a cessé d’être péremptoire, atomisée d’office sur son promontoire. La multitude des combats a fait chavirer la salle des Chapitres dans les mémoires dévastées du Saint-Mathieu. Encore dressés sur la falaise, les vestiges dévoilent une funeste couronne, aveuglés même sans la rétine des vitraux, cependant que la vue s’est dégagée dans l’éboulis des voûtes, brûlées par le feu des feuilles à fine pointe siliceuse. Le souffle a fracassé les frocs de pierrailles crucifiées, ourtiées par la friche anémophile. Dans les décombres des pluies, par l’encombrement de pierres froides, à jamais lacérées par ces morsures éternelles, l’ortie douteuse ourdit le devoir d’étendre son réseau de rhizomes anthropophiles.
A travers les cavités cadavériques des corps granitiques, l’ortie déploiera, dans un jardin massif, sa puissance formique. A l’évidence, la plante affectionne les lieux chargés de déchets oniriques, tout comme les sols d’alluvions, régulièrement illusionnés par de nouveaux dépôts de damnés en décomposition. Son déferlement se plaît dans le crottin ou finira fertilisé en purin.
A cause de la franchise de son feuillage, ne cherchant pas à camoufler ses défauts derrière une apparence flatteuse, l’ortie douteuse souffre d’une réputation sulfureuse qu’elle se doit d'abreuver sans ambages. En effet, sur des tiges dressées, souvent rameuses, les feuilles dentelées fourmillent de bataillons de poils pernicieux, se brisant au moindre geste impétueux. Le frisson est subit et ne pourra être affaibli que par quelques plantains frictionnés. Gracieuse, pourtant, l’incommodante membraneuse préfère embrasser la Demoiselle aux yeux d’or sur des grappes de fleurs en ruban très étroit. D’ailleurs, la chrysope verte n’est pas la seule espèce inféodée : à croire que l’impudente urtica s’entend à séduire des hôtes coléoptères et autres lépidoptères. L’examen entomofaune de l’ortie n’exige pas un complet inventaire, plutôt une discrimination singulière.
Très commun, le charançon, à l’état larvaire, charpente des échancrures le long du système racinaire. L’agapanthie, à pilosité verdâtre, tout autant insatiable, arpente les galeries des tiges avec appétit. Parmi les vanesses, Robert le diable se fait discret, replié dans la soie, au revers des feuillets. Peut-être que le diacre rôde encore afin d’éteindre le rouge écarlate ainsi exhibé. Que penser de l’Ecaille mendiante, qui, mollasse, ment dans la journée pour mieux s’encanailler dès le début de soirée ? Les coccinelles, ces bêtes à bon Dieu, dociles et peu incommodées par le vœu de sobriété car si enclines à compter les points pour se considérer entre elles, parviennent à occire, en parcourant frénétiquement l’ortie, d’innombrables pucerons. La cicadelle, prompte à se cacher, est circonspecte contrairement à la cigale (gardons-nous bien de la croire anorexique), se contente de la part de feuille des orties dioïques. Plus dédaigneuse, la noctuelle à museau s’envole facilement en pleine journée au moindre dérangement, à la secousse près.
A ne pas médire, le jardin des orties douteuses, autant que faire se peut, offre un havre hospitalier à un peuplement de parasites et à leur cortège de prédateurs. Trop souvent délaissée, l’ortie concentre en son for intérieur un remède naturel aux vertus curatives. On avance même qu’elle soigne le « moi spirituel ».
Dans un tas de pierres, dans un supposé cimetière, sur une pointe abrupte, abrutie par la mer et abandonnée par la charretière, l’ortie douteuse impose un nouveau rituel.

4 commentaires:

  1. C'est du très poétique , même si ce n'es pas versifié .

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    1. Merci. La poésie doit-elle rester technique, académique ? L'essentiel est l'alliance des mots qui vous fera soupirer.

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  2. Très beau texte pour cette belle chatouilleuse sauvage aux moultes vertus que j'affectionne tant ...

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    1. merci Karine ! Savais-tu que le jardin d'orties désigne le cimetière dans l'imaginaire populaire ?

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