Il
fallait bien ce tas de pierres pour se frotter à une telle urticaire. Il
fallait bien une ruine désertée par les prières pour pousser une incomprise
rudérale à trouver refuge dans l’ancienne salle capitulaire. L’abbaye, sous
l’assaut des embruns capillaires, a cessé d’être péremptoire, atomisée d’office
sur son promontoire. La multitude des combats a fait chavirer la salle des
Chapitres dans les mémoires dévastées du Saint-Mathieu. Encore dressés sur la
falaise, les vestiges dévoilent une funeste couronne, aveuglés même sans la
rétine des vitraux, cependant que la vue s’est dégagée dans l’éboulis des
voûtes, brûlées par le feu des feuilles à fine pointe siliceuse. Le souffle a
fracassé les frocs de pierrailles crucifiées, ourtiées par la friche anémophile.
Dans les décombres des pluies, par l’encombrement de pierres froides, à jamais
lacérées par ces morsures éternelles, l’ortie douteuse ourdit le devoir d’étendre son
réseau de rhizomes anthropophiles.
A
travers les cavités cadavériques des corps granitiques, l’ortie déploiera, dans
un jardin massif, sa puissance formique. A l’évidence, la plante affectionne
les lieux chargés de déchets oniriques, tout comme les sols d’alluvions,
régulièrement illusionnés par de nouveaux dépôts de damnés en décomposition.
Son déferlement se plaît dans le crottin ou finira fertilisé en purin.
A
cause de la franchise de son feuillage, ne cherchant pas à camoufler ses
défauts derrière une apparence flatteuse, l’ortie douteuse souffre d’une
réputation sulfureuse qu’elle se doit d'abreuver sans ambages. En effet, sur
des tiges dressées, souvent rameuses, les feuilles dentelées fourmillent de bataillons de poils pernicieux, se brisant au moindre geste impétueux. Le
frisson est subit et ne pourra être affaibli que par quelques plantains frictionnés. Gracieuse, pourtant, l’incommodante membraneuse préfère embrasser la Demoiselle
aux yeux d’or sur des grappes de fleurs en ruban très étroit. D’ailleurs, la
chrysope verte n’est pas la seule espèce inféodée : à croire que l’impudente urtica s’entend à séduire des hôtes
coléoptères et autres lépidoptères. L’examen entomofaune de l’ortie n’exige pas
un complet inventaire, plutôt une discrimination singulière.
Très
commun, le charançon, à l’état larvaire, charpente des échancrures le long du
système racinaire. L’agapanthie, à pilosité verdâtre, tout autant insatiable,
arpente les galeries des tiges avec appétit. Parmi les vanesses, Robert le
diable se fait discret, replié dans la soie, au revers des feuillets. Peut-être
que le diacre rôde encore afin d’éteindre le rouge écarlate ainsi exhibé. Que
penser de l’Ecaille mendiante, qui, mollasse, ment dans la journée pour mieux
s’encanailler dès le début de soirée ? Les coccinelles, ces bêtes à bon Dieu, dociles
et peu incommodées par le vœu de sobriété car si enclines à compter les points
pour se considérer entre elles, parviennent à occire, en parcourant
frénétiquement l’ortie, d’innombrables pucerons. La cicadelle, prompte à se
cacher, est circonspecte contrairement à la cigale (gardons-nous bien de la
croire anorexique), se contente de la part de feuille des orties dioïques. Plus
dédaigneuse, la noctuelle à museau s’envole facilement en pleine journée au
moindre dérangement, à la secousse près.
A ne
pas médire, le jardin des orties douteuses, autant que faire se peut, offre
un havre hospitalier à un peuplement de parasites et à leur cortège de
prédateurs. Trop souvent délaissée, l’ortie concentre en son for intérieur un
remède naturel aux vertus curatives. On avance même qu’elle soigne le
« moi spirituel ».
Dans
un tas de pierres, dans un supposé cimetière, sur une pointe abrupte, abrutie
par la mer et abandonnée par la charretière, l’ortie douteuse impose un nouveau
rituel.
C'est du très poétique , même si ce n'es pas versifié .
RépondreSupprimerMerci. La poésie doit-elle rester technique, académique ? L'essentiel est l'alliance des mots qui vous fera soupirer.
SupprimerTrès beau texte pour cette belle chatouilleuse sauvage aux moultes vertus que j'affectionne tant ...
RépondreSupprimermerci Karine ! Savais-tu que le jardin d'orties désigne le cimetière dans l'imaginaire populaire ?
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