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mardi 3 décembre 2019

Les vicissitudes d'une abeille sauvage suite V


« Alors…Saint-Fargeau…Ah oui !...Quand même…». « Saint-Fargeau est un village du centre est de la France. Il est situé dans le département de l’Yonne et appartient à l’arrondissement d’Auxerre ». Bénédicte avait renvoyé son coupon pour l’adhésion à " A quoi ça serre", après que Didier l’ait transmis par courriel. Bien avant de la remercier pour son règlement, via facebook et en profiter pour la demander en contact, Didier avait déjà consulté les informations disponibles sur son compte. Enfin, pour ce qui est des informations, c’est surtout sur les photos de Bénédicte que s’attardait Didier. Il y revenait même souvent, histoire de garder en mémoire ce visage avenant. Après tout, en quoi cela gênait-il ? Il n’avait personne dans sa vie et ce n’est pas comme s’il passait tout son temps à mater des femmes sur des sites pornos. Sur le coupon était indiqué l’adresse, Saint-Fargeau dans le 89. Presque 9 h de trajet à partir de Plougastel. La question ne se posait même pas d’envisager quoique ce soit. Et ce n’est pas parce que Didier se retrouvait seul le soir que c’était son cas. C’était réglé. La demander comme « ami » sur Facebook, la remercier pour l’adhésion et ne pas aller plus loin. Elle recevrait comme les autres les comptes-rendus des réunions d’ « A Quoi Ca Serre ».
La multiplication des moyens de communication virtuels comme le net et les sms du téléphone portable a complètement bouleversé le rapport à l’autre. Les réseaux sociaux ont bénéficié de bandes passantes pour proliférer à leur tour : facebook, whatsApp, et surtout les sms, ont raccourci les distances physiques et ont permis à Bénédicte et Didier de s’affranchir des 647 km qui les séparaient. A n’importe quel moment de la journée, un signal ou un message s’introduisait dans leur vie ou attendait sa lecture dans Messenger. Ces messages demandaient des réponses dans l’instant. Surtout le soir où, las des occupations professionnelles, se retrouver devenait un plaisir. Didier avait fini par savoir, à travers les innombrables messages privés sur facebook, que Bénédicte vivait avec quelqu’un, un artisan forgeron, qui d’après ses dires, excellait dans sa branche. Il aurait été alors facile pour Didier d’interrompre ces échanges. « Bon, puisque tu as un mec, je ne vois pas pourquoi je devrais insister. Salut ». Ce n’était pas approprié de continuer, même si Bénédicte, de son côté, ne cessait pas d’alimenter les échanges. Il semblait à l’évidence, qu’elle devait se lasser de cette relation, en tout cas, il se passait quelque chose car Bénédicte était régulièrement connectée, relancée la « conversation » et approuvée les commentaires de Didier, de plus en plus orientés vers un jeu de séduction. Après un peu plus d’1 mois passé à faire la navette sur Messenger, dans une relative confidentialité, en tout cas inaccessible à celui qu’ils qualifiaient dorénavant du sobriquet « l’affreux »,  Didier qui commençait à se lasser de ces échanges virtuels, entravant un réel sondage des émotions, proposa à Bénédicte de se parler par téléphone. Elle accepta, après quelques réserves et des conditions d’usage, comme : « Pas avant 21 h ». Les soirées pour Didier changèrent radicalement. Presque chaque fin de journée était récompensée par les conversations avec Bénédicte. 21 h tintamarrait dans ses tympans bien avant que les aiguilles ne l’affichent sur l’horloge du salon. Certes, l’image faisait défaut mais le son ne manquait pas de densité et diffusait une voix pareille aux soupirs d’une nymphe. Elle engloutissait tout, avait évaporé les souvenirs des pérégrinations de l’Abeillaud et même dissipé la part de pensées jusque là réservée pour ses enfants. Elle coulait lascivement dans de longues minutes au point où Bénédicte s’interrompait pour s’assurer que la ligne n’avait pas été coupée « Tu es là ? », s’enquérait-elle. Le silence de Didier s’imposait que pour mieux satisfaire à cette obsession enivrante. Didier était amoureux d’une voix bien avant d’avoir soulagé des besoins charnels. Chaque soirée accordée à Bénédicte, chaque longue conversation qui en résultait, ne faisaient que gonfler son addiction. A tel point qu’il commençait à s’angoisser. A s’interroger sur les raisons d’un désistement soudain, d’un rendez-vous téléphonique annulé, sans explications annoncées. Les tympans se gonflaient davantage de sang et obstruaient toutes tentatives de concentration, utile pour se  focaliser sur un film ou un livre. Il n’avait pas besoin de faire beaucoup d’efforts d’imagination pour se douter que la cause de ces interférences n’était autre que l’affreux. Un soir Didier l’avait même alerté : « Il va finir par se rendre compte que tu passes tes soirées au téléphone avec moi ». Elle n’avait pas esquivé la réponse mais elle sonnait peut-être un peu fausse, semblait évasive. Après tout, ne cherchait-elle pas justement une raison de querelles ? Avait-elle déjà sacrifié l’avenir d’un couple qui s’était piteusement entortillé dans des liens d’amitiés, d’amants, d’associés, et d’une vie supposée amoureuse ? Agissait-elle délibérément ainsi pour le faire craquer, le rendre à lui-même et l’obliger à dévoiler la jalousie orageuse de l'affreux, desservant le peu de bon sens qui lui resterait ? Qu’importe les motivations de Bénédicte, elles ne pouvaient pas être belliqueuses. Elle n’avait que des belles attentions à l’encontre de Didier et puis après tout, leur correspondance se satisfait, dans l’immédiat, de ces bons sentiments, traduits par un premier courriel de Didier, en date du 15 mai 2014 :
« Merci pour la photo. Tes enfants sont rayonnants, autant leur mère est ravissante. Merci d'avoir partagé avec moi ces derniers jours nos ressentis et notre parcours de vie. Je m'interroge et je ne vois pas comment 2 êtres, cette entité homme-femme, peuvent s'accorder en l'absence d'amour. J'ai vécu dernièrement 6 mois avec une femme. Ça na pas tenu  parce que je n'étais pas amoureux. Je pense que dans ta situation tu baignes dans un confort sentimental.
Que ferais-tu pour l'Amour ? Moi je m'abandonne à la Vie, dès que les occasions le permettent. Dès lors je suis capable de devenir un saltimbanque, de devenir libre, l'Amour rend libre Bénédicte. Je pourrais faire de longues distances pour assouvir cette liberté. Plus d'entraves ou, en tout cas, moins présentes. Et justement nous sommes, toi et moi, à une période de notre vie où tout est encore possible et peut-être même le meilleur.
Malheureusement nous nous enfermons dans des habitudes, des rituels au quotidien. Ce n'est pas un sacrifice d'aimer profondément quelqu'un. C'est une bénédiction des Dieux. Tu penses de moi que je suis trop sensible. Je suis seulement un animal vivant, minéral, poussière d'étoiles, traqué par le sort en l'absence d'amour véritable. J'ai mes enfants, c'est vrai. J'ai ma mère et ma famille c'est vrai. Un ami lointain, c'est vrai. Mais l'étreinte amoureuse, la relation charnelle et sexuelle n'est possible qu'avec une Autre. J'ai encore envie de le vivre avec cette Autre et qu'elle ne soit plus qu’une vision. 
Tu me plais Bénédicte. Nos échanges ne m'ont pas trompé sur mes sentiments. Je n'ai pas osé te regarder en te dévorant des yeux par respect pour toi et éviter de te faire sentir toute l'attention que nous sommes capables, nous les hommes, de porter sur les femmes. Est ce que la distance, l'éloignement seraient un fardeau ? Je ne crois pas. Juste une épreuve supplémentaire pour parvenir à s'accorder à nous-mêmes. Voilà je t'embrasse affectueusement et à bientôt. »
Un événement inattendu ramena Didier aux dépendances. Un promeneur fit savoir à la gendarmerie que la porte située en haut de l’escalier, au pignon Est de la maison, avait été défoncée. On prévint Bénédicte de l’incident. Incident qu’elle rapporta à Didier. « Tu veux que j’aille voir ? Je peux essayer de consolider la porte ? 
– Ok, merci c’est gentil. Tu pourras demander la clé à Claudine et si tu veux, tu peux ensuite garder la clé
– On fait comme ça. Je m’y rends aujourd’hui après le travail».
Après s’être mis d’accord avec Claudine, Didier, muni de quelques outils empruntés à l’atelier du boulot, se rendit à la maison autrement baptisée la « maison grecque » du fait des volets bleus de la façade. La seconde visite fut autrement différente. Enfin, ce n’est pas que la première fut bâclée mais elle avait été feinte d’ignorances et de détachement. Détenteur de la clé, obtenue avec l’accord de Bénédicte, Didier voyait les choses sous un nouvel angle. Il comprenait dorénavant l’attirance que Bénédicte avait pu ressentir quand elle découvrit le site. En perdition dans son mariage, elle cherchait un refuge en Bretagne, pour elle et ses enfants, afin de s’extirper d’un quotidien devenu insupportable, parsemé de scènes d’hystérie et de fracas. Sans consulter le père des enfants, elle fit l’acquisition des dépendances, financièrement accessible pour elle, ne s’attardant pas trop sur l’état de la maison. Le choix de la Bretagne n’était pas surprenant car cela s’apparentait à un retour aux sources, Bénédicte étant bretonne par son père, originaire d'Etel. 
Comme Didier pouvait à présent la comprendre. Bordée par de grands arbres vénérables, amarrée à l’estran, la maison semblait naturellement ancrée dans le paysage. Aucune haie, aucun mur de parpaings ne venaient l’enfermer dans l’illusion d'une sécurité névrotique, propre à l'isolement capitonné. A part le ruisseau, qui plongeait dans l’Elorn, en gloussant des notes perpétuelles, tout se prêtait à la quiétude. Le regard, qui plongeait sur la droite, suivait la courbe évasée de l’Elorn, tellement peu concernée par les turbulences du TGV qui passait pourtant si près. Quelques aigrettes, familières des lieux, s’élançaient vigoureusement de la surface de l’eau, importunités qu’elles étaient par l’intrus de passage. Les mouettes, moins farouches, dandinaient au rythme des vaguelettes échappées au passage lointain des bateaux. Le vent, jeté par la Rade de Brest avait sillonné la moindre parcelle d’anfractuosité. Tout se destinait à son dévolu. Cette terre et cette mer, il en avait fait des bêtes soumises. Il y avait de quoi être dépendant des dépendances. Il y avait de quoi accorder un service à Bénédicte, devenue si proche, si familière, à voir les dernières bougies odorantes partiellement consommées, posées là et allumées par elle. La vaisselle entreposée dans l’égouttoir, témoin de son dernier séjour, attendait dans l’ombre de nouveau son retour. Cette fois-ci, Didier grimpa à l’étage. Après s’être débarrassé de l’obscurité, il découvrit la pièce, sommairement meublée. Un lit et un vieux canapé déplié suffisaient à peine à couvrir l’écho des pas sur le plancher. Les murs blancs suintaient par endroit des auréoles capillaires. A l’arrière un cagibi, dans un confort spartiate, servait de toilettes et où gisait un lavabo maintenu à sa place par un quelconque miracle. L’objet de sa visite, lui, se trouvait posé sur un rebord précaire, éventré par la lumière. Après avoir provisoirement obturé la porte par le renfort de deux longues plaques métalliques, Didier alla s’asseoir sur le bord du canapé. La main se plaisait à se balader lentement sur la vieille couverture qui avait enveloppé le corps de Bénédicte. Quel dommage tout de même que de se contenter d’une vieille peau aussi rugueuse ! Un long soupir le ramena vers le cagibi. Il s’amusait à repenser à l’un de leur sujet d’échanges quand Didier prétendait qu’il hébergeait la Dame Blanche. Ca faisait beaucoup rire Bénédicte. Ca faisait beaucoup hanter Didier de l’entendre lui dire qu’elle aimait leur correspondance, qu’elle avait énormément d’admiration pour lui dans ses engagements pour l'environnement : « Je t’envie. Tu fais ce que je ne pourrais jamais faire ». Et puis elle le lui répétait souvent, telle la voie de la Dame Blanche : « tu es doté d’une pensée unique ». 

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